La crise sanitaire a-t-elle dégonflé le potentiel émotionnel du mouvement Extinction Rebellion?
Son réveil est laborieux et les rapports avec la police toujours aussi délibérément chaotiques.
On ne peut pas dire que la dernière performance d’Extinction Rebellion (XR) à Bruxelles, le 27 juin dernier, ait été un réel succès : moins de 250 participants au pied de la Tour des Finances, rebaptisée pour l’occasion Resilience Tower. Deux jours auparavant, un commando avait détaché au petit matin les F-I-N-A-N-C-E-S de métal. Les lettres » empruntées » ont été renvoyées aux partis politiques par la poste, glissent les activistes pour qui chaque détail a son importance. Le scénario de base aurait voulu qu’elles soient remises au futur gouvernement de plein exercice, porteuses d’une invitation express à rendre le monde » plus juste, plus résilient, plus solidaire, plus modéré « , énumère César, l’un des organisateurs du happening. Un appel à la sagesse, en somme.
En agitant la menace d’une extinction imminente du monde vivant, le mouvement parle aux tripes autant qu’à l’intellect.
Les Rebelles sont souvent ramenés à leurs origines supposées privilégiées – des bobos qui ringardisent les formes d’expression traditionnelles ou, au contraire, frisent l’insignifiance. Ils pratiquent la non-violence chère à Henry David Thoreau, l’auteur fétiche de Walden et de La Désobéissance civile (xixe siècle), Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela.
Boris Libois, 53 ans, est l’un des porte- parole les plus en vue d’ Extinction Rebellion Belgique. L’éternel ludion a un passé chez Ecolo et au PS, dans l’audio- visuel, le coaching philosophique et la psychothérapie. Avant de signer un courrier, il pose délicatement la formule » Avec amour et rage « . Le With Love and Rage de XR. » Je suis arrivé à Extinction Rebellion en mai 2019, se souvient-il. J’y ai trouvé une forme d’organisation horizontale qui me plaisait bien et qui offrait une place aux émotions. Le mouvement n’est ni de gauche ni de droite, mais il a une manière innovante de porter la question de l’effondrement de la civilisation industrielle sur la place publique, en se servant du visuel. »
Fondé officiellement en mai 2018 par le Britannique Roger Hallam, un agriculteur bio et chercheur en désobéissance civile au prestigieux King’s College de Londres, le mouvement Extinction Rebellion a paralysé cinq ponts londoniens en novembre 2018, dont celui de Westminster. Ce fut son véritable acte de naissance médiatique. Il a essaimé dans le monde avec, aujourd’hui, une cinquantaine de groupes locaux. Son discours est à prendre ou à laisser mais toujours cohérent et pour cause, il est verrouillé de l’intérieur, avec trois demandes intangibles et dix principes et valeurs dont le non-respect (par exemple, le racisme) implique un » feedback » pour le contrevenant, souligne Boris Libois, c’est-à-dire l’écartement.
En agitant la menace d’une extinction imminente du monde vivant, le mouvement parle aux tripes autant qu’à l’intellect. Si cette dramatisation a été un formidable levier avant le corona, qu’en est-il après ? Le mouvement va-t-il poursuivre son aventure en solitaire, lui que d’aucuns soupçonnent de sectarisme ? Une semaine après le » coup » de la Tour des Finances, Greenpeace Belgique et une cinquantaine d’organisations avaient choisi le Mont des Arts, le 4 juillet, pour plaider en faveur d’une » nouvelle normalité « , celle d’une société » plus juste et plus verte « . Cela commence à faire beaucoup de monde sur la branche. XR n’était pas invité.
L’exemplarité du vert
Extinction Rebellion n’a jamais réédité sa démonstration de force britannique, mais ses idées – celles de beaucoup de groupes altermondialistes, depuis Attac jusqu’aux épigones du film Demain (2015) – ont percolé largement dans la société. L’affichage de son apolitisme permet d’attirer tous les publics, à l’exclusion de l’extrême droite. En France, la Convention citoyenne sur le climat (CCC), un processus participatif adoubé par le président Emmanuel Macron après la crise des gilets jaunes, présente de singulières affinités avec le discours fictif de la Première ministre Sophie Wilmès (MR), mis en ligne le 14 avril dernier dans le cadre de la campagne #TellTheTruth Belgium d’Extinction Rebellion : » J’annonce ainsi la mise en place immédiate de nouvelles Assemblées citoyennes. Assistées d’experts, ces assemblées auront pour tâche de déterminer les priorités les plus urgentes ainsi que formuler les politiques que le gouvernement devra suivre. » Exit la démocratie représentative. » Nous avons gravement endommagé notre planète, « poursuivait » la Première. Il est temps de faire face à cette difficile vérité et de prendre nos responsabilités. Je vous demande de vous rassembler, de former une communauté résiliente pour qu’ensemble, nous puissions renverser la vapeur. Ce fardeau historique sera partagé sur de nombreuses épaules et nous travaillerons ensemble pour un avenir plus sain, plus équilibré et plus radieux. » Pas de copyright sur les idées : elles sont dans l’air du temps.
César, 28 ans, bioingénieur, a adhéré au mouvement après une conférence de Roger Hallam à la Bibliothèque Ernest Solvay du parc Léopold. Professionnellement, il coordonne des projets d’animation dans les écoles sur la science et le développement. » J’ai d’abord fait partie du mouvement Transition, confie-t-il. Transition travaille à un changement radical par le bas, tandis que Extinction Rebellion veut provoquer un changement radical par le haut. » Le sentiment d’urgence, la dramatisation, voire la peur, sont des outils au service de cette cause. A XR Belgique, César s’occupe de logistique, de la communication et des contacts avec la police. » C’est assez organique comme type d’organisation, bien que le mouvement soit centralisé et qu’il y ait une répartition des tâches en fonction des compétences des uns et des autres. » On insiste sur le bien-être des membres. Le groupe » régénération » prend soin de l’individu dans le collectif : partage de vues et attention à l’autre, surtout après des contacts rugueux avec l’autorité. » Certains peuvent mal vivre les violences policières injustifiées, comme celles de la Royale Rebellion du 12 octobre 2019 ( NDLR : 503 arrestations administratives place Royale et alentours, zone neutre, avec usage des autopompes et de sprays au poivre) « , illustre-t-il. De fait, la dernière saison de XR a été chaude, l’investissement des bénévoles a été plus qu’intense. Boris et César songent à prendre du recul, le premier pour réfléchir, se poser, revoir les modes d’action du mouvement, le second parce qu’il bosse déjà à plein temps, mais il prévoit de s’engager en politique.
A l’assaut des Finances
L’opération des 25 et 27 juin a été préparée quelques semaines en amont, dans le but de réveiller le mouvement en douceur, de le sortir de son confinement. Les affiliés ont d’abord été sondés sur les actions à entreprendre. D’après Boris Libois, la page Facebook de XR est suivie par 15 000 à 16 000 personnes, mais les affiliés sont entre 4 000 et 5 000, répartis en 18 groupes locaux. Quelques centaines d’affiliés ont répondu. » Il est apparu que les gens ne voulaient plus se déplacer en Belgique, détaille César, et que certains ne voulaient pas se faire arrêter. Un atelier de réflexion a été constitué. On avait d’abord choisi la date du 28 juin qui correspondait à une réunion du Conseil européen, mais celle-ci s’est tenue en virtuel… »
Les Rebelles sont souvent ramenés à leurs origines supposées privilégiées – des bobos.
Il est 7 ou 8 heures, ce jeudi 25 juin, lorsqu’une douzaine de militants masqués posent leur échelle contre la Tour des Finances et dévissent les lettres honnies. » C’est la finance qui dirige le monde, elle est déconnectée de la réalité et nous empêche de profiter de la vie « , résume le militant bruxellois. » Une de nos camarades a été reconnue sur la vidéo. La police avait mis la pression sur elle, évoquait une perquisition. Comme on ne voulait pas faire souffrir cette personne, au lieu de garder les lettres, on a décidé de les renvoyer par la poste aux partis politiques. » Version policière : » Les policiers chargés des contacts avec les manifestants lui ont effectivement dit qu’il serait opportun que les lettres soient rendues avant la manif du 27, que cela serait une preuve de bonne volonté, que cela aiderait grandement dans les négociations relatives au déroulement de l’action. Le mot « pression » renvoie à l’image du « méchant policier antidémocratique » qu’ils aiment tellement faire paraître « , remarque le commissaire Daniel Van Calck, chargé des dossiers revendicatifs à la direction générale de la police locale de Bruxelles-Capitale/Ixelles.
Deux jours plus tard, le samedi 27 juin, un freeze (immobilisation) a lieu à la Bourse (15 heures), parce que c’est le haut lieu des manifs, et dans la rue Neuve (16 heures), symbole de de la surconsommation. Les manifestants chargés de pancartes restent im- mobiles pendant quelques minutes. Ils ne dérangent personne. Au boulevard Pacheco, devant la Tour des Finances (17 heures), cela s’est – un peu – gâté. Les manifestants ont ensuite voulu se rendre au cabinet de la Première ministre, dans la zone neutre, donc, interdite.
Boris Libois fait partie des 75 manifestants qui ont été arrêtés administrativement pour avoir maintenu leur intention de fouler l’espace interdit. » La désobéissance civile est le coeur de notre action. C’est une ritualisation pacifique, visuelle et ludique de notre opposition radicale au système « , professe l’homme, qui maîtrise l’art de se laisser tomber » comme un sac de pommes de terre » sous l’oeil des caméras. Ce faisant, le questionne-t-on, ne participe-t-il pas à la diabolisation des policiers ? » Ils font leur métier et leur réaction est plus ou moins proportionnée, admet-il. Notre adversaire, ce n’est pas la police, mais l’ordre inefficace et injuste qu’elle défend. »
Les policiers bruxellois ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, Extinction Rebellion tente de les criminaliser en se victimisant. » Les petites manifestations à la Bourse, rue Neuve et à la Tour des Finances, on a laissé faire tout ça, explique le commissaire Van Calck. J’étais dans la tour de contrôle, tant qu’il n’y avait pas de désordre, pas d’objection. On a fait un pas vers eux, on espérait la pareille, mais ils ont refusé tout dialogue. Lorsqu’ils ont indiqué qu’ils voulaient aller déposer leurs revendications au 16, rue de la Loi, on a dit, OK, mais nul ne peut manifester dans la zone neutre, qu’importe la cause, et vous serez arrêtés . Je leur ai proposé de faire un déplacement, en respectant les mesures Covid, vers le barrage à proximité du 16 de la rue de la Loi. Ils ont d’abord accepté, mais insisté pour emprunter la rue Royale. On a dit non. Je ne vais pas bloquer la ville pour 250 personnes ! Toutes les opinions sont permises, je ne pose pas de jugement sur cela, mais il y a des manifestations bien plus importantes qui se déroulent sans violence à Bruxelles, 1 100 par an. Extinction Rebellion veut se faire de la publicité au détriment de la police. »
La suite était écrite d’avance. Les manifestants ont été » confinés » dans un coin de rue, leurs identités relevées, ceux qui voulaient partir sont partis. Est resté un noyau de 75 personnes en état d’arrestation administrative et qui pourront être taxées de 250 euros. » Ils voulaient être arrêtés, il fallait voir ça « , lâche le policier !
Pas moyen de moyenner avec XR, comme on dit à Bruxelles. Or, la philosophie du maintien de l’ordre en Belgique repose sur la gestion négociée de l’espace public. Habituellement, les groupes introduisent une demande de manifestation, négocient avec la police les modalités de leur action et s’engagent à les faire respecter par leurs troupes. » Nous ne demandons pas d’autorisation, volontairement, déclare César. La rue est à tout le monde. Nous pensons que la liberté d’expression ne devrait pas être soumise à une demande particulière, c’est une liberté fondamentale inscrite dans la Constitution. » Pour autant, XR n’est pas dénué du sens des responsabilités : le mouvement a des contacts préalables avec les renseignements généraux de PolBru, il a ses stewards en gilet fluo rose, ses conseillers en légalité, ses médecins de rue, ses psys, des techniques de gestion de l’escalade et de la désescalade face à la police. La violence et l’extrémisme font toutefois débat. Bloquer un tram ou entraver la circulation, est-ce de la violence ? Pour certains membres, oui. Pour d’autres, non, car en face, disent-ils, il y a la violence des institutions et de l’économie.
1. Que le gouvernement déclare l’urgence climatique et écologique, et reconnaisse la nécessité d’une transformation rapide de notre système économique.
2. Que le gouvernement lance un Plan d’urgence national complet et juridiquement contraignant, qui élimine l’importation et l’extraction de combustibles fossiles d’ici à 2025, tout en privilégiant la restauration de la biodiversité et la préservation de notre environnement naturel.
3. Une assemblée de citoyens, dotant nos Régions et nos Communautés des ressources et de l’autorité nécessaires pour assurer une transition maîtrisée vers une société postcroissance équitable.
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