Karel Michiels
Guerre contre la drogue: « Il est incompréhensible que De Wever ne s’informe pas mieux et se cramponne à une lutte sans issue »
Chapeau au commissaire principal de la zone de Voorkempen, Peter Muyshondt. Enfin une autorité qui ose prendre des risques, et n’attend pas sa pension pour désapprouver la guerre contre la drogue. Dans un pays où le principal leader politique du pays souhaite poursuivre cette guerre insensée, c’est presque un acte de résistance. Son implication personnelle ne fait que renforcer son témoignage.
Les déclarations de Muyshondt rejoignent une longue série de sorties de politiques et de chefs de police qui condamnent la guerre contre la drogue. Malheureusement, ils le font généralement une fois qu’ils ont quitté la vie professionnelle et qu’ils n’ont donc plus d’influence. Mais même là, on se demande pourquoi ces gens ne sont jamais ou rarement entendus. En 2003, quand la guerre contre la drogue battait son plein en Amérique, le chercheur américain et ancien chef de police Joseph McNamara avait déclaré au quotidien De Standaard : « Tous ceux qui expriment leurs objections au sujet de la guerre contre la drogue sont intimidés d’une façon ou d’une autre. Parce qu’alors on est « soft on drugs ». Les groupes qui ont le plus d’intérêt à cette guerre sont les cartels de drogue et l’appareil des forces de l’ordre, la police, la Drug Enforcement Administration (DEA), mais aussi les prisons partiellement privatisées et tous les fournisseurs possibles. »
Nous n’avons pas (encore) de prisons privatisées, mais pour le reste son raisonnement s’applique parfaitement à la situation actuelle en Belgique. Bart De Wever a mis toutes voiles dehors pour imposer sa croisade personnelle contre la drogue illégale. À sa demande, plusieurs députés N-VA préparent un plan pour élargir la guerre contre la drogue à tout le pays. Leur devise, c’est « toutes les drogues illégales sont mauvaises par définition ». Ce n’est pas du cynisme, c’est de la bêtise évidente.
Sur ce thème, les autres partis du gouvernement sont muets. À peine le gouvernement Michel formé, il était déjà établi qu’il y aurait une tolérance zéro à l’égard des drogues douces. Ce n’était pas un thème pendant les élections, aucun parti n’avait mis le sujet sur la table, et pourtant c’était la première décision du nouveau gouvernement.
Entre-temps, chacun sait que l’interdiction initiale de l’herbe, déjà édictée dans les années trente du siècle dernier, ne repose sur rien. C’est le travail d’un fonctionnaire qui cherchait une alternative à l’interdiction d’alcool que ses services avaient dû maintenir pendant plus de dix ans. Que c’étaient surtout les noirs et les Mexicains qui fumaient de l’herbe, était toujours ça de pris. Toute la législation sur la drogue en vigueur jusqu’à aujourd’hui découle de racisme pur. Et un peu d’intérêts personnels.
S’il en tenait au constructeur automobile Henry Ford, on ferait le plein d’huile de chènevis et la plupart des voitures seraient fabriquées en fibres de chanvre. Cependant, les marchands de pétrole texans n’étaient pas d’accord. Aussi ces derniers étaient-ils ravis qu’un fonctionnaire interdise l’herbe, y compris pour toutes ses utilisations industrielles.
Suivre aveuglément les Américains
Entre-temps, tous ces faits ont été amplement documentés, mais la communauté internationale a toujours suivi aveuglément la ligne américaine, tout comme nous avons intégré la culture et l’économie américaines depuis la Seconde Guerre mondiale : les « traités internationaux » auxquels se réfèrent toujours nos politiques.
En 2013, il s’est pourtant avéré que l’herbe illégale n’entraîne pas nécessairement des sanctions internationales ou des problèmes. Pour l’instant, les Nations unies n’ont pas envoyé de soldats en Uruguay, dans les états américains de Washington et du Colorado, où le cannabis est à présent commercialisé et consommé ouvertement. Au Portugal, on mène une politique de drogue alternative depuis dix ans, avec que des résultats positifs. L’état portugais n’a été ni sanctionné, ni tapé sur les doigts.
Dans le numéro d’avril d’Harper’s, le journaliste Dan Baum a publié une citation qu’il avait consignée en 1994 lors d’une interview avec John Erlichmann, conseiller du président américain Richard Nixon entre 1968 et 1974. « À la Maison-Blanche, nous avions deux grands ennemis : le mouvement pacifiste de gauche et la population noire. On ne pouvait pas déclarer hors la loi les manifestations contre la guerre ou simplement le fait d’être noir, mais en associant les hippies à la marihuana et les noirs à l’héroïne, et puis en les criminalisant lourdement, nous avons pu perturber leurs communautés. Nous avons pu arrêter leurs leaders, faire irruption dans leurs maisons, interrompre leurs réunions, et les diaboliser tous les jours dans les médias. »
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Et la conclusion est encore plus forte: « Est-ce qu’on savait qu’on mentait au sujet de la drogue ? Évidemment qu’on le savait. » Voilà donc les gens qui ont commencé la guerre mondiale contre la drogue, contre tous les avis médicaux, sociaux et scientifiques, avec un cynisme franchement criminel. Il est incompréhensible qu’un homme intelligent comme Bart de Wever (et le gros des politiciens) ne s’informe pas mieux, et se cramponne à une lutte sans issue pour laquelle on n’a jamais formulé de raisons fondées. Entre-temps, les opposants continent à mélanger les études vagues et les faux arguments pour « prouver » que le cannabis doit rester illégal.
Lundi dernier, Hugo Stabel, un commissaire pensionné a réagi aux propos de Muyshondt dans le quotidien De Standaard, en citant des études qui contiennent trop peu d’informations pour donner une réponse définitive. Au sujet du Portugal, monsieur Stabel profère un mensonge évident, tous les chiffres prouvent justement que la consommation de drogue a fortement baissé auprès des jeunes (et qu’elle n’a pas doublé comme il le prétend). Et l’article du Lancet parle des dangers de consommation pour les jeunes. Rien de nouveau, et qui vaut pour tous les stupéfiants et produits de plaisir. Chaque année, plus de 2 500 jeunes se retrouvent aux urgences avec une intoxication à l’alcool. Peut-être qu’on aurait mieux dû les informer, et les obliger à se faire aider, car c’est ce qu’il se passe pour les jeunes fumeurs d’herbe.
Le New England Journal of Medicine rapporte que les fumeurs d’herbe ont 9% de risques de devenir accro au cannabis. C’est même un peu moins que les 10% généralement présupposés quand il s’agit d’addictions à n’importe quel produit (sucre, graisse, tabac, travail, shopping).
Avis de la police
En 2000, la British Police Foundation a étudié les effets nuisibles de la consommation de cannabis. Voici quelques-unes de ses conclusions, scandaleusement ignorées par les politiques anglais. À cet égard, Bart De Wever n’est pas le seul à se crisper (mais probablement le seul à n’avoir jamais tiré une bouffée).
– « Quel que soit le critère utilisé pour constater les dégâts – la mortalité, la maladie, la toxicité, la dépendance, les liens avec la criminalité – le cannabis est moins nocif que toutes les autres drogues illégales, mais aussi que l’alcool et le tabac. »
– « L’application de la loi nuit aux citoyens individuels, sous forme de casier judiciaire, et entraîne des risques sur le plan professionnel et privé. Les effets néfastes sont bien pires que ceux que le cannabis pourrait causer à la société. »
– « Nous sommes d’avis que la possession de cannabis ne devrait pas être punissable par la loi et qu’on ne devrait entamer des poursuites qu’en cas exceptionnel. »
– « Nous recommandons de traiter la culture de petits nombres de plantes de cannabis pour usage personnel de la même manière que la possession de cannabis. »
Karel Michiels est journaliste et auteur du livre Het Land van Wiet en Honing (Le Pays de l’Herbe et du Miel) (Hautekiet).
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