Il y a un an, la Belgique entrait en crise
Le 8 décembre 2018, la Belgique entre dans une de ces longues crises politiques dont elle a le secret. A 20h30, les ministres N-VA du gouvernement Michel quittent le 16 rue de la Loi et annoncent aux journalistes qui patientent sous une pluie battante une conférence de presse au siège du parti. Ils viennent de faire voler en éclats une majorité « suédoise » objet de toutes les passions depuis quatre ans.
Le feu couvait depuis le 14 novembre, quand « De Standaard » a révèlé que la N-VA ne voulait pas souscrire au Pacte des Nations unies pour des migrations sûres, régulières et ordonnées. Ce document est le fruit d’un appel lancé par le président américain Barack Obama. Considéré comme non contraignant, il est une sorte de code de conduite pour appréhender le phénomène migratoire.
Six semaines plus tôt, le 27 septembre, le Premier ministre Charles Michel avait pourtant annoncé à la tribune des Nations unies que la Belgique adhérerait à ce Pacte. Au moment où il s’était exprimé, rien ne permettait de douter du feu vert du gouvernement fédéral. Le processus de concertation interne avait été respecté et, lorsqu’il était arrivé à son terme, la N-VA n’avait pas exprimé d’opposition au texte.
Depuis plusieurs mois toutefois, ce Pacte suscitait une hostilité croissante dans le monde occidental. Les annonces de défection s’étaient multipliées, notamment des Etats-Unis mais aussi, en Europe, de la Hongrie et de l’Autriche. Et, en Belgique, des élections communales ont eu lieu en octobre. Elles se sont traduites en Flandre par un retour en force du Vlaams Belang dont la N-VA avait siphonné une grande partie des voix en 2014.
Le 9 novembre, le gouvernement se réunit pour la première fois en comité restreint sur le sujet. Devant les réticences de la N-VA, une analyse juridique a été demandée. Il n’est pas encore question d’un « njet » des nationalistes flamands mais la tension commence à poindre: le vice-Premier ministre Open Vld, en charge de la Coopération, Alexander De Croo, annonce sur Twitter qu’il se rendra le 10 décembre à la Conférence de Marrakech pour y signer le Pacte « avec conviction ». Soucieux de temporiser, le Premier ministre fait savoir que le texte nécessite plus d’informations et que les experts continuent leur travail.
Les jours passent et la fièvre monte. Au parlement, l’opposition veut savoir quelle sera l’attitude du gouvernement et plusieurs partis déposent des propositions de résolution appelant le gouvernement à signer le texte le 10 décembre.
L’étau se resserre autour de Charles Michel. Le Premier ministre n’entend pas renier son engagement à l’ONU et, de toute façon, ni ses partenaires de coalition ni l’opposition ne laisseraient passer ce volte-face. Quant à la N-VA, échaudée par le Vlaams Belang, elle s’est engagée sur une ligne jusqu’au-boutiste incarnée par deux personnages: le très médiatique secrétaire d’État à la Migration, Theo Francken, et le chef de groupe à la Chambre, Peter De Roover.
Le 19 novembre, le bureau de la N-VA décide que le parti ne donnera pas son feu vert au départ de M. Michel pour la Conférence de Marrakech.
Le 4 décembre, la crise passe un nouveau palier. Des auditions ont lieu au parlement, au cours desquelles l’ambassadeur belge en charge du Pacte à l’ONU à cette époque, Jean-Luc Bodson, explique que la N-VA n’a pas fait d’objection à la version finale du Pacte. La journée sera pourtant marquée par un autre événement: la N-VA lance sur les réseaux sociaux une campagne choc contre le Pacte dit de Marrakech, aux accents d’extrême-droite qui ne laissent guère de doute sur son manque de disposition à trouver un compromis qui sauverait le gouvernement.
La campagne est retirée après quelques heures mais un point de non-retour a été franchi. Charles Michel annule une réunion en comité restreint prévue pour tenter de sortir de l’impasse et annonce qu’il ira à Marrakech. Il demandera au parlement de se prononcer.
Dans la presse flamande, la condamnation de la N-VA est unanime. Dans l’opposition, le Vlaams Belang se frotte les mains. Sa figure de proue anversoise ne fait pas de détour: « j’aurais pu concevoir cette campagne », lance Filip Dewinter, goguenard, en commission de la Chambre.
Le 6 décembre, la Chambre approuve une résolution demandant au gouvernement d’approuver le Pacte. La N-VA et le Vlaams Belang votent contre. La séance sera longue et agitée. La réponse du Premier ministre sème le doute. Il explique que la demande du parlement l’oblige « à titre personnel ». Tant dans l’opposition que dans la majorité, l’on refuse toute ambiguïté: si Charles Michel se rend à Marrakech, c’est en tant que chef du gouvernement. Un amendement sera voté pour préciser que le gouvernement approuve le Pacte.
Le lendemain, à trois jours de la Conférence de Marrakech, la N-VA exige une réunion du conseil des ministres pour arrêter la position belge. Le 8 décembre, elle tient un Conseil de parti dans la matinée et Bart De Wever formule une ultime proposition de compromis, à savoir une abstention de la Belgique. L’offre sera refusée par les libéraux et le CD&V en début de soirée au cours d’une réunion du conseil des ministres. Les ministres N-VA claquent la porte. Charles Michel confirme qu’il se rendra à Marrakech au nom du gouvernement. Il a constaté qu’il n’y avait pas de consensus au sein du gouvernement pour remettre en cause la position de la Belgique.
De son côté, la N-VA tient une conférence de presse à son quartier général, rue Royale. M. De Wever estime que son parti a été mis « de facto » hors du gouvernement.
Le 9 décembre, un gouvernement remanié voit le jour, sans la N-VA. Le MR, le CD&V et l’Open Vld se partagent les compétences des ministres N-VA et les secrétaires d’État sont promus ministres.
Le 10 décembre, le Premier ministre se rend à la Conférence de Marrakech. « Mon pays sera du bon côté de l’Histoire », proclame-t-il.
Dès son retour, il entame des consultations à la Chambre pour sauver le budget 2019 négocié « in tempore non suspecto », lorsque la N-VA était toujours à bord. Il refuse de demander la confiance du parlement, estimant qu’il s’agit d’un remaniement ministériel et non d’un nouveau gouvernement.
Le 18 décembre, le Premier ministre essaie une dernière fois de sauver la mise. Il annonce en séance plénière de la Chambre le retrait du projet de budget et lance aux socialistes, écologistes et centristes un appel à une « coalition de bonne volonté ». En vain. Alors que l’opposition s’apprête à déposer une motion de méfiance, Charles Michel prend la parole et annonce qu’il se rend chez le Roi pour présenter sa démission.
Le 21 décembre, le Roi accepte la démission du gouvernement et le charge d’expédier les affaires courantes jusqu’aux élections du 26 mai. La N-VA mise à part, aucun parti n’a réclamé un scrutin anticipé.
Près d’un an plus tard, et six mois après les élections, le gouvernement fédéral est toujours en affaires courantes.
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