Pierre Havaux
La collaboration, le passé qui ne passe pas
Jan Jambon, nouveau ministre N-VA, se fait allumer pour une posture jugée ambiguë vis-à-vis de la collaboration avec l’Allemagne nazie. Les francophones s’indignent. L’homme plaide la bonne foi et l’interprétation malhonnête de ses propos. Et c’est reparti pour un tour…
On l’aurait parié. Rien de tel qu’une bonne petite polémique alimentée par la question de la collaboration avec l’occupant allemand durant la deuxième guerre mondiale, pour saluer la venue d’un nouveau gouvernement avec le zeste de passion qui s’impose.
On ne compte plus le nombre de fois où la question des collabos a déjà déboulé dans l’arène politique et médiatique
Le sujet qui fâche depuis plus d’un demi-siècle reste une mine inépuisable de controverses et de haines corses, comme en raffolent représentants politiques et leaders d’opinion. Que le dossier douloureux n’avance pas d’un pouce sur le terrain du recadrage historique, peu importe : la controverse n’a que faire de la vérité des faits.
On ne compte plus le nombre de fois où la question de l’attitude des collabos et d’une éventuelle amnistie a déjà déboulé dans l’arène politique et médiatique. Le scénario est bien rodé : le brûlot part systématiquement du camp flamand, de préférence nationaliste, il enflamme surtout la partie francophone pour se consumer presque aussi vite qu’il n’ a été allumé.
Cette fois, la vedette du jour s’appelle Jan Jambon. Nouveau ministre de l’Intérieur dans la coalition suédoise, mais surtout nationaliste flamand et ancien participant à une réunion de nostalgiques d’anciens du Front de l’Est. Ceci expliquant cela. Evidemment.
Il n’en fallait pas plus pour que l’homme soit sommé de s’expliquer, face caméra. De passer au détecteur de mensonges. Alors, cette collaboration avec l’occupant nazi, bonne ou mauvaise idée, finalement ? Les yeux dans les yeux de la présentatrice, Jan Jambon s’est exécuté : « la collaboration a été une erreur. J’ai toujours été clair à ce sujet. On ne peut pas justifier la collaboration. Ce fut une erreur historique avec de lourdes conséquences. » Le reste ne serait que « mauvaise interprétation » de ses propos, « exploitation malhonnête » de ses déclarations. Du genre : « Les gens qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons. Moi, je ne vivais pas à cette époque-là. » Sur ce dernier point, difficile de lui donner tort.
Propos malheureux, mal compris. Un mauvais moment à passer. Stefaan De Clerck, CD&V, a connu cette triste expérience, lui qui en 2011 est accusé de déraper sur le même sujet glissant. Alors ministre de la Justice en affaires courantes, l’homme s’est laissé emporter par une énième controverse liée à la prise en considération au Sénat d’une proposition de loi du Vlaams Belang sur l’amnistie. « A un certain moment, on doit être adulte et prêt à discuter. Et peut-être aussi à oublier, parce que c’est du passé. » Tollé, sommations d’usage adressées par la classe politique francophone pour que toute la clarté soit faite sur cette intolérable façon de voir les choses. Stefaan De Clerck se confond en excuses. S’il a pu choquer, il le regrette. Sincèrement. Jan Jambon ne dit pas autre chose aujourd’hui.
Voilà qui suffit à clore l’incident. Et renvoyer dos à dos la gauche et la droite, les élites politiques flamandes et francophones. Chacun peut rentrer sous sa tente. Satisfait d’avoir fait son devoir : s’indigner côté sud, feindre de ne pas comprendre et protester de sa bonne foi côté nord. Mais au final, ils sont tous heureux que l’abcès entretenu depuis la Libération ne soit pas crevé. Jusqu’à la prochaine éruption.
Des gens ne demandent pourtant qu’à aider à tourner honnêtement la page. Ils s’appellent historiens. Francophones ou flamands, ils ont largement fait le tour de la question et se rejoignent globalement sur les conclusions à tirer de cette épisode sombre du passé. Et si tout n’a pas été encore découvert, c’est pour des raisons indépendantes de leur volonté.
« Dès que l’héritage de la guerre revient dans l’actualité, on hurle de part et d’autre de la frontière linguistique des positions polarisées et dépassées. Qu’attend le ministre de la Justice pour ouvrir les archives de la collaboration ? Par peur de la vérité ? », interpellait récemment Koen Aerts, un historien flamand. L’appel est resté sans suite. C’est sans doute trop demander.
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