La chasse à l'homme se poursuit. © Belga

Jürgen Conings, un sniper potentiellement dangereux: profilage et hypothèses

Olivier Mouton Journaliste

Le parquet évoque un « mécanisme suspect » dans la voiture du fugitif. Une tentative de profilage du militaire armé recherché dans le Limbourg, réalisée par l’expert en sécurité Claude Moniquet, tente de dresser son profil psychologique et élabore quatre hypothèses.

La chasse à l’homme se poursuit dans le Limbourg, à la recherche de Jürgen Conings, ce militaire évanoui depuis le début de semaine. Toujours en vain jusqu’ici. Armé, il a menacé de s’en prendre aux structures de l’Etat et à plusieurs personnalités.

Le parquet vient de communiquer, vendredi après-midi, ce qui suit: « Les fouilles des zones les plus intéressantes pour l’enquête au sein du parc national de la Haute Campine ont été achevées au cours de la nuit dernière. Elles n’ont pas permis pour l’instant de retrouver l’individu recherché.Après cette phase, l’enquête se poursuit désormais, d’une manière moins visible, à différents endroits et avec différentes méthodes. Pour des raisons liées à l’enquête et à l’instruction, aucun autre commentaire ne sera donné pour l’instant. L’accès au parc demeure interdit. L’individu recherché est considéré comme potentiellement dangereux. De nouvelles évaluations portant sur son véhicule, ont montré l’existence d’un mécanisme suspect. Le rapport technique destiné à en connaître les effets potentiels, est encore attendu. »

Le regard d’un expert indépendant

Claude Moniquet, expert en sécurité, a réalisé au nom de son organisme, l’Esisc (European Strategic Intelligence and Security Center), et à la demande d’un « client », une tentative de profilage de l’homme le plus recherché du moment. Il s’agit, précise-t-il, d’un portrait réalisé sur base des informatins publiques et sur base e conversations avec des sources ayant une bonne connaissance du dossier.

Il ne s’agit bien sûr, en rien, d’un document officiel ou d’une source qui serait validée par les enquêteurs qui tentent de le retrouver ou qui analysent son cas, ce n’est là qu’une contribution d’un expert indépendant. Qui apporte un regard troublant sur ce que pourrait être le profil de l’homme.

« Jürgen Conings, s’il est bien le « sniper d’élite » qui nous est décrit est forcément un homme froid, calculateur et méticuleux , écrit-il. Le sniper expérimenté prend son temps pour choisir son poste de tir, son arme et les munitions à utiliser ainsi que pour sélectionner ses cibles. En excellente forme physique (ainsi qu’en témoignent les images diffusées dans les médias) il est également doté d’un « mental » très fort. La patience est l’une des caractéristiques premières des tireurs d’élite qui sont parfois amené à attendre 10 ou 12 heures, sans bouger ni se faire repérer, l’ouverture du « créneau » qui permettra son tir. »

L’expert recense une autre caractéristique: « La capacité à anticiper et à prendre en compte et gérer de multiples paramètres : distance taille et déplacements éventuels de la cible, force du vent, humidité de l’air et même rotation de la terre pour les tirs à très longue distance (plus de 1000 mètres), rythme de sa propre respiration et rythme cardiaque. Il doit avoir de plus, la capacité d’analyser ses paramètres à la fois dans le « temps long » (préparation du poste de tir) et dans le temps court : prise en compte immédiate au moment d’exécuter le tir. »

« Enfin, précise l’analyste le sniper est habitué à « travailler » seul ou en binôme, avec un « spotter » (observateur) dans lequel il doit avoir une confiance totale au point que les deux hommes finissent par se fondre dans une seule machine à tuer. Et il est également, bien entendu, habitué à travailler en territoire hostile, parfois derrière les lignes ennemies

« Du point de vue psychique, toutefois on remarquera que les snipers peuvent avoir tendance à développer deux désordres mentaux , poursuit ce profilage: d’abord une grande froideur et une indifférence à la mort qui est infligée de loin, délibérément, en choisissant sa cible et en l’observant un certain temps avant de tirer, ce qui n’est pas une situation de combat classique. Le sniper ne tue pas sous l’effet de l’adrénaline ou pour protéger sa vie: il planifie et exécute, pour lui, tuer est un acte purement technique et détaché de toute émotion. Ensuite, peut se développer une certaine mégalomanie: s’il a le choix entre plusieurs cibles, c’est le sniper qui décide qui va vivre et qui va mourir. Il est, l’espace d’un instant « Dieu ». »

Ces deux tendances peuvent s’accompagner d’un sentiment d’invulnérabilité, souligne cette analyse: agissant à plusieurs centaines de mètres (jusqu’à 1500 mètres pour les tireurs d’exception) de la cible, le sniper peut se sentir « hors d’atteinte » et « protégé ». »

Voilà l’homme qui a été propulsé, en vingt-quatre heures à la place « d’ennemi numéro 1″de la Belgique.

Quatre hypothèses

Ce profilage sommaire ne serait qu’un jeu intellectuel amusant s’il n’aidait pas à anticiper les mouvements de l’intéressé, prolonge Cmlaude Moniquet.

Qui avance quatre hypothèses classée de la moins probable à la plus probable :

1ère hypothèse : Cunings s’est suicidé ou va se suicider. « C’est évidemment possible mais peu probable: cela ne cadre ni avec les caractéristiques mentales que l’on peut déduire de sa formation ni avec la préparation du passage à l’acte (accumulation des armes, etc). Toutefois si l’importance du déploiement de forces qui le traquent rendait sa « mission » impossible ou s’il était cerné et dans l’incapacité de s’échapper, cette possibilité deviendrait très réelle, mais il est alors probable qu’il choisirait la solution du « suicide par policier » (« suicide by cop », voir hypothèse numéro 3) . »

2ème hypothèse : Il est déjà passé à l’étranger. « C’est peu probable: son ancrage est en Belgique, de même que les cibles qu’il semble vouloir atteindre. A prendre en compte toutefois si l’étranger est une solution de repli de courte durée avant de revenir pour passer à l’action. »

3ème hypothèse: Il est effectivement retranché dans sa région et y attend les forces de l’ordre en vue d’un « baroud final » qui équivaudrait, pour lui, à un « suicide par cop ». « L’ hypothèse est crédible. »

4ème hypothèse : Il est resté dans la région ou non et s’apprête à passer à l’acte contre une cible choisie. Comme Marc Van Ranst, placé sous protection, n’est plus une option, il pourrait se replier sur une cible « symbolique » (politique ou autre, depuis la scène belge à l’Union européenne, honnie par l’ultra droite) ou « naturelle » (pour les extrémistes de droite) : communauté musulmane communauté juive, milieux « alternatifs », etc. Il aurait, alors, laissé sur place des indices pour « fixer » ses poursuivants afin que les recherches se focalisent sur la région, lui donnant toute latitude de se déplacer.

Dans l’intérêt de l’enquête et de la protection de la sécurité publique, c’est cette hypothèse qu’il convient, jusqu’à preuve du contraire, de privilégier.

Un point, au passage, à prendre en considération: « antivaccin », Conings était basé à la caserne de Peutie où sont entreposés les millions de masques inutiles parce que non adaptés achetés par la Belgique pour faire face à la pandémie au début de la crise sanitaire. Il a ainsi pu toucher du doigt les insuffisances et les gaspillages d’un Etat qu’il a servi mais qu’il méprise et rejette aujourd’hui.

Reste deux éléments à peser, termine l’analyse: activement recherché dans un pays densément peuplé, sa photo et son signalement ayant été largement diffusés, Cunings sait qu’il doit agir vite ou, au contraire, trouver un point de repli et y attendre que la tempête se calme avant d’en sortir pour frapper.

Mais cette dernière possibilité impliquerait presque certainement qu’il ait un complice capable de l’héberger (et donc partageant ses idées), il aurait ainsi, symboliquement formé ou reformé le « binôme » avec le spotter qui est peu sa famille à lui. Dans ce cas, il ne peut s’agir, vu les caractéristiques qui ressortent de son profilage, que d’une personne dans laquelle sa confiance est absolue, ce qui réduit le champ des investigations.

Reste à savoir si Jürgen Cunings est parti « en mission » (qu’il s’est lui-même donnée) ou s’il a décidé de livrer son dernier combat dans une forêt du Limbourg.

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