L’identité selon Bart De Wever
Le dernier essai du président de la N-VA, publié juste avant les élections de mai, résume l’essence de sa pensée conservatrice, inspirée par les Lumières et déterminée à imposer une « culture dominante » en Flandre et en Europe.
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Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que la citoyenneté ? Devons-nous coupler la citoyenneté à l’identité ? » Bart De Wever introduit par ces questions – » complexes « , précise-t-il – son livre Over identiteit (éd. Borgerhoff & Lamberigts, 145 p.), publié avant le scrutin d’il y a un gros mois. L’Europe est confrontée à ce dilemme depuis le début de sa civilisation. Avec des réponses variables selon les époques, qui inspirent forcément le discours de cet historien devenu, en 2004, président de la N-VA, premier parti de Flandre, biberonné au Mouvement flamand. Ce livre est un plaidoyer pour son » nationalisme inclusif « .
L’ arrivée de VTM a fait plus pour la collectivisation d’un sentiment identitaire flamand que les pèlerinages de l’Yser.
Au début, tout était facile : » Les Grecs ont résolu ça simplement : il y avait les Grecs et les barbares. » Les étrangers voulant rester à Athènes ne pouvaient le faire que grâce au paiement d’un impôt. Cette conception très exclusive de l’identité était aussi celle des Romains. » Par le mérite, on pouvait devenir Romain « , résume Bart De Wever. Il s’agissait de veiller à la sacralité de Rome, au respect des mythes et fondations des fondateurs de la cité. Tandis que les Grecs ne cessaient de bâtir des capitales au rythme de l’élargissement à de nouvelles colonies, les Romains s’en tenaient strictement à Rome. Roma caput mundi. Rome, capitale du monde. Ceux qui s’opposaient à la manière de vivre des Romains étaient combattus. Ceux qui acceptaient leurs valeurs étaient progressivement absorbés. Mais l’élargissement continu de l’Empire romain rend cette approche intenable. D’innombrables migrants d’origines diverses tentent de se faire reconnaître à Rome. Des conflits menacent la stabilité, donc le futur de l’Empire. L’empereur Claudius (10-54) propose alors la mise en place d’une citoyenneté » ouverte et inclusive « . » Ces problèmes n’étaient pas très différents des défis auxquels nous faisons face dans un monde globalisé « , souligne le président de la N-VA. C’est, insiste-t-il, la question centrale de son engagement politique !
« L’identité VTM »
Bart De Wever dénonce l’héritage de mai 68, cette mise au ban du concept de » communauté » au bénéfice d’individus cosmopolites évoluant en dehors de tout lien social. L’identité collective est devenue » une invention étrange dont les gens doivent être libérés « . En clair : l’identité a été découplée de la citoyenneté et l’acquisition de la nationalité s’est transformée en formalité administrative, sans condition préalable. Or, les communautés auxquelles nous appartenons constituent pour beaucoup – » dont moi-même « , insiste De Wever – une maison dans laquelle on se sent protégé.
Bien sûr, l’identité tant individuelle que collective est un processus dynamique, qui change au cours d’une vie, mais il est difficile d’échapper à sa communauté familiale, villageoise, nationale ou… médiatique. » La boutade selon laquelle l’arrivée de VTM a fait plus pour la collectivisation d’un sentiment identitaire flamand que tous les pèlerinages de l’Yser réunis a un fond de vérité « , souligne le président de la N-VA. Les médias sont devenus le reflet des identités de plus en plus distinctes entre Flamands et francophones. » Cela permet de comprendre pourquoi des projets de partis politiques unitaires n’existent quasiment plus dans ce pays. (…) Les opposants de l’autonomie flamande placent davantage de temps et d’énergie à attaquer les pensées identitaires qu’à imaginer une nouvelle identité collective pour la Belgique. »
De Wever se réfère à Samuel Huntington, le père de la théorie du Choc des civilisations, et à son travail monumental Who Are We ? Ce philosophe américain dépeint une série de moments clés de l’histoire des Etats-Unis grâce auxquels les Américains se sont découverts une identité collective propre, après s’être longtemps considérés comme des Européens. C’est un processus dynamique, jalonné par le progrès économique et technologique, des choix moraux (l’interdiction de l’esclavage), des symboles décrétés (le 4 juillet, Thanksgiving…) et des discours fondateurs comme celui d’Abraham Lincoln après la bataille de Gettysburg, en 1863. Dynamique, toujours, lorsqu’il s’agit d’intégrer de nouvelles communautés : le renforcement de l’identité se mesure aussi à la capacité d’intégrer les étrangers. » Ça vaut aussi pour l’Europe « , prolonge De Wever. La conscience continentale s’est nourrie de l’adversité contre l’islam jusqu’au coup d’arrêt de Poitiers, en 732. Nous vivons aujourd’hui une nouvelle ère charnière, défend le président de la N-VA. Plus que jamais, il faut considérer positivement la notion d’identité. CQFD.
« L’élite belge a renforcé la Flandre »
Mais » qui sommes-nous aujourd’hui ? » Qu’est-ce que ça signifie encore être grec, ou turc, ou européen ? Est-ce la langue qui définit un peuple ? » Pas nécessairement, car on trouve facilement des exemples de communautés avec une identité affirmée qui sont plus petites ou plus grandes que la langue qu’elles parlent, écrit De Wever. Ainsi parlons-nous néerlandais, mais ne sommes-nous pas Hollandais. » Difficile aussi de lier cette identité à la terre, à la culture ou la religion : c’est un peu tout ça la à la fois, en réalité. Bart De Wever se réfère aux travaux du professeur Anthony D. Smith, de la London School of Economics, qui définit ces conditions : une communauté doit se donner un nom, s’accorder sur un passé partagé (un récit qui ne correspond pas nécessairement à la réalité, un storytelling mythologique), un territoire considéré comme une maison, un cadre de référence culturel (langue, médias, humour…) et la volonté d’appartenir à cette communauté.
Les deux cadres de référence, belge ou flamand, peuvent a priori répondre à ces critères. » Est-ce problématique ? Non, rétorque le nationaliste. La plupart des Flamands s’identifieront sans problème en tant que Flamand et Belge et n’y verront pas de contradiction. » On peut soutenir une semaine les Diables Rouges et chanter le Vlaamse Leeuw la semaine suivante au Tour des Flandres, souligne-t-il. Ajoutant que bien des critères sont en voie de disparition pour la Belgique : seuls restent quelques symboles (chocolat, moules-frites, Diables Rouges, Manneken-Pis, Atomium, famille royale).
Plus de langue commune, plus de média national, plus d’élite universitaire… le pays s’évapore. Et les évolutions institutionnelles sont sans cesse too little, too late. Le » non » systématique des élites francophones à faire évoluer le pays renforce l’identité flamande. Il n’y a plus de retour en arrière possible. » L’identité belge est devenue trop faible pour construire une citoyenneté adulte, estime De Wever. Se considérer comme Flamand, par le passé, était un acte politique. » Aujourd’hui, c’est une évidence, même pour les opposants de gauche.
Retrouver l’histoire européenne
Va-t-on, dans le même temps, vers une communauté plus large ? Si l’Europe a un nom, l’idée d’un passé commun et un territoire, analyse De Wever, le cadre de référence culturel est sous pression et n’est plus partagé que par une élite. Un large fossé s’est creusé avec une classe moyenne » effrayée par la perte de bien-être, l’aliénation culturelle et des structures technocratiques opaques « . Le président de la N-VA regrette que » l’élite europhile » crée son récit au départ d’un » imaginaire antinationaliste « . Selon lui, les pro-Européens veulent créer un avenir sans passé, au départ de la Seconde Guerre mondiale et des chambres à gaz : » A Auschwitz, l’horloge de l’Europe s’est arrêtée et celle de l’Union européenne a commencé son tic-tac. »
Ce mythe, dit-il, était indispensable pour faire monter l’Allemagne à bord, mais il a servi aussi à créer de la peur par rapport à notre identité et à perpétuer la honte… » En coupant le lien entre l’Union européenne et l’histoire européenne, on a créé un fossé entre l’Europe et l’Union européenne. » Idem avec l’adhésion des nouveaux pays dont on fait souvent fi de l’histoire récente ( » l’année d’adhésion à l’Union devient l’année zéro « ). » Si on veut construire une Europe unie, on doit le faire en reprenant l’histoire en considération. On doit retourner à la naissance des Etats européens modernes après la paix de Westphalie (en 1648). » Bref, il convient de revenir à la glorieuse naissance des nations.
Bart De Wever met en garde en rappelant le déclin de l’Empire romain : » Ce processus s’est déroulé sur plusieurs générations et personne ou presque n’en était conscient. » Les raisons sont multiples. » Mais le plus grand problème de Rome était que l’Empire était devenu poreux. Les légions ne pouvaient plus protéger les frontières. » La capacité d’absorption de l’Empire n’a pas suivi. Les nouveaux venus ont prêté allégeance aux barons locaux. » La fin de Rome a été un fait quand les habitants de l’Empire n’ont plus cru au mythe de Rome. » Une comparaison peut être faite avec l’évolution multiculturelle de l’Europe actuelle : » La crise migratoire de 2015 a été un catalyseur « , prévient-il. L’accès à l’Europe est devenu » une loterie » et le continent a perdu le contrôle de ses frontières. » A Anvers, plus de la moitié de la population est d’origine étrangère et ce nombre croît d’environ 1 % par an. Pour beaucoup de gens, c’est une évolution ahurissante. » Il s’agit donc de » faire communauté « , de bâtir un » nous moderne « … Voilà la notion de » nationalisme » inclusif chère à la N-VA, qui consiste à assimiler, peu à peu. Comme à Rome.
« La domination des Lumières »
Le dernier chapitre du livre interpelle : Plaidoyer pour une culture dominante. Convoquant Nietzsche, le leader nationaliste dénonce le substrat de valeurs religieuses qui persistent dans nos sociétés : » C’est une morale chrétienne sans Dieu. » Car Dieu a été tué par la connaissance. L’impact n’est pas mince sur notre culture, devenue profane et banale, transformée en objet de consommation de masse. Pour Nietzsche, c’est » une culture nihiliste « , sans valeurs morales, où tout se vaut, y compris les expressions les moins pertinentes. Résultat ? Un désarroi identitaire. Qui nécessite de nouvelles sources d’inspiration, un nouveau cadre de référence, d’autant qu’il fait face à d’autres cadres de référence très forts, la religion juive orthodoxe ou l’islam radical. » Nous semblons ne pas avoir de réponse, dit Bart De Wever. Parce que le choix du salafisme n’est-il pas l’expression de la sacro-sainte liberté individuelle ? A partir de quel cadre de référence le condamner ? »
Il faut puiser dans les représentations mythiques du passé un méta-récit qui peut servir de ciment à notre société actuelle. Et le patron de la N-VA paraphrase le Romain Cicéron : » Ceux qui ne connaissent plus leur passé sont condamnés à vivre éternellement comme des enfants. » Avant de se référer au sociologue américain Francis Fukuyama, qui prône la construction d’une identité nationale sur base de la tradition, des valeurs des Lumières. Ainsi est-il difficilement compréhensible qu’on s’indigne d’un débat sur l’interdiction de la burqa, selon lui. Idem pour cette norme inaliénable, forgée par des siècles d’habitude et de convivialité : il semble évident, dans nos sociétés, qu’on accepte de donner la main en signe de respect. » Nous devons extraire une religion civile de notre société elle-même, transformer les valeurs des Lumières en un marqueur qui montre le chemin de notre avenir partagé « , insiste Bart De Wever. Qui précise : » Une culture dominante domine, elle ne force rien. »
Cette notion de » culture dominante » est issue de Europa Ohne Identität ?, publié en 1998 par le politologue germano-syrien Bassam Tibi. » Vingt ans après, il est frappant de voir combien ce livre était juste « , clame De Wever. Le politologue insistait également sur la construction d’un islam européen acceptant quatre valeurs fondamentales : séparation de l’Eglise et de l’Etat ; tolérance à l’égard des non-croyants et des autres fois ; renoncement aux concepts de djihad et de sharia ; acceptation qu’aucune communauté ne peut prétendre connaître la vérité absolue. Les principes des Lumières, poursuit Bart De Wever, sont la neutralité de l’autorité publique, la force contraignante de la langue, le respect des valeurs (liberté, égalité, solidarité, séparation des pouvoirs, souveraineté du peuple) et la citoyenneté.
» Nous devons en être fiers « , plaide le président de la N-VA. Comme Alexis de Tocqueville ( De la démocratie en Amérique), il insiste sur la nécessité de veiller à l’homogénéité de la société. Qui, à ses yeux, n’est plus belge, mais flamande et européenne.
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