Haro sur la transaction pénale
Justice de classe, entre-soi, business model même pour ceux qui détournent de l’argent public… La transaction pénale élargie reste décriée.
On reparle donc de la transaction pénale, à la faveur des affaires Moreau. Non seulement l’ex-ancien homme fort de Ans en a déjà bénéficié dans plusieurs affaires judiciaires, mais rien ne s’oppose, en théorie, à ce que ce genre de négociation entre le ministère public et un inculpé se représente dans le dossier Nethys. Des transactions systématiques ainsi négociées avec le parquet valideraient alors ce qui s’apparente à un véritable business model rentable sur le long terme: détourner des fonds publics puis en restituer une partie sous forme de transaction…
Rappelons que, depuis son adoption il y a dix ans, la transaction pénale élargie aux délits économiques et financiers est controversée. Beaucoup y voient l’accomplissement d’une justice de classe, les prévenus qui en ont les moyens pouvant éviter un procès. On se souvient des circonstances de son vote bâclé, en 2011, sous un gouvernement en affaires courantes, avec, dans l’ombre, les milliardaires du sulfureux « trio kazakh » désireux d’échapper, à tout prix, à une comparution publique devant un tribunal. Le texte, mal fichu dès sa conception, s’est vu recalé, en 2016, par la Cour constitutionnelle. Deux ans plus tard, une nouvelle loi a imposé que la transaction soit homologuée par un juge du fond, lorsqu’elle intervient au stade de l’instruction ou après un renvoi devant un tribunal.
La publicité est une garantie démocratique, elle rassurerait sur le caractère équitable de la transaction.
Confidentiel
Outre son penchant « justice de classe », la transaction pénale élargie (TPE) est critiquée pour sa confidentialité. C’est trop souvent par la bande que la presse apprend qu’une négociation a eu lieu dans une affaire auparavant médiatisée. En outre, le montant de la transaction est très rarement rendu public par le parquet, et ce à la demande des avocats. Or, la TPE court-circuite, en quelque sorte, le procès public.
Pour la juge namuroise Manuela Cadelli, la publicité de la transaction pénale devrait être garantie par la loi, actuellement muette sur ce sujet. « L’opinion a l’impression qu’il y a là un entre-soi dont profitent les justiciables ayant une grande surface financière, affirme la magistrate qui s’exprime en tant qu’auteure de Radicaliser la justice (éd. Samsa, 2018). Le secret de cet entre-soi nourrit la suspicion et donc, le populisme. La publicité est une garantie démocratique, elle rassurerait sur le caractère équitable de la transaction. Certes, l’homologation par un tribunal, depuis 2018, est une avancée, mais ce n’est pas suffisant. »
La transaction est-elle vraiment nécessaire? Oui, au stade d’une information judiciaire, lorsque le parquet est seul maître du jeu. Mais, dès qu’un juge prend l’affaire en main (au niveau de l’instruction ou du tribunal), on peut se demander pourquoi on ne privilégie pas automatiquement la nouvelle procédure, plus saine, de « déclaration préalable de culpabilité », prévue par la loi du 5 février 2016. Le principe: le prévenu reconnaît sa culpabilité (ce qui n’est pas le cas pour une TPE) et passe, avec le procureur du Roi, un accord sur la peine, qui sera ensuite homologué par un tribunal. Avantage: pas de procès, mais c’est public. Le contenu du jugement, donc la peine, est connu.
Autre atout: le constat d’échec par rapport aux dossiers financiers serait bien moins lourd. Car l’argument du pragmatisme avancé par les défenseurs de la transaction pénale – mieux vaut une TPE qu’un procès qui se solde par une suspension du prononcé à cause du dépassement du délai raisonnable – revient à avouer que la justice n’a plus les moyens de juger normalement ces dossiers-là. « Plus qu’un constat d’échec, c’est une compromission, car la justice s’en accommode », relève Manuela Cadelli. La justice, mais pas l’opinion.
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