Jeanne Collard, pionnière des repas bios dans les écoles: « On incite à manger autrement »
» Fournir les repas aux écoles, c’est ce que j’adore, c’est ce qui a le plus de sens. » Fille d’agriculteurs, Jeanne Collard a d’abord travaillé dans un service traiteur événementiel avant de rediriger sa carrière vers l’alimentation bio… pour les écoles. Sa société sert aujourd’hui plus de 20 000 repas quotidiens, à des prix abordables. Portrait.
« Si j’avais épousé un menuisier, j’aurais peut-être travaillé dans le bois durable. Je suis tombée dans la cuisine par hasard », confie Jeanne Collard, dans les bureaux de TCO Service, à Ottignies-Louvain-la-Neuve, non loin du complexe sportif de Blocry. La vie a fait que cette assistante sociale de formation, originaire « de la Hesbaye profonde », a rencontré un cuisinier, Christian Collard, et a changé de métier pour l’aider dans son service traiteur spécialisé dans l’événementiel. « J’ai appris là ce que c’était la bonne cuisine, les bons ingrédients. J’ai fait ça pendant dix ans. J’étais heureuse, mais sans trouver vraiment de sens ».
Au tournant des années 90 et 2000, le couple décide de s’orienter vers les collectivités et propose ses services aux écoles communales d’Ottignies. C’est le premier marché public qu’ils remportent : 500 repas par jour. A ce moment-là, Jeanne Collard est devenue maman. Ses fils sont nés en 1999 et 2002. « J’ai un souvenir très précis de l’infirmière de l’ONE à qui je demandais ce qu’il fallait donner à manger à mes enfants. Elle m’a dit : ‘Donnez-leur ce qui pousse dans le territoire. Donc le jus d’orange, vous oubliez !’ C’est elle qui m’a donné les clés. Et quand j’ai vu ce qu’on servait aux enfants comme produits en collectivité, je me suis dit que ce n’était pas possible : il y avait certainement moyen de faire du bon, à un prix démocratique. »
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Le déclic irréversible se produit quelques années plus tard, quand on lui propose de participer à une étude organisée par ce qui est aujourd’hui Biowallonie, sur la faisabilité de l’introduction de produits bio dans les cantines scolaires. Jeanne Collard fait alors le lien entre son métier de traiteur, ses racines campagnardes et son année de bénévolat dans le maraîchage bio après ses études, à la fin des années 80, chez des pionniers du secteur en Belgique. « J’ai grandi au milieu des champs et c’est très ancré en moi, explique-t-elle. Je me suis toujours intéressée à la terre, j’ai toujours aimé m’occuper du potager. Mes parents étaient agriculteurs. Pour nous, la moisson, l’arrachage des betteraves, c’étaient des événements. Mais mon père n’était pas du tout dans le bio : il a pulvérisé des produits chimiques tant et plus. Et ils étaient persuadés qu’ils faisaient bien. Moi je me suis intéressée au bio parce que j’ai toujours été une rebelle. C’était par esprit de contradiction. Mais aussi parce que j’ai senti que, dans l’agriculture intensive, il y avait un problème de reconnexion avec la nature. C’est bien plus gai de travailler de ses mains, à petite échelle, que de pulvériser des grands champs de blé. »
Pionniers
Alors qu’au départ Jeanne Collard avait suivi son mari, c’est elle qui prend à ce moment-là le leadership de l’entreprise pour avancer dans une direction plus durable. « Sans frustration de personne, parce qu’on sentait qu’on était dans le bon, dit-elle. On a commencé à introduire quelques produits bio dans les repas scolaires, puis à travailler sur tous les aspects de l’alimentation durable. On a fait des erreurs, des retours en arrière, puisqu’on était pionniers dans le domaine. Certaines choses ont marché, d’autres non. L’idée, c’est de faire toujours le mieux possible en respectant ses valeurs. Ne pas vouloir être parfait tout de suite, accepter qu’il y ait des choses à améliorer. »
Il y a une circularité dont on a été coupés depuis 60 ans, après la Seconde Guerre mondiale, quand on a dit aux agriculteurs qu’il fallait produire beaucoup parce que la population avait faim, et aux gens de manger beaucoup de viande pour avoir de la force
Dans ce défrichage, Jeanne Collard se rend compte que cette démarche de repas durables dans les écoles nécessite beaucoup de formation et d’information, de son propre personnel, des enfants, des parents, des personnes qui encadrent les repas dans les écoles, mais aussi des pouvoirs organisateurs. « Parce qu’on pense toujours que tout le monde nous comprend et nous suit, mais en fait non. Par exemple, les gens comprennent que c’est bien de manger bio, mais si c’est du bio qui vient d’Afrique du Sud ou d’Argentine, ça a trop d’impact sur l’environnement, et c’est l’environnement qui nous nourrit. Il y a une circularité dont on a été coupés depuis 60 ans, après la Seconde Guerre mondiale, quand on a dit aux agriculteurs qu’il fallait produire beaucoup parce que la population avait faim, et aux gens de manger beaucoup de viande pour avoir de la force. C’est l’imaginaire qui s’est créé à partir de ce moment-là et qui nous a déviés du lien qu’on entretenait avec la nature. Je ne dis pas qu’il faut revenir en arrière, mais parvenir à percevoir à nouveau cette circularité. »
Changer l’assiette
« J’ai eu du mal à comprendre que les gens ne savaient plus », reconnaît Jeanne Collard. Quand je dis que je ne veux pas servir de tomates en hiver, les gens comprennent intellectuellement, oui, mais quand ils se retrouvent face à leur assiette, c’est autre chose. » Une des clés pour une alimentation plus respectueuse de l’environnement, qui ne compte donc pas sur la production des serres chauffées ou sur les importations lointaines, c’est effectivement manger de saison. Ce qui n’est pas forcément synonyme de fadeur ou de monotonie. « On a cette impression parce qu’on reste toujours cloisonné dans les mêmes choses, parce qu’on ne prend plus le temps, on achète tout le temps les mêmes produits. La saison la plus difficile, ce n’est pas l’hiver -où il y a les choux, tous les légumes-racines, la salade de blé, les chicons…- mais les mois d’avril-mai. C’est dans cette saison-là qu’on peut se lâcher un peu, manger plus exotique, des choses qui viennent d’un peu plus loin. On peut aussi manger des produits en conserves ou surgelés, il ne faut pas être puriste. »
Même raisonnement avec la viande, qui n’est pas totalement proscrite des menus TCO Service sur base de ses mauvais scores en production de carbone : « On sert de la viande, mais alors de la bonne viande, locale, et en moindre quantité. En fait, c’est toute notre façon de consommer qui doit être transformée. Il est possible de maintenir un prix d’assiette correct, mais en changeant l’assiette. En servant dans les écoles des repas avec plus de légumineuses, plus de céréales, une plus grande variété de légumes et moins de viande, on incite à manger autrement. Mais ça doit être progressif. Il y a cinq ans, on proposait un plat végétarien tous les 15 jours ; il y a trois ans, c’était un par semaine ; maintenant, dans certaines écoles c’est deux par semaine. On est dans une transition lente, qui permet aussi de maîtriser les prix, parce que le secteur de la production s’adapte aussi. Mon idée, en travaillant ici, n’était pas de développer une grosse société, mais d’avancer petit à petit et de changer les choses de l’intérieur. »
Aujourd’hui, TCO Service sert tout de même 20 000 repas scolaires par jour à Bruxelles et en Wallonie, à partir de 17 cuisines qui emploient 120 personnes au total. Outre le contenu des assiettes, l’entreprise s’efforce de diminuer son empreinte carbone en travaillant sur l’énergie, la mobilité, les déchets… « Je veux garder l’esprit de l’alimentation durable et toujours progresser, conclut Jeanne Collard. C’est le chemin qui est beau, voir qu’on a réussi à débloquer ce qui bloquait. »
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