Joëlle Milquet: les coulisses d’une candidature avortée
Annoncée candidate tête de liste CDH à Bruxelles pour la Chambre le 22 février, l’ex-ministre fédérale a finalement renoncé aux élections du 26 mai prochain. Officiellement pour poursuivre une mission sur le terrorisme auprès de la Commission européenne. Et si sa décision, et celle de son parti, étaient liées à son inculpation, il y a trois ans, et au dossier que Le Vif/L’Express prépare depuis un mois sur de nouveaux éléments judiciaires ? Pas de preuves qui établissent de liens directs, mais des éléments qui autorisent à le penser.
Le vendredi 22 février dernier, au matin, Maxime Prévot, nouveau président du CDH, et Joëlle Milquet annoncent que l’ancienne ministre fédérale de l’Intérieur et ancienne ministre francophone de l’Enseignement sera la tête de liste du parti, à Bruxelles, pour la Chambre, aux élections du 26 mai. C’est le grand retour de Milquet sur la scène politique fédérale. Après trois ans d’absence. Après, en fait, sa démission de ses fonctions de ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour cause d’inculpation, pour prises illégales d’intérêt, dans une affaire qui avait éclaté deux ans plus tôt. Le Vif/L’Express avait publié des informations remettant en question la légalité de plusieurs engagements de collaborateurs au cabinet Milquet, du temps où elle était à l’Intérieur, de leur rôle et de leurs tâches. Pour faire court : avaient-ils été embauchés pour travailler au cabinet de la ministre fédérale ou pour travailler à la campagne électorale de 2014 de la candidate CDH ? Nos informations étaient le fruit d’une enquête de plusieurs semaines. Enquête déclenchée notamment par une lettre anonyme adressée à la rédaction. Une lettre qui semble émaner du cabinet de Joëlle Milquet.
Le vendredi 22 février dernier, au matin, donc, Joëlle Milquet est de retour. Bonne nouvelle pour son parti : le CDH est porté très pâle dans tous les sondages d’intentions de vote et les communales d’octobre ne lui ont pas été très favorables, surtout à Bruxelles, habituellement gros vivier de suffrages, grâce d’ordinaire à Milquet, qui ne s’est pas présentée au scrutin. Pour deux raisons : son inculpation, qui reste là, comme une épée de Damoclès, le dossier judiciaire se poursuivant à un rythme plutôt lent ; ses relations difficiles avec le prédécesseur de Prévot, Benoît Lutgen, qui n’entendait plus lui confier de rôle en vue au sein et au nom du parti. Elle ne voulait plus non plus. Milquet de retour, c’est un pari : sans elle, pas de gros score dans la capitale et grand risque que le CDH n’y pèse plus rien du tout ; avec elle, probabilité que la question de son inculpation pollue sa campagne, voire son image, donc peut-être ses résultats. On peut imaginer que Maxime Prévot a conçu une stratégie censée contrecarrer ce deuxième cas de figure : à celles et ceux qui mentionneront cette inculpation, on rétorquera :
- et la présomption d’innocence ?
- l’instruction est toujours en cours, il faut donc respecter son secret
- il n’y a de toute façon rien dans le dossier judiciaire
- ça fait trois ans que l’inculpation a été prononcée et au rythme où vont les choses il n’y aura jamais procès
- on peut en reparler mais après les élections du 26 mai.
Donc, Joëlle, on y va !
Sauf que.
Sauf que, ce même vendredi 22 février, au matin, dans le courrier reçu à la rédaction du Vif/L’Express, une lettre anonyme… Postée depuis Bruxelles. Sans doute la veille ou l’avant-veille. La lettre dit, en substance : si d’aventure Joëlle Milquet annonçait sa candidature aux élections du 26 mai, si d’aventure elle prétendait que les charges qui pèsent contre elles ne valent pas un clou, voici qui devrait vous intéresser. Et plusieurs nouveaux éléments, liés au fonctionnement du cabinet de l’Intérieur, sous Milquet, potentiellement qualifiables de prises d’intérêt notamment. Comme il y a cinq ans, nous commençons alors à vérifier ces éléments. Auprès de Joëlle Milquet et son avocat. Auprès d’autres inculpés et témoins dans le dossier (des anciens membres de son cabinet, à l’Intérieur et à l’Egalité des chances). Auprès de son parti. Deux de nos journalistes contactent, discutent, recoupent, rencontrent, téléphonent, questionnent par mail. La défense de Joëlle Milquet est acharnée : toutes ces accusations sont malfaisantes, proviennent de malveillants, qui n’avancent que mensonges ou faits absolument légaux. Mais pourquoi les enquêteurs poursuivent-ils leur travail alors ? Parce qu’ils sont soit incompétents, soit mal informés soit mal intentionnés eux aussi ?
Notre enquête, auprès de dizaines d’interlocuteurs, relève pourtant d’autres sons de cloche. Maxime Prévot le savait. Joëlle Milquet le savait. L’affaire Fourny (CDH, locomotive du parti en Wallonie, inculpé le 21 mars dernier pour fraude lors des communales) est arrivée. Le dossier du Vif/L’Express était imminent… Personne ne pourra jamais prouver que c’est ce dossier-là qui a fait se désister Joëlle Milquet, le 28 mars au soir. Elle nous avait confié quelques semaines plus tôt que les rapports avec Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, étaient excellents, qu’il lui avait fait confiance, lui, que le boulot était intéressant, etc. Le hasard du calendrier est donc peut-être le seul responsable de cette volte-face. Mais on peut raisonnablement penser, aussi, que le président du CDH et sa « master » candidate ont compris que Le Vif/L’Express allait publier un dossier qui n’allait pas servir leurs intérêts ni leur image, à tort ou à raison. Que ce dossier allait surgir après l’officialisation des listes du parti. Que si Fourny a renoncé à cause de son inculpation, la position de Milquet allait devenir très difficile avec de nouvelles révélations sur les chefs d’inculpation à son encontre. Que la stratégie de Prévot allait échouer. Qu’il allait perdre son pari.
Et que, donc, il ne fallait pas courir ce risque. Alors, soit le hasard a bien fait les choses (et la proposition de la Commission européenne est arrivée pile avant la clôture des listes), soit il fallait réactiver cette piste-là pour sortir avec les honneurs (et le président de la Commission a accueilli Milquet les bras ouverts et tout le monde a sauvé la face).
Personne n’aura jamais la preuve. Nous, nous publierons notre dossier, en tout cas, la semaine prochaine. En donnant la parole à Joëlle Milquet. A ses défenseurs. Et à ceux qui l’accusent.
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