Carte blanche
Gouvernement fédéral minoritaire: un peu de pédagogie (carte blanche)
Oui, un gouvernement fédéral minoritaire peut exercer pleinement ses fonctions sans avoir le soutien de 76 députés sur 150 à la Chambre, démontrent Marc Uyttendaele (ULB) et Marc Verdussen (UCL), professeurs de droit constitutionnel.
Johan Vande Lanotte affirme qu’un gouvernement ne peut exercer pleinement ses fonctions que pour autant que 76 membres de la Chambre des représentants sur 150 aient voté la motion de confiance qu’il déposerait.
Le propos est inexact. Il se méprend sur la portée de l’article 46 de la Constitution.
Francis Delpérée écrivait déjà en 2000 : « L’obligation faite au Roi de désigner des ministres qui jouissent de la confiance de la Chambre n’exclut-elle pas la composition de gouvernements minoritaires ? La réponse sera, en principe, négative (…) Rien n’empêche le Roi de constituer un gouvernement qui ne bénéficie pas d’un appui suffisant de députés (…). Ce gouvernement aura alors sa chance. Une majorité parlementaire, numérique mais disparate peut être tentée de lui apporter sa confiance ou, à tout le moins de faire preuve d’une neutralité bienveillante ou expectante« .
Trois hypothèses doivent être envisagées.
Première hypothèse : la motion de confiance est votée par une majorité relative de députés, les voix de l’opposition se répartissant entre des votes négatifs et des abstentions. Lors de son entrée en fonction, il suffit que le gouvernement obtienne plus de voix positives que de voix négatives pour exercer pleinement et normalement ses fonctions. Les abstentionnistes acceptent ainsi consciemment cette situation. S’ils souhaitaient empêcher ce gouvernement d’exercer ses fonctions, il leur suffisait de voter pour le rejet de la question de confiance. En s’abstenant, ils adoptent la neutralité bienveillante ou expectante évoquée par Francis Delpérée.
Deuxième hypothèse : la motion de confiance est rejetée par une majorité relative de députés sans que les votes négatifs n’atteigne le seuil de 76 sur 150. Dans ce cas, le gouvernement n’a pas obtenu la confiance de la Chambre. Il est contraint à la démission sans que le droit à dissolution ne soit automatiquement ouvert.
Troisième hypothèse : la motion de confiance est rejetée par au moins 76 députés, qui par ailleurs ne proposent aucune majorité alternative. Dans ce cas, le gouvernement est démissionnaire et le Roi peut dissoudre les chambres et provoquer des élections.
Par conséquent, en affirmant que le gouvernement doit obtenir le soutien explicite de 76 députés sur 150 lors de son entrée en fonction, Johan Vande Lanotte opère une confusion entre les conditions dans lesquelles un gouvernement peut valablement être investi de la confiance de la Chambre et les conditions dans lesquelles s’ouvre le droit à dissolution. Un gouvernement dispose de la plénitude de ses attributions si la motion de confiance est votée par une majorité de votants sans que celle-ci ne doive atteindre le seuil fatidique de 76 membres sur les 150 que compte la Chambre. Par contre, si une motion de confiance est rejetée par au moins 76 députés, le Roi peut dissoudre les chambres.
Dans la situation politique actuelle, un gouvernement soutenu par une tripartite traditionnelle serait valablement constitué et pourrait pleinement exercer ses fonctions si l’ensemble des députés de l’opposition ne votent pas le rejet de la question de confiance.
L’abstention de trois députés de l’opposition suffirait donc pour que ce gouvernement puisse pleinement exercer ses fonctions. C’est ce qui s’est produit en 1958 avec le gouvernement Eyskens II.
Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCL
Marc Uyttendaele, professeur de droit constitutionnel à l’ULB
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