L’énigme Marcourt
Il ne se départit jamais de sa cravate ni de cet air sérieux, voire austère. Jean-Claude Marcourt est pourtant populaire. A sa manière. Le ministre PS de l’Economie et de l’Enseignement supérieur n’en est pas à un paradoxe près. Rarement un homme politique aura autant été à la fois tout et son contraire.
Des cadres. Partout. Une silhouette féminine chamarrée, une affiche du festival de Cannes, un portrait de lui-même coincé derrière la bibliothèque. Un cadeau, qui n’a pas encore trouvé sa place au mur. Jean-Claude Marcourt a pourtant pris soin de retourner deux tableaux, dressés d’habitude derrière la porte d’entrée de son bureau. Le roi Baudouin et la reine Fabiola fumant le cigare. Comme un réflexe : ne rien laisser paraître, ne pas se laisser cerner. Le Citizen Kane de la politique wallonne. L’incontournable que personne ne connaît. Le mystérieux pourtant au premier plan depuis douze ans. L’énigmatique.
« Je ne recherche pas la lumière pour la lumière. » Les sondages l’auraient bien dit. Une lointaine 25e place dans la dernière fournée du baromètre RTBF-La Libre, une 14e dans celui du Soir-Ipos-RTL. Impopulaire… faiseur de voix : 38 460 engrangées aux élections régionales de 2014. Soit 10 500 de moins que Paul Magnette, mais un deuxième meilleur score tout de même. « J’étais aussi le deuxième meilleur score à l’Europe en 2009, derrière Louis Michel. » Rien à faire. L’image d’un mal-aimé des urnes lui colle encore au corps.
Pour s’en défaire, il ne ménage pourtant pas ses efforts. Citant à la première occasion sa choucroute du Nouvel An, ses Paroles de printemps ou sa fête des voisins, qui font toujours le plein. Signalant qu’il pousse lui-même le chariot au supermarché, « c’est important, on peut m’interpeller ». Mentionnant à quel point c’est « extraordinaire d’aller parler aux gens ».
Des loges aux soupers boudins
Dans les faits, « il paraît hautain pour certains, timide pour d’autres. Il dégage un côté sérieux, qui fait que les gens peuvent se demander : »Je vais lui dire bonjour ou pas ? » Il n’est pas charismatique comme Elio ou Paul Magnette », décrit son ami Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris. « Je pense qu’il a une très grande sensibilité. Mais elle est enfouie derrière une forme de protection », constate Willy Demeyer, bourgmestre de Liège. « Jean-Claude est plus à l’aise dans les loges du Standard (dont il est fan) qu’à des soupers boudins », estime un extérieur au PS. « Celui qui dit ça, c’est qu’il ne vient pas aux soupers boudins », réplique l’intéressé.
« On ne peut pas faire de quelqu’un ce qu’il n’est pas. En même temps, pas besoin d’être George Clooney pour gérer l’économie wallonne ! » lance le dessinateur politique Pierre Kroll, dont la première rencontre avec le ministre remonte aux… louveteaux de Loncin. « Dans l’émission Un samedi d’enfer sur La Première, j’avais proposé de l’inviter. On m’a répondu « pas marrant ! » Effectivement, ce n’était pas supermarrant. »
L’humour, Jean-Claude Marcourt le manie pourtant. Mais version grinçant, cinglant, voire vexant. A la manière d’un Didier Reynders, à qui plusieurs le comparent. « C’est le genre de personne qui pourrait perdre un ami pour un bon mot », dépeint Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne. « Je le reconnais, confesse le ministre. Pour une remarque, je peux blesser. Après, je le suis moi-même, mais c’est trop tard. »
Rabatteur de caquets
Le Liégeois n’est pas tribun, mais il est par contre grand maître dans l’art de rabrouer. Surtout des députés. Les questions-réponses, pas sa tasse de thé. D’ailleurs, il collectionne les interpellations sans retour. « Parfois, on a le sentiment que le parlement l’emmerde copieusement, il a du mal à se faire à ses codes », pointe la libérale Christine Defraigne. « Il n’aime pas ça, il a l’impression de perdre son temps et peut se montrer assez rapidement méprisant », abonde l’Ecolo Philippe Henry.
Jean-Claude Marcourt réprime un sourire. « Je n’ai jamais vécu l’expérience d’un parlementaire, c’est quelque chose de très différent que de siéger dans un exécutif. » De fait, il fait partie de ceux qui atterrissent à un poste ministériel sans avoir jamais inscrit leur nom sur une liste électorale. C’était en 2004. Mais avant qu’Elio Di Rupo ne lui offre l’Economie, cet avocat n’était pas non plus novice. Guy Mathot lui avait mis le pied à l’étrier, en 1992. Il rejoindra par la suite les écuries de Bernard Anselme, Jean-Claude Van Cauwenberghe, Elio Di Rupo puis Laurette Onkelinx. Partout, il laissa le souvenir d’un chef de cabinet modèle. Bosseur. Tacticien. Sérieux. Son surnom : Richelieu. « L’un des hommes de l’ombre les plus influents et les plus écoutés », relatait à l’époque la presse.
De l’unanimité des coulisses à l’exposition sans filet de la scène, le cheminement personnel fut donc laborieux. Pourtant, si les greffes d’ex-cabinettards sur le terreau politique prennent rarement, la sienne a réussi à germer. « Quand Elio Di Rupo m’a dit « j’aimerais que tu le fasses », j’ai répondu oui, sans en mesurer les conséquences », confie celui qui refuse d’être « asservi par le système médiatique ». « C’est quand même un des ministres, tous niveaux de pouvoirs confondus, qui fait le moins de vagues extrapolitiques », observe un Ecolo.
L’art de l’intimidation
Qu’on ne retienne de lui que son côté hautain l’a fait souffrir. Mais il semble aussi en jouer. « Il faut le voir quitter son siège pour aller à la tribune au parlement, raconte le député libéral Olivier Destrebecq. Une démarche entre Alain Delon et Aldo Maccione. Son corps suffit à exprimer la haute estime qu’il a de lui-même. » Afficher sa supériorité pour mieux intimider. Rares sont ceux qui osent l’affronter. « Il faut lui répondre du tac au tac, ne pas se laisser impressionner », décrypte Christine Defraigne, qui admet « beaucoup l’apprécier ». « Il aime avoir quelqu’un qui a le même caractère en face de lui, ajoute Brieuc Wathelet, président de la FEF (Fédération des étudiants francophones). Il marche au rapport de force. » La médiocrité l’ennuie, lui dont l’intelligence est unanimement saluée. « C’est un grand cerveau. En politique, il faut avouer qu’il n’y en a plus des masses… Il comprend tout, tout de suite, et a une énorme culture générale. » Que de louanges, de la part d’un représentant de l’opposition.
Les véritables ennemis se cachent souvent dans la sphère familiale. Jean-Claude Marcourt n’eut qu’un seul adversaire notoire : Michel Daerden. Pour expliquer la rigidité du premier, beaucoup la comparent à la frivolité du second. Ils s’étaient affrontés en 2009 pour une tête de liste régionale. « Papa » l’avait emporté, les deux étaient quand même devenus ministres. « Je me souviendrai toujours de la Daerdenmania, évoque un observateur. Dans les faits, Marcourt était presque omnipotent mais, dans les médias, personne ne se préoccupait de lui. »
« Richelieu » ne crache pourtant pas sur un petit verre. « Il n’est pas le dernier pour la convivialité », dixit Jean-Marc Namotte, secrétaire fédéral de la CSC liégeoise. « Il ne va pas non plus danser sur les tables et faire tourner les serviettes », complètent deux proches. Celui qui le verra sans son costume n’est pas encore né. Ce qui n’empêche pas ce grand fan de rock de « frétiller comme un adolescent au concert d’Iggy Pop aux Ardentes », relate son collègue Christophe Lacroix (PS). Ou d’aller voir Muse à Anvers, « dans la foule, hein, pas dans les VIP », sourit Jean-Michel Javaux, qui l’accompagnait.
Marcourt versus Demotte
De Michel Daerden, Jean-Claude Marcourt a toutefois copié un trait, selon Jean-Pascal Labille. « Veiller à ne se brouiller avec personne. Il sait que les routes sont longues. » Il faut creuser pour déterrer quelques animosités franchement affichées. L’entente avec Rudy Demotte ne serait pas toujours cordiale. Surtout sous la précédente législature. « Dès qu’il y a des nuances, on grossit le trait, peste le ministre liégeois. Nos rapports sont excellents. Et puis, on n’est pas obligé de partir en vacances avec tout le monde. Quoique, nous nous y sommes déjà croisés. » « Avec Demotte, c’était vraiment affreux, affirme cependant un témoin. Même s’ils n’en sont jamais venus aux mains, il y avait une réelle antipathie, c’était très dur. André Antoine savait en jouer et foutre la merde. Cela a empêché qu’il y ait un véritable leader. »
Au sein du gouvernement actuel, les relations coulent davantage comme un fleuve tranquille. Rien à signaler côté Paul Magnette. « Au sein d’une coalition, forcément, des clivages surgissent. Jean-Claude peut alors devenir la vraie tête de pont socialiste et incarner notre vision, tandis que Paul va faire la synthèse », note Christophe Lacroix. Côté CDH, la rumeur veut qu’il ne porte pas spécialement Philippe Buelen, chef de cabinet de Maxime Prévot, dans son coeur.
Particularité rare chez un ministre de l’Economie : Jean-Claude Marcourt est tout autant apprécié chez les syndicats que par les patrons. Aussi bien ami de Francis Gomez, président de la FGTB Liège-Huy-Waremme, que de Jean-Pierre Hansen, ancien CEO d’Electrabel. Les dirigeants perçoivent en lui un « socialiste libéral ». « Les sociétés savent que sa porte est toujours ouverte, il est très accessible », souligne Vincent Reuter, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises. Les syndicats, eux, sanctifient ses valeurs résolument gauchères. « Il est le seul à rentrer à la FGTB sans que quelqu’un lui fasse la moindre critique », certifie Francis Gomez.
Même s’il fut un temps surnommé « le ministre de la FGTB », les liens avec la CSC ne sont pas distendus. « Nos relations de travail sont excellentes, assure Jean-Marc Namotte. Il est à l’écoute, accessible. Avec lui, il n’y a pas d’heure : un rendez-vous peut être pris à 7 h ou 21 h. Il faut le convaincre, évidemment. Notre dossier doit être très bon. Alors qu’à la maison d’en face, il doit juste être défendable. »
Sur ArcelorMittal, Jean-Claude Marcourt aurait pu se casser les dents. Il a longtemps craint d’y jouer sa carrière à quitte ou double. Quitte, il n’a pas réussi à sauver la sidérurgie. Double, ni patronat ni syndicats ne lui en tiennent rigueur, conscients qu’il se battait certes comme un lion, mais à armes inégales. Son nom reste aussi associé au décret Paysage, la réforme de l’enseignement supérieur qui n’a pas fait que des heureux, notamment chez les étudiants. « Il nous entend, mais ne nous écoute pas », soupire Brieuc Wathelet (FEF). « Il est capable d’assumer une communication difficile et un positionnement impopulaire », relève Philippe Henry.
Une seule parole
Sa force de travail impose le respect. « Il est capable d’assister à une réunion ministérielle à huit heures du matin alors qu’il a atterri à Zaventem à sept heures et qu’il a le décalage horaire dans la vue. Impressionnant ! » Avec lui, un accord est un accord. « Pas besoin d’écrit, atteste le socialiste Claude Parmentier, qui le connaît depuis le cabinet Mathot. Mais il attend la même chose des autres. » Fin négociateur, il ne pratique guère le marchandage. Ou presque pas. Une « volonté de traiter les dossiers selon leur mérite propre », héritée de son passé de cabinettard, même si « dire que cela n’arrive jamais serait trahir la réalité », accorde-t-il.
JCM n’a pas fait exception à sa règle pour le tram. Sur ce dossier capital pour les socialistes liégeois, il n’est pas publiquement monté au créneau. Encore un « paradoxe Marcourt » : il parle quand on ne s’y attend pas. Comme pour affirmer haut et fort « qu’il ne faut pas trop donner de pouvoir aux juges, sinon ils l’utilisent », se muant en avocat d’Alain Mathot, à qui il voue une affection à toute épreuve depuis le décès de son père. « Il n’hésite pas à prendre la défense de personnes très vilipendées s’il estime qu’on tire injustement sur elles, témoigne Bernard Rentier, ancien recteur de l’ULg. Je l’ai encore constaté avec Joëlle Milquet. »
Le pacificateur. Sans lui, quelques socialistes liégeois ne se parleraient pas. « C’est un des rares à parler à Willy Demeyer et à Jean-Pascal Labille », signale Frédéric Daerden. Unique relais liégeois à la Région et au-delà (il a, paraît-il, l’oreille d’Elio Di Rupo), il pourrait revendiquer le pouvoir à la fédération. « Je suis ministre, ça me prend tout mon temps. » « C’est un manque d’audace ! », tance Jean-Pascal Labille. « Jean-Claude est plus pour l’évolution que la révolution », glisse Frédéric Daerden.
Bourgmestre ou président ?
« Et puis à Liège, qu’est-ce qu’il a ? Rien ! enchaîne un autre socialiste. La popularité dans la ville, c’est Willy. » Ce qui n’empêche pas plusieurs de l’imaginer bourgmestre pour terminer sa carrière. « J’ai de grandes ambitions pour ma ville, j’en suis passionné, je m’investirai dans la campagne », se contente-t-il de répondre. « Je lui ai dit : ce serait formidable, s’enthousiasme Francis Gomez. Lui ne dit ni oui, ni non. Même si on sent que ses ambitions sont plutôt régionales que locales. Il aura 60 ans cette année, il ne lui reste pas grand-chose comme opportunités. »
La présidence du gouvernement wallon, il y penserait en se rasant tous les matins, selon certains. Il l’avait briguée, en 2014. Ce sera en 2019 ou jamais. « Tout le monde sait ce qu’il veut, insiste un camarade. Et il l’aurait eu si le PS était resté au fédéral ». Lui réfute tout plan de carrière. « Je n’ai jamais dit que c’était mon ambition ultime. » Beaucoup l’y verraient bien. « Il en a la stature. » Paradoxal, pour quelqu’un qui serait si peu charismatique. Citizen Marcourt est décidément insondable.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici