L’indispensable reconversion des friches wallonnes (infographie)
Six ans après son dernier cadastre des sites à réaménager, la Wallonie compte toujours un nombre impressionnant de friches: 2 262 au total, réparties sur plus de 3 000 hectares. Un patrimoine crucial pour tendre vers le « stop béton », mais encore trop souvent délaissé.
C’est cette station-service abandonnée qui croupit au bord de la route. Cette aciérie désertée coupant toujours l’horizon de sa large silhouette. Cette vieille usine aux briques noircies et aux fenêtres cassées. Ou ces hangars quelconques qui ne laissent plus rien apparaître de leur usage passé. Qu’ils couvrent des dizaines d’hectares ou une petite parcelle jonchée de plantes invasives, les sites à réaménager (SAR), comme la Wallonie les appelle depuis 2004, témoignent de la transformation inévitable du territoire. Il s’agit, en fait, de tous ces lieux dont l’état de décrépitude est « contraire au bon aménagement des lieux », ou constituant « une déstructuration du tissu urbanisé. » En 2015, le sud du pays s’était doté d’un inventaire inédit des SAR, pour mieux en estimer l’ampleur. Verdict de ce travail de fourmi, mené par le consortium Lepur (ULiège) – Converto – Walphot: environ 5 000 bâtiments, répartis sur 2 213 sites désaffectés et 3 795 hectares, en particulier le long du sillon Sambre-et-Meuse.
L’ambition de la Wallonie est de faire tomber le stock de sites à réaménager (SAR) à zéro en 2050. Mais c’est complètement méconnaître la réalité: des friches continueront toujours à apparaître.
Souvent perçu comme un fardeau par les autorités locales, ce patrimoine dormant représente pourtant une immense opportunité pour (re)créer de l’activité économique, de la richesse ou du logement. Comme le préconise l’Europe avec sa stratégie no net land take by 2050, il devient urgent de limiter puis de stopper l’artificialisation des sols, c’est-à-dire la consommation de nouvelles superficies qui, une fois bétonnées, ne retourneront presque jamais à leur état naturel. Un enjeu crucial pour préserver autant que possible la biodiversité, l’autonomie alimentaire et, par extension, limiter le réchauffement climatique.
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La boîte de Pandore
En 2019, le précédent gouvernement wallon s’était engagé à « réduire de la consommation des terres non artificialisées à 6 km2 par an d’ici 2030, et tendre vers 0 km2 par an d’ici 2050 ». Mais la route est longue. A l’heure actuelle, l’artificialisation des sols progresse encore de 10 à 12 km2 par an en Wallonie, soit d’environ 3 hectares par jour. Essentiellement pour produire du logement.
C’est là que les SAR entrent en scène, prouvant peu à peu leur potentiel aux plus pessimistes des promoteurs ou mandataires. « Un des éléments les plus difficiles, c’est de faire changer le regard que les communes portent sur leur territoire, observe Joël Privot, urbaniste et chercheur dans l’unité Urban & Environmental Engineering de l’ULiège. Il y a quelques années, beaucoup d’entre elles percevaient la présence de friches sur leur territoire comme un drame. En treize ans d’expérience, j’ai pu voir les mentalités évoluer. Dans certaines petites communes en revanche, ces sites constituent toujours une boîte de Pandore que l’on a peur d’ouvrir, faute de moyens ou de personnel formé sur cet enjeu. »
La constitution du cadastre des SAR visait à leur accorder une visibilité accrue, tout en les étoffant d’informations utiles comme la présence (fréquente) de pollution dans les sols, la nature de l’activité passée ou encore le périmètre exact où une reconversion est possible. La finalité de l’époque: inciter les promoteurs ou les opérateurs publics à y proposer des projets de qualité, en particulier dans les zones à proximité immédiate d’un centre urbain, de services essentiels et de pôles de mobilité majeurs. Mission accomplie, près de six ans plus tard?
Descriptif des lieux
Un constat positif: contrairement à sa version antérieure, qui n’avait plus été actualisée pendant plus de dix ans, ce précieux inventaire n’est pas tombé aux oubliettes. Disponible en ligne, il présente un descriptif de chaque site recensé. Il est, par ailleurs, en cours d’actualisation par la Direction de l’aménagement opérationnelle et de la ville du Service public de Wallonie (Daov), comme l’indique le cabinet du ministre de l’Aménagement du territoire, Willy Borsus (MR). Depuis 2018, l’Institut scientifique de service public (Issep) examine en outre les SAR par photo-interprétation et télédétection, à partir de prises de vue aériennes ou d’images satellitaires. « Ce travail permet à la Daov de réduire le délai de mise à jour de l’inventaire, en priorisant le déplacement de ses agents sur des SAR où il y a de fortes probabilités d’indications de changement », poursuit le cabinet.
Un stock de SAR
Une mission perpétuelle puisque chaque année, certains sites délaissés depuis peu sont susceptibles de rejoindre la liste des SAR, tandis que d’autres se voient réhabilités ou occupés à nouveau. « Quand on lit le Schéma de développement du territoire (NDLR: une vision stratégique adoptée par le précédent gouvernement wallon en mai 2019), on a l’impression que l’on est face à un stock de SAR que les pouvoirs publics estiment pouvoir dégonfler grâce à leur action, commente Jean-Marc Lambotte, coordinateur scientifique au Centre de recherche sur la ville, le territoire et le milieu rural (Lepur) de l’ULiège. L’ambition clairement affichée est de faire tomber ce stock à zéro en 2050. Mais c’est complètement méconnaître la réalité, puisque même avec une politique très rigoureuse en la matière, des friches continueront toujours à apparaître. L’enjeu, c’est plutôt de préserver au minimum l’équilibre entre le nombre de nouvelles friches et le rythme des réhabilitations. Encore aujourd’hui, il n’est pas certain que le tonneau se vide plus qu’il ne se remplit. »
Les chiffres actualisés corroborent ce sentiment. Depuis 2015, les agents de la Daov ont déjà revisité plus de 50% des sites recensés, indique l’administration au Vif. Au 1er janvier 2021, l’inventaire officiel fait désormais état de 2 262 sites à réaménager, répartis sur 3 719 hectares, contre 2 213 SAR sur 3 795 hectares en 2015. Quelque 361 SAR non identifiés à l’époque y ont été ajoutés. A l’inverse, 370 sites répertoriés en 2015 ont entre-temps été réoccupés ou réhabilités. A l’échelle communale, c’est toujours Charleroi qui compte la plus grande superficie de SAR (357 ha, soit 11 de moins qu’en 2015), devant Mons (219 ha, 77 de plus), Sainte-Ode (191 ha, un chiffre biaisé par la seule présence de l’immense aérodrome militaire de Saint-Hubert), La Louvière (151 ha, 2 de moins) et Tubize (139 ha, près d’un en moins).
L’évolution du patrimoine de SAR n’est pas nécessairement le fruit du dynamisme ou de l’inaction des pouvoirs locaux concernés, ni même de la Région. Il varie au gré des éventuelles faillites, délocalisations d’activités industrielles ou du coût de l’immobilier, qui pénalise d’autant plus la reconversion de SAR s’il est faible. « La question du coût des dépollutions, même sur d’anciens sites sidérurgiques, se pose avec nettement moins d’acuité au Luxembourg, puisque que le prix de vente des logements créés y est très élevé, analyse Joël Privot. En Wallonie, on pâtit d’un coup de sortie assez faible. De ce fait, la reconversion de sites à réaménager, tombe vite en concurrence avec des produits classiques en périphérie, sur des terrains non artificialisés et non pollués. » Un obstacle fréquent au sud du sillon Sambre-et-Meuse, à l’exception des communes transfrontalières de la province de Luxembourg.
Que met en place la Wallonie? Elle accorde une subvention spécifique pour les projets issus d’un partenariat public-privé et envisagés dans le périmètre d’un SAR. Elle s’élève à 1 euro pour 3 euros d’investissement dans des actes et travaux, dont au moins 2 euros sont consacrés à du logement. Pour les friches de petite envergure, elle permet aussi à des projets déjà ficelés de déroger au plan de secteur sur des SAR reconnus comme tels. « C’est un outil assez bien pensé et dont les promoteurs commencent maintenant à comprendre l’intérêt », observe Joël Privot.
Dépollués mais toujours vides
Pour les grandes friches, la ré- habilitation est un combat de longue haleine. Le 30 avril 2020, le gouvernement wallon a notamment donné un mandat à la Sogepa, l’un de ses bras financiers, pour acquérir, assainir et redéployer les sites de Carsid à Charleroi (108 ha au total) et d’ArcelorMittal en région liégeoise (282 ha). A Seneffe, dans le Hainaut, c’est à la Société publique d’aide à la qualité de l’environnement (Spaque) que le gouvernement a confié, en juillet dernier, la mission de réhabilitation des 66 hectares du site de BASF de Feluy, fermé en 2015. La dépollution sera aux frais du groupe pétrochimique allemand. « Le réaménagement projeté vise à réaliser des parcelles de grande superficie, tout en maintenant une zone verte aménagée en faveur de la biodiversité », précise le cabinet de Willy Borsus.
L’époque où les pouvoirs publics dépolluaient des sites à grands frais, sans en connaître l’usage futur, semble révolue, même si le paysage wallon en paie encore le prix. « C’est une réalité malencontreuse: toute une série de friches traitées il y a dix ou quinze ans par les pouvoirs publics sont par la suite restées des terrains vagues, parfois au sein même de milieux urbanisés, regrette Joël Privot. En outre, une partie de ces sites ne présentent certes plus de pollution en surface, mais ils n’ont jamais été traités en sous-sol. Les opérateurs publics y ont souvent une maîtrise foncière. Mais ils n’arrivent pas à trouver des promoteurs intéressés. »
La Wallonie n’a pas de mécanisme performant permettant d’éviter la création de friches. La période de crise doit nous inciter à agir pour resserrer le robinet.
Pour Jean-Marc Lambotte, le principal écueil dans la gestion des SAR au sud du pays est la prévention. « Contrairement à la Région bruxelloise, qui alimente un inventaire permanent des biens à vocation économique à vendre ou à louer, la Wallonie n’a pas de mécanisme performant permettant d’éviter la création de friches, constate-t-il. Sachant qu’il y aura beaucoup de cessations d’activité à cause de la crise actuelle, il faut absolument éviter que les biens immobiliers concernés se transforment en friches dans un délai court. La période de crise doit nous inciter à agir pour resserrer le robinet. » Avec ses 3 719 hectares de sites à réaménager, la Wallonie dispose déjà d’étendues considérables pour répondre aux enjeux démographiques et économiques des prochaines décennies. Leur reconversion partielle sera inévitable pour préserver autant les campagnes que le cadre de vie futur.
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