Karel De Gucht © Lies Willaert

Karel De Gucht : « l’avortement et l’euthanasie reviendront inévitablement sur la table »

Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

L’ancien homme politique Karel De Gucht (Open VLD) croit aux chances du nouveau gouvernement dirigé par son collègue de parti Alexander De Croo. « Un accord gouvernemental entre la N-VA et le PS aurait tourné au pacte diabolique. »

Karel De Gucht exclut un come-back à la Frank Vandenbroucke – « à soixante ans, j’ai décidé de dire adieu à la politique active » – mais l’ancien président de parti, ministre des Affaires étrangères et commissaire européen trouve que c’est une bonne chose qu’il y ait enfin un gouvernement fédéral, et qu’en plus il soit dirigé par Alexander De Croo. « Il était grand temps. La situation anormale d’un pays sans gouvernement a duré beaucoup trop longtemps. D’accord, dans ce gouvernement Vivaldi composé de sept partis (NDLR : Open VLD, MR, sp.a, PS, Groen, Ecolo et CD&V) tous les partenaires de la coalition ont mis de l’eau dans leur vin. Mais la Vivaldi ne pouvait qu’être un gouvernement de compromis. »

Auparavant, la N-VA et le PS avaient conclu un accord où ils se rencontraient à mi-chemin : avec un gouvernement N-VA-PS, il y aurait également eu une forme de politique du centre.

Karel De Gucht: Voilà une affirmation hardie. Le PS et la N-VA n’étaient d’accord que sur certains points de départ, alors que ce gouvernement Vivaldi part d’un accord bien négocié. Personnellement, j’avais beaucoup de mal avec cette combinaison N-VA-PS. Un accord gouvernemental entre ces deux partis aurait tourné au pacte diabolique. La N-VA aurait dû faire des concessions socio-économiques au PS, et le PS aurait dû approuver un démantèlement poussé de la Belgique. C’est pourquoi, durant les semaines où l’Open VLD négociait avec le PS et la N-VA, je n’étais pas favorable à cette coalition bourguignonne. Dès le début, j’étais partisan d’une coalition arc-en-ciel. D’autres l’étaient : à l’origine, Egbert Lachaert était favorable à une coalition bourguignonne, mais il a perdu tout appétit durant les négociations.

La sortie ultime de Bart De Wever à l’adresse des libéraux flamands était de trop.

La façon dont De Wever nous a offensés était vraiment inapproprié. Au fond, il a dit aux membres de l’Open VLD : « si vous voulez conclure un accord avec moi, vous avez le choix de répondre oui ou non à mon offre. » Comme s’il venait nous expliquer les tarifs d’électricité pour les prochaines années. Mais convenir d’un accord gouvernemental n’est pas pareil que de parcourir des conditions de vente non-négociables. Ce n’était pas uniquement un mauvais calcul intellectuel de la part de Bart De Wever. Ces dernières années, il a commis plusieurs erreurs de ce type. Il ne peut s’empêcher d’offenser les gens. Il a aussi le chic pour dévoiler le contenu d’entretien confidentiels à la presse, que ce soit ou non en les mettant à sa sauce.

Qu’est-ce qui vous attire tant dans la Vivaldi ?

Au gouvernement Michel, la N-VA s’est révélée un partenaire non fiable. La façon dont ce parti est sorti de ce gouvernement à cause dudit pacte de Marrakech révèle qu’il est très difficile de construire sur la N-VA. Bart De Wever l’a à nouveau clairement fait comprendre quand il a proposé au PS de former un gouvernement pour à peine deux ans. La N-VA n’est tout simplement pas capable de finir un mandat. C’est quoi, un gouvernement pour deux ans ? Ce genre de cabinet ne va pas diriger le pays pendant deux ans. Un an après, ils sont déjà en mode campagne pré-électorale. En outre, j’ai beaucoup de mal avec certains politiciens de la N-VA. Theo Francken a un côté grossier, et en tant que libéral pur-sang, je ne peux pas me réconcilier avec sa vision de la société.

Sa politique à l’Asile et à la Migration était-elle si différente de celle de Maggie De Block (Open VLD)? Ou est-ce surtout sa rhétorique qui vous heurte ?

Un Secrétaire d’état à l’Asile et à la Migration, quel que soit son parti, n’a pas vraiment de prise sur l’output de sa politique : le renvoi ou non de demandeurs d’asile déboutés, dépend de la volonté des autres pays de reprendre ces personnes. Mais le discours de Francken, sa volonté de stigmatiser ces personnes, me dérange énormément.

Bart De Wever aussi m’a énervé en tentant pendant des semaines de former un gouvernement avec le Vlaams Belang, complété par « quelque chose ». Je suis profondément dérangé par les partis qui disent que, dès que ce sera mathématiquement possible, ils formeront un gouvernement avec le Vlaams Belang. C’est donc intéressant et politiquement pertinent de se demander comment aujourd’hui on peut faire en sorte que la N-VA et le Vlaams Belang ne gouverneront pas ensemble en 2024. Je pense que ça ira mieux en gardant la N-VA hors du gouvernement. Je ne crois donc pas aux critiques qui disent qu’en 2024 la Vivaldi mènera automatiquement à une victoire électorale de droite. Si ce gouvernement boucle un parcours acceptable, avec un Premier ministre crédible, la formation de la Vivaldi aura été un choix plus intelligent que de se réengager avec la N-VA, car celle-ci risquerait à nouveau de laisser tomber le gouvernement dans la dernière ligne droite vers le gouvernement.

C’est pour cette raison qu’il fallait que ce soit la Vivaldi pour vous ?

Je ne voyais pas pourquoi les partis qui ont conclu un accord gouvernemental ne pourraient pas aboutir à une bonne collaboration. Cela n’a rien à voir avec une tentative de mener une politique anti-N-VA, par exemple en refédéralisant du jour au lendemain.

Annelies Verlinden (CD&V), la nouvelle ministre de l’Intérieur, déclare qu’une réforme de l’État dans les deux sens est possible, et qu’il n’y a « pas de tabous ».

C’est surtout le président du MR Georges-Louis Bouchez qui joue avec cette idée. Je ne suis pas flamingant, mais je ne suis pas belgicain non plus. Ce serait anti-historique. On ne peut inverser le cours de l’histoire.

Le 26 mai 2019, les libéraux ont perdu plus de 2% des voix et deux sièges à la Chambre.

Le parti n’est certainement pas en plein boom. En même temps, Alexander De Croo a réussi à obtenir plus de 80 000 voix de préférence dans sa province, plus que n’importe quel libéral flamand. Cela a joué aussi, pas le moins dans l’esprit d’Alexander De Croo lui-même. C’est la grande différence avec un gouvernement dirigé par Gwendolyn Rutten : l’Open VLD ne se serait pas rangé derrière elle, tel que c’est le cas aujourd’hui avec Alexander De Croo.

Alexander De Croo aussi a grandi: il a évolué de président de parti présomptueux qui a tiré la prise en 2010 à un vice-Premier ministre devenu presque « un leader naturel ».

L’histoire a ses droits: Alexander n’est pas le seul Open VLD à avoir décidé de quitter les négociations sur BHV. C’était une erreur collective, mais de l’eau a coulé sous les ponts. Alexander a débuté son mandat au gouvernement Michel comme vice-premier ministre ayant peu de compétences. Il a montré qu’il est capable d’élargir un mandat politique à un discours de société. Il a aussi fait de l’aide au développement une question de droit des femmes.

Aujourd’hui, la façon dont on juge un gouvernement dépend de plus en plus de la personne du Premier ministre. C’est pour cette raison que je trouvais que l’Open VLD ne devait pas entrer dans un gouvernement dirigé par un Premier ministre wallon. Personnellement, je n’ai rien contre Paul Magnette (PS). Je le connais assez bien, il est extrêmement intelligent, très idéologique, ça oui, et tactiquement très habile. Objectivement, Magnette possède la stature pour être Premier ministre, mais dans ces circonstances, cela aurait été un cadeau empoisonné pour tout le monde. Magnette a déclaré lui-même au quotidien De Standaard qu’il comprenait qu’un Premier ministre wallon et certainement socialiste, aurait causé des problèmes. Il fallait donc que le nouveau Premier ministre soit flamand. De tous les Flamands qui entraient en ligne de compte, Alexander De Croo était sans aucun doute l’homme qui suscitait le plus le consensus. C’est le moment idéal de mener à bien sa mission, car ce sera bien sûr extrêmement difficile.

Karel De Gucht
Karel De Gucht© Lies Willaert

Pour la première fois, les dossiers éthiques – avortement, euthanasie – ont pesé sur la formation du gouvernement. Contrairement aux partis arc-en-ciel, le CD&V ne veut pas d’assouplissement ou d’élargissement. Pour l’instant, il semble avoir eu gain de cause.

Cette fois, les partis arc-en-ciel ont cédé à l’exigence de Joachim Coens que l’on décidera que par consensus des thèmes éthiques. Je trouve que c’est une stratégie sans beaucoup de vision. On ne peut pas empêcher une société de continuer à évoluer. L’avortement et l’euthanasie reviendront inévitablement sur la table.

Vous accordez beaucoup d’importance à ces thèmes éthiques.

Je ne suis pas le seul. L’un de mes parents est décédé alors qu’il était dément, une expérience vécue par beaucoup de familles. Il ne s’agit plus de différend politique, mais de douleur concrète. La souffrance causée par la politique de blocage du CD&V est encore pire pour l’euthanasie que pour l’avortement. Une femme enceinte de seize semaines et qui n’a plus droit à l’avortement en Belgique, peut se rendre aux Pays-Bas. Les personnes qui veulent l’euthanasie sont généralement clouées au lit. Parfois on les transfère en pleine nuit d’hôpitaux catholiques bruxellois vers la clinique de la VUB. Pourquoi ? Pour moi et pour de nombreux compatriotes, l’euthanasie fait déjà partie de nos expériences de la mort. Il y a quelques années, mon fils Jean-Jacques a participé à l’initiative d’élargir la loi sur l’euthanasie. Aujourd’hui nous sommes devant l’extension de la loi vers les personnes démentes. L’exécution n’en est pas simple, mais il y a beaucoup d’adhésion à l’idée: toutes les familles sont confrontées à la réalité des personnes démentes. Pour cette raison, on ne peut pas continuer à bloquer la discussion.

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