Bart De Wever et Paul Magnette. © Belga

Jean Faniel (Crisp): « Le scrutin majoritaire, une logique de confrontation »

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Bart De Wever (N-VA) y voit le moyen le plus direct de décrocher un deal confédéral entre deux grands blocs politiques nord-sud. Pour le politologue Jean Faniel, directeur général du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques), une Forza Flandria (N-VA – Vlaams Belang) pourrait y prendre racine.

Bart De Wever sous le charme du scrutin majoritaire: surprenant?

Le timing peut à première vue surprendre. Je n’ai pas le souvenir que la N-VA se soit jusqu’ici particulièrement attachée à l’enjeu de la forme du système électoral. Il y a plus de vingt ans, ce sont les libéraux francophones, sous la houlette de leur président Louis Michel, qui avaient lancé le débat dans une volonté de polariser davantage le paysage politique francophone. Ils y voyaient alors une occasion de dépecer le PSC à l’heure où le PRL accueillait le MCC (NDLR: Mouvement des citoyens pour le changement, fondé par l’ex-président du PSC Gérard Deprez). Que Bart De Wever remette cette proposition sur le tapis à l’échelle du pays, à l’heure où son parti, la N-VA, est renvoyé dans l’opposition au niveau fédéral, n’est pas si étonnant alors que la crise politique a montré qu’une entente entre PS et N-VA n’apparaissait plus aussi impossible que cela.

Bart De Wever savonnerait la planche de son propre parti en avançant un tremplin pour un autre parti.

En quoi le scrutin majoritaire pourrait-il servir les desseins de la N-VA?

En créant une bipolarisation du paysage politique national. C’est précisément pour éviter la bipolarisation entre une Flandre catholique et une Wallonie plus laïque, principalement socialiste, que l’on a renoncé au scrutin majoritaire en 1899 pour basculer dans le mode de scrutin à la proportionnelle, ce qui permettait aussi de préserver l’existence des libéraux. La philosophie du scrutin majoritaire cadre avec la conception politique du président de la N-VA qui repose sur la logique de confrontation, de domination, d’écrasement de l’adversaire: les socialistes hier, peut-être les libéraux aujourd’hui. L’autre est un « ennemi ».

L’électeur devrait être séduit par une formule qui a au moins le mérite de la clarté?

Ce mode de scrutin majoritaire lui donnerait davantage de prise sur une configuration politique et rendrait les choses plus lisibles. Lors des élections de mai 2014, le jaune était arrivé en tête dans les cinq circonscriptions flamandes: le résultat aurait pu déboucher sur un groupe linguistique néerlandais de la Chambre exclusivement composé de députés N-VA. Mais l’électeur flamand aurait-il apprécié? Avec le scrutin majoritaire, il perdra une diversité dans les sensibilités politiques qui s’offrent à lui. Il s’agit alors de choisir son camp: gauche ou droite. Ce type de scrutin risque ainsi de faire plus de déçus que d’heureux car beaucoup d’électeurs pourront se dire: « Moi, je ne me sens pas représenté par ce gouvernement. »

Jean Faniel (Crisp):
© DEBBY TERMONIA

Le paysage politique en serait-il bouleversé?

Vraisemblablement, mais dans quelle proportion et dans quelle direction? La question reste posée. Dans une Flandre qui compte aujourd’hui beaucoup de partis moyens mais plutôt petits et deux partis moyens mais plus grands, la N-VA et le Vlaams Belang, ces deux-là, ensemble ou séparément, se retrouveraient en position de force. Cela dit, le scrutin majoritaire peut compter de multiples variantes. Il faut donc rester prudent à l’égard des effets qu’il peut engendrer.

La N-VA aurait-elle vraiment à y gagner?

Au vu des derniers sondages (NDLR: le Vlaams Belang donné première force politique de Flandre, principalement au détriment de la N-VA), celui qui glisse aujourd’hui cette idée du scrutin majoritaire n’est pas nécessairement celui qui pourrait en profiter. Bart De Wever savonnerait en quelque sorte la planche de son propre parti en avançant un tremplin pour un autre parti, le tout peut-être dans l’optique de la création d’une Forza Flandria (NDLR: grande force politique de droite qui allierait la N-VA et le Vlaams Belang). Tout est imaginable. Certains électeurs votaient Vlaams Belang dans l’intention de donner un coup de fouet à d’autres partis. Aujourd’hui, ils souhaitent voir le Vlaams Belang au pouvoir. Un scrutin majoritaire pourrait être perçu comme le meilleur moyen pour que l’électorat se dise: c’est le moment ou jamais de briser le cordon sanitaire. Cela pourrait clairement être une manière d’ouvrir la boîte de Pandore.

La formation d’un gouvernement fédéral serait-elle facilitée dans le cadre d’un scrutin majoritaire?

Le scrutin majoritaire a pour but de dégager plus facilement une majorité capable de former un gouvernement. Il permet d’identifier plus facilement les partenaires qui prennent place autour d’une table de négociations. Mais le processus même de formation en deviendrait-il plus efficace pour autant? Rien n’est moins sûr. « On peut conduire un cheval à l’abreuvoir mais non le forcer à boire », dit le proverbe. Un scrutin majoritaire appliqué à l’échelle nationale ne faciliterait pas nécessairement les négociations en vue de former un gouvernement fédéral mais bien des négociations institutionnelles dans l’optique de dépecer plus encore l’Autorité fédérale. En ce sens, Bart De Wever est cohérent avec lui-même lorsqu’il souhaite explicitement un tel mode de scrutin pour aller vers le confédéralisme. Car si le blocage est total entre les deux partis en lice sur les points de programme en discussion, que fait-on? La source de blocage pourrait être une manière de montrer que ce pays ne fonctionne décidément pas.

Le scrutin majoritaire pour dépecer la Belgique?

Il peste, il fulmine, il voit son grand dessein une fois de plus reporté maintenant qu’au fédéral son parti n’a plus que l’opposition pour horizon. Alors Bart De Wever sort une botte pas si secrète que ça pour en finir avec cette démocratie belge et ses coalitions de « vaincus » qui privent les vainqueurs de leur dû, le droit de gouverner: à bas la proportionnelle, le président de la N-VA veut renouer avec le scrutin majoritaire. Que le meilleur gagne, ça restera à voir mais qu’au moins le premier parti aux élections décroche le droit d’exercer le pouvoir sans partage sauf avec la formation politique qui connaîtra la même fortune de l’autre côté de la frontière linguistique. Viendra alors l’heure de la grande explication nord-sud entre deux blocs, de centre-droit en Flandre, de centre-gauche en Wallonie. Ce face-à-face ne pourra qu’accoucher d’un deal, nécessairement confédéral. Tout sera ainsi tellement plus simple, plus clair, plus séparateur.

Le scrutin majoritaire a jadis séduit Louis Michel (MR) lorsqu’il présidait les libéraux francophones, dans les années 1990. « L’idée de Bart De Wever n’est pas du tout celle que je prônais et qui était d’introduire le scrutin majoritaire au niveau francophone. A l’échelle nationale, il serait éminemment dangereux puisqu’il reviendrait à dégager une majorité N-VA – Vlaams Belang en Flandre et à rendre l’extrême droite incontournable. » A déconseiller vivement?

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