La communication du gouvernement De Croo viendra-t-elle à bout de la coronalassitude ?
Alexandre De Croo a promis de s’attaquer à la crise d’une manière différente de celle du gouvernement précédent. Mais est-ce bien le cas ? Sur la forme certainement, nous dit Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’IHECS et à Sciences Po Paris.
« Dans le passé, on annonçait trop souvent des choses qui n’étaient pas claires, ce qui rendait les gens encore plus confus. Je veux éviter cela. Chacun doit comprendre ce que l’on attend de lui », disait Alexander De Croo encore ce week-end. La communication du nouveau gouvernement est-elle vraiment différente de celle de Sophie Wilmès ? Trois questions à Nicolas Baygert, docteur en sciences de l’information et de la communication et professeur de communication politique à l’IHECS et à Sciences Po Paris.
Que retenir du baptême du feu du gouvernement De Croo lors de la conférence de presse qui a suivi le Comité de concertation?
Premièrement, on est entré dans une nouvelle phase. On n’est plus dans une gestion de crise, mais dans une gestion des risques. Le ton est plus grave, plus responsabilisant. Le fait est qu’on est dans une nouvelle réalité, une réalité masquée. Et il faut désormais faire infuser dans la société cette nouvelle réalité. Il faut travailler sur la résilience, un nouveau civisme.
L’autre différence notable est qu’on est clairement ici avec un gouvernement de pleins pouvoirs ou chacun assume son rôle, sa légitimité. C’est aussi cela qui avait rendu la tâche de Wilmès si compliquée. Elle avait une double casquette. Celle de Première ministre faisant fonction et celle de gestionnaire et visage de la crise. Elle devait jouer la médiatrice entre les différents niveaux de pouvoirs. Par la force des choses, elle était presque intrinsèquement liée à la crise. Ce qui était source de confusion.
Depuis hier, on est face à une toute nouvelle répartition des rôles. Comme on l’avait fait pour la fiscalité, on a placé les épaules les plus larges pour soutenir le domaine de la santé. Ainsi, c’est le Premier ministre qui a ouvert la conférence de presse. Il s’est simplement occupé d’instaurer un cadre, ce qu’on appelle le framing. « La situation est grave, explosive », « ce n’est pas facile, mais c’est nécessaire et nous comptons sur vous tous ». Il donne ainsi la direction, la tonalité générale, grave, avant de passer la parole à son ministre de la santé. Rien que ça, c’est déjà une différence notable. Avant, Sophie Wilmès était seule en charge pour tout expliquer. Rapidement après le début de la crise, Maggie De Block s’était mise en retrait. Son peu de capital sympathie et les erreurs qu’elle avaient commises, on fait qu’elle n’était pas la personne indiquée pour communiquer sur le sujet.
Ici on est dans un tout autre cas de figure. Le ministre est une des pointures du gouvernement, personne ne met en doute sa légitimité. Il incarne aussi à 100 % sa mission, bien qu’il reste concis. S’il s’explique un peu plus longuement que De Croo, il ne va pas, lui non plus, se perdre dans des explications interminables. Les mesures annoncées tiennent en une page. « On est assez simple chez nous, on peut compter jusqu’à quatre, le seul chiffre à retenir est celui-là », précise ainsi Frank Vandenbroucke.
Autre nouveauté, il assure le service après-vente. Il a fait la tournée des studios radio et de télévision où il a répété les mesures annoncées en les réexpliquant. Les détails et les explications très concrètes des mesures sont par contre laissés au point presse du Centre de crise qui a lieu trois fois par semaine et qui a le gros avantage d’être dépolitisé. Il a donc une plus grande neutralité dans la parole. Bien que je dois avouer que le dernier était très paternaliste. Le coup des scénarios était définitivement too much.
La communication était-elle moins paternaliste ?
Le ton était grave, responsabilisant, mais pas forcément trop paternaliste, en tous cas chez De Croo et Vandenbroucke. Le message principal et unique est qu’il faut absolument resserrer la vis et reprendre le contrôle. « Aidez-vous les uns les autres à respecter les mesures », dit ainsi Alexander De Croo. Si certains ont effectivement besoin d’une sorte de cahier des charges pour appréhender cette nouvelle situation, il y en a aussi beaucoup que ça agace. Notamment ceux qui ont toujours suivi les règles et qui sentent poindre un certain découragement, car on leur en demande toujours plus. Chez eux ces injonctions pourraient avoir un effet contradictoire. Quoi qu’il en soit, matraquer à l’envie le même message à travers les mêmes canaux, visiblement ça ne suffit pas. On obtient juste une coronalassitude.
Dès lors, quelle communication adopter pour faire passer au mieux le message, même chez les plus récalcitrants ?
Faites-le par civisme, mais surtout par souci des plus vulnérables d’entre nous dit De Croo sur Twitter. L’idée était de faire appel à la solidarité qui ferait qu’on adapte ses comportements. Jouer sur le civisme est un voeu pieux. On en appelle à la bonne volonté, mais ça manque, je trouve, d’un peu de bâtons. Attention, c’est un choix politique difficile et qui risque d’être fortement critiqué. Certains n’hésitant pas à crier à la dictature sanitaire. Mais c’est un fait que pour ceux qui ne veulent pas comprendre, c’est parfois le dernier recours. A un moment donné, il faut bien constater que certains ne respectent rien d’autre que l’autorité ou lorsqu’on touche à leur portefeuille.
Par exemple, on peut difficilement en demander plus au secteur de l’horeca. Rien n’interdit par contre de vérifier plus méthodiquement que les mesures demandées soient correctement appliquées. Plutôt que d’édicter des règles trop strictes à tous les niveaux, une autre approche pourrait être de se montrer plus exigeant et coercitif à des niveaux plus locaux. Par exemple dans certaines communes ou lieux de contacts sociaux. Néanmoins, si c’est l’option choisie, il est primordial que celle-ci soit appliquée en concertation avec les différents secteurs concernés, et ce afin d’éviter la défiance de la population. Il en va de même pour la communication autour des mesures. Elle sera d’autant plus efficace si elle vient de gens sur le terrain.
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