Au moment des faits, la victime, choquée, est figée et incapable de réagir... © GETTY IMAGES

Gynécologue accusé de viol: « Je ne vais pas commencer à nier… »

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Le 3 septembre débutera, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, le procès d’un gynécologue accusé de viol et attentat à la pudeur sur une patiente. L’inculpé ne nie pas les charges retenues contre lui et a reconnu des faits dans un enregistrement. Pourtant, quatre ans plus tard, il continue à exercer.

Il y avait un bonzaï, dans le cabinet de consultation. Le gynécologue lui conseillait de se relaxer, de s’imaginer sous le soleil d’Espagne. Vraiment, si tendue, elle ne l’aidait pas ! Et Elena (1) fixait le bonzaï. Pour ne pas se concentrer sur la main gantée qui touchait son vagin, ni sur l’autre, nue, qui effleurait sa hanche, son ventre, remontant jusqu’à sa poitrine, sous son pull. Lorsque la jeune femme de 26 ans ramenait ses mains sur son ventre, il les replaçait le long de son corps. Puis le docteur Mohammed S. H. ôta son gant. « A un moment, et je ne sais plus si c’était avant ou après l’avoir enlevé, il a délibérément touché mon clitoris », affirmera-t-elle plus tard, dans sa plainte.

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Il fallait aussi examiner sa poitrine, intima le médecin. Elena retira sa légère veste, son pull et son soutien-gorge, en s’étonnant de la nécessité de réitérer cette inspection, qui avait déjà eu lieu trois semaines plus tôt. « Je ne m’en souviens plus », aurait répondu le gynécologue, avant de lui lécher le sein droit, « pour en soigner les écoulements », puis le gauche « pour ne pas faire de jaloux ».

« J’étais comme pétrifiée, figée littéralement, avec le sentiment […] d’être réduite à l’état de « merde ». Telle est la raison pour laquelle je ne pouvais rien faire d’autre que fixer le bonzaï et attendre que cela passe », mentionne la plainte, déposée le 22 novembre 2016, quinze jours après cette consultation.

En rentrant chez elle, Elena raconte la scène à son compagnon. Désagréable sensation de déjà-vu : cinq ans plus tôt, le même praticien lui aurait déjà embrassé les seins lors d’un examen. Son petit ami déballe tout à sa mère et à son amie, qui avait conseillé ce gynécologue bruxellois. Et qui n’avait pas cru aux premières accusations. Celle-ci appelle l’intéressé et une rencontre est organisée, dans la soirée du 14 novembre 2016.

« Ça m’a jamais pris, une chose pareille »

Mohammed S. H. l’ignore, mais l’entrevue est enregistrée. Il demande à Elena ce qu’elle lui reproche. « Commençons par le plus simple et le plus gros », répond-elle, en évoquant le léchage de ses seins. « Je me suis comporté très peu professionnellement, reconnaît-il alors dans un long monologue. Je ne sais pas ce qui m’a pris. […] Je ne vais pas commencer à nier. […] » Ajoutant à plusieurs reprises avoir fauté, s’en vouloir énormément, comprendre la douleur des parents, ayant lui-même une fille du même âge environ. « J’ai vraiment gaffé, je suis vraiment très désolé. […] Je suis gynécologue depuis des années et des années et ça m’a jamais pris, une chose pareille. » « Les deux seules fois, c’est sur moi que c’est tombé, en fait ? » glisse la jeune femme. « Oui, franchement […]. »

Le médecin commencera pourtant par nier les faits, lorsqu’il sera entendu par les enquêteurs. Jusqu’à ce que ceux-ci l’informent de l’existence de l’enregistrement, sans lequel cette affaire de viol se serait peut-être résumée, comme trop souvent, à la parole de l’un contre celle de l’autre. Mohammed S. H. a été inculpé de faits de viol, attentat à la pudeur (avec la circonstance que l’auteur a autorité sur la victime) et harcèlement téléphonique.

Le dossier, instruit par la juge Anne Gruwez, est passé en chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles, le 12 mai dernier. « Il ressort des éléments du dossier qu’il existe des charges contre Monsieur S. H., ce que ce dernier ne conteste d’ailleurs pas« , indique l’ordonnance. Il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel. Une première audience (d’introduction) se tiendra le 3 septembre.

Elena la redoute, elle qui avait déjà péniblement vécu la défense déployée par les avocats du prévenu devant la chambre du conseil. Mes Nathalie Gallant et Romain Delcoigne (représentant Sven Mary) avaient insisté sur une affection mammaire dont elle avait souffert en 2010, qui aurait pu, selon eux, entraîner un impact psychologique. Et justifier de lécher un écoulement ? Mes Delcoigne et Mary ont indiqué ne pas « avoir de commentaire à faire » et Me Gallant n’a pas répondu à nos demandes d’interview.

Quatre ans après les faits, le gynécologue exerce toujours, en son cabinet privé ainsi qu’à l’UZ Brussel, où il est affilié comme indépendant. « Nous ne nous prononçons pas sur les affaires en cours. Nous avons confiance dans le jugement du tribunal », indique la porte-parole de l’hôpital, Karolien Deprez.

Et s’il avait été enseignant ?

« Accepterait-on qu’un enseignant accusé de faits de moeurs reste en poste jusqu’à son jugement ? » questionne Marc Uyttendaele, avocat d’Elena. D’autant plus s’il reconnaissait les charges ? Plainte a pourtant été déposée en novembre 2016 devant l’Ordre des médecins, qui a entendu chaque partie et a pris connaissance de l’enregistrement. Mais qui a décidé de subordonner sa décision au jugement du tribunal correctionnel. Il n’y était pas obligé. Mais, selon nos informations, un PV de bureau aurait été mal retranscrit et il aurait été décidé d’attendre, pour ne pas prêter le flanc à la critique de la part des avocats de l’inculpé. Tant pis pour les soupçons d’indulgence, voire de corporatisme.

Les affaires de médecins accusés de viol ne se comptent pas par centaines… mais sans doute tout de même par dizaines. Un dentiste condamné à Bruxelles en 2018, un médecin en 2017 (pour le viol d’une patiente handicapée mentale), un kiné en 2016, un généraliste la même année à Gand, un autre en 2013 à Liège, encore un autre en 2011 à Bruges, un gynécologue à Liège en 2010… Entre 2005 et 2016, l’Ordre des médecins a prononcé septante-cinq sanctions pour des faits de moeurs.

A chaque fois, vu le délai forcément long entre les faits et un jugement, les médecins ont pu continuer à exercer. Depuis 2014, les commissions provinciales composant l’Ordre des médecins ont pourtant la possibilité de prendre des mesures urgentes si des faits graves et précis laissent craindre un danger pour les patients. Cependant, ces commissions disposent de peu de moyens d’investigation, lorsqu’elles n’ignorent pas cette procédure. Qui, jusqu’à 2018, n’avait été activée qu’une fois.

Lorsqu’une sanction est décrétée, elle peut aller de l’avertissement à la suspension, voire à la radiation. Mais le médecin condamné peut, deux ans après et pour autant qu’il soit devenu irréprochable, demander à nouveau son inscription à l’Ordre. S’il est un jour condamné, par la justice ou par ses pairs, Mohammed S. H. sera de toute façon probablement pensionné.

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