Carte blanche
L’antisémitisme n’est pas « l’affaire » des seuls juifs
Le 16 novembre dernier, Talal Magri, un enseignant de religion islamique à Huy, a relayé sur sa page Facebook une vidéo appelant au djihad contre les juifs. On y apercevait un imam aveugle, la barbe bien fournie, prêchant l’extermination des juifs. Vérification faite, il s’agit de Fadi Dali (Fadi al-Daly), populaire prédicateur de Gaza reconnu pour sa « voix en or », presque hypnotique, dont les messages sont clairs et univoques: les juifs méritent la mort parce que juifs.
Les racines de cette animosité remontent aussi loin qu’à l’époque prophétique. En effet, l’orthodoxie islamique soutient l’idée que des tribus juives ont trahi le prophète Mohamed (570-632) au moment où ce dernier chassé de La Mecque trouve refuge à Médine. Par conséquent, il revient à chaque musulman où qu’il soit de venger la figure prophétique, et ce, à n’importe quel moment. Toutefois, il convient de rappeler que les relations entre juifs et musulmans, à travers l’histoire, riches, complexes et contradictoires n’ont pas été marquées par une opposition permanente et frontale. Cependant, de nos jours, il n’est pas rare que la rhétorique guerrière refasse surface. Il est même devenu « banal » au sens où l’entendait Hannah Arendt de l’utiliser. Cette façon de recourir au texte coranique décontextualisé pour légitimer la violence contemporaine est certainement l’arme la plus redoutable des mouvements terroristes islamistes à travers le monde, responsables de la violence et du recul de nos libertés.
Revenons à Talal Magri. Quel sens donner à son geste? Peut-on raisonnablement croire à une simple erreur de jugement, à une étourderie, comme il l’a prétendu, au départ, lorsqu’un journaliste l’a interpellé sur sa publication. Certainement pas. Magri n’est pas un illustre inconnu dans le paysage politique belge. Tête de liste du parti Islam aux élections communales de 2018, il en était aussi le porte-parole. Il suffit de rappeler que son parti prônait l’application de la charia en Belgique (y compris pour les non musulmans) pour se convaincre du caractère radical et violent de ses positions. On retrouve dans la matrice idéologique du parti Islam ce qui fonde la doctrine de l’islam politique : la haine des femmes, le rejet de l’altérité et le refus de la pluralité. C’est à cela que l’on reconnaît un projet totalitaire. Il est même inquiétant que ce politicien assumé se soit frayé un chemin dans le milieu de l’éducation. Ce qui est encore plus déroutant c’est l’attitude qu’affichent nos démocraties vis-à-vis des partis de cette nature. Comme si la seule posture face à l’intolérance devait être la tolérance.
En Belgique, l’organisation de l’enseignement de la religion islamique dans les écoles publiques -désignation des enseignants et inspection des cours- revient à l’Exécutif des musulmans de Belgique, instance reconnue et subsidiée par les pouvoirs publics. En effet, on ne peut que questionner la candidature de Talal Magri pour occuper une telle fonction. D’autant plus que cet Exécutif est aussi responsable du recrutement et de la formation des imams.
L’enjeu qui est soulevé, ici, par le cas Magri, dépasse largement sa personne. Se référer au texte coranique tous azimuts, sans égards aux principes et aux valeurs démocratiques, est un phénomène qui est largement observable en Belgique comme ailleurs. Nous estimons que toutes références aux versets coraniques appelant à la violence, à la mise à mort des homosexuels, des apostats et des juifs doivent être abandonnées si tel n’est pas déjà le cas. D’ailleurs, nous suggérons l’élaboration d’une Charte qui établit, clairement, la responsabilité de l’enseignant et de l’imam à ne pas exposer leurs publics à une quelconque littérature haineuse ou violente fut-elle religieuse. Cette Charte peut également comprendre un volet consacré à la propagande haineuse qui circule en toute impunité dans les librairies »religieuses » ainsi que dans les prisons. En Allemagne, les actes antisémites dans les écoles sont en constante augmentation et émanent de plus en plus d’élèves ayant un héritage musulman. On parle désormais d’un antisémitisme scolaire qui menace la coexistence des élèves dans les établissements et dans la société. Que dire de l’antisémitisme meurtrier qui en France tout comme aux États -unis et en Belgique fait de plus en plus de morts ?
Surtout, que l’on ne se trompe pas sur le caractère de notre démarche. Que les choses soient claires. Notre objectif n’est aucunement de nature à jeter l’opprobre sur nos concitoyens attachés à l’islam. Ces derniers méritent notre respect et leurs enfants, un enseignement de qualité. Attachés à l’humanisme des Lumières, nous privilégions une approche citoyenne de l’éducation. La tentation obscurantiste tout comme la montée du racisme et de la xénophobie doivent être combattus intellectuellement. Pour y résister, nos enfants doivent détenir une profonde culture humaniste qui les prépare à la pensée d’un Averroès, d’un Voltaire et d’un Kant. Nous considérons que le cours de Philosophie et de citoyenneté doit répondre à cette exigence. Cet enseignement doit devenir un cours obligatoire et ce pour une durée de deux heures par semaine dans les systèmes public et confessionnel subsidié.
A l’évidence l’antisémitisme n’est pas « l’affaire » des seuls juifs. Ce combat doit devenir la priorité de chacune et chacun, de toutes et tous. Car notre humanité est avant toute chose une communauté de destin.
Malika Akhdim, militante féministe et laïque
Kamel Bencheikh, poète et écrivain
Djemila Benhabib, politologue et écrivaine
Yeter Celili, militante féministe et laïque
Soade Chérifi, enseignante et coach
Bahareh Dibadj, psychologue
Radouane El Baroudi, cameraman
Smain Goudane, militant laïque
Marie Myriam Ibn Arabi, professeur
Mohamed Louizi, ingénieur et essayiste
Fadila Maaroufi, anthropologue et travailleuse sociale
Jamila Si M’Hammed, psychiatre, présidente du Comité belge Ni Putes Ni Soumises
Sam Touzani, artiste-citoyen
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