Georges-Louis Bouchez: « Il ne faut pas s’étonner que le PTB ou le Vlaams Belang soient aussi hauts » (entretien)
Le président du MR explique longuement au vif.be les leçons de fond qu’il tire de la crise interne. « Le trio politiques – médias – citoyens déraille », soutient-il. Une action urgente face aux populismes s’impose. « Le combat doit se mener dans les partis, pas au gouvernement. »
Georges-Louis Bouchez s’est excusé pour ses erreurs dans la gestion du casting ministériel de son parti, mais il reste en place et compte bien « transformer ces difficultés en opportunités ». La deuxième séquence de sa présidence débute aujourd’hui, pour tenter de mettre en place des réformes structurelles et s’attaquer à la révolution démocratique indispensable pour lutter contre les populismes.
Lors du long entretien qu’il nous a accordé, l’enfant terrible de la politique belge francophone revient sur ces moments difficiles, analyse sévèrement le fonctionnement des trois rouages vitaux de notre démocratie et explique comment il espère tourner la page. Un regard forcément subjectif, mais qui se veut lucide et, comme toujours dans son cas, sans tabou.
Voici l’espoir d’une réhabilitation et d’une ambition, en quatre chapitres: la crise, la reconstruction espérée du MR, la Vivaldi dominée par la crise sanitaire et la lutte contre les populismes.
Chapitre 1. La crise interne au MR
Vous sortez d’une séquence très difficile à la tête du MR après le chaos généré par la composition de votre casting ministériel…
Je me suis déjà beaucoup exprimé à ce sujet et je ne vais pas répéter mille fois la même chose. Ce que je constate, sans jouer les Calimero, c’est que l’on se permet de faire avec moi des choses que l’on ne fait pas avec les autres. Dans les mois qui ont précédé, des présidents de parti ont été mis en échec par leur bureau sur des formules de coalition, d’autres se sont retrouvés hors-jeu, d’autres encore se sont eux-mêmes mis hors-jeu… mais je n’ai jamais vu des réactions pareilles.
A quoi est-ce dû, selon vous?
Je pense que c’est dû à la manière dont mon parcours s’est construit. Comme je me suis forgé une notoriété dans mon combat communal contre Elio Di Rupo à Mons, les journalistes m’ont mis dans un storytelling du mec qui tape, qui est agité… Je suis en outre quelqu’un de spontané, qui va naturellement en première ligne et, comme nous sommes dans un monde pas toujours bien intentionné, c’est utilisé en permanence contre moi. Nous sommes aussi dans un monde de caricatures permanentes : le nombre de mes mots ou de mes phrases qui ont été détournés, franchement… cela commence à me rendre malade d’être traité d’imbécile par des idiots, dans une série de cas.
Je ne connais enfin aucun président du MR, ces vingt-cinq dernières années, dont on a amélioré l’image quand il était en fonction. Même Louis (Michel – Ndlr) n’a reçu des lettres de noblesses que quand il est devenu ministre des Affaires étrangères et, de surplus, cela n’a pas empêché le PS de le trahir en 2004 (quand Elio Ri Dupo a brisé un pacte préélectoral au niveau régional pour s’allier au CDH – Ndlr). Didier (Reynders) et Charles (Michel), je ne dois même pas en parler.
C’est un cocktail de tout ça, mais le traitement dont je fais l’objet est dingue. C’est devenu irrationnel. Il y a un bashing permanent à mon égard.
Comment faire face?
Je ne vais pas changer la personne que je suis parce que ce serait bête. Je ne ferai jamais les choses comme les autres, mais je dois intégrer le fait que certains utilisent médiatiquement des aspects réels ou supposés de ma personnalité, et appuient dessus. Moi, je connais beaucoup de défauts, de failles et de faiblesses de beaucoup de mes collègues, réels ou supposés, mais je ne vois personne qui appuie dessus. C’est particulier.
Dans les sondages précédents, la position du MR et la mienne ne faisaient que monter et cela se passait sans doute trop bien aux yeux de certains. Le but a été de me le faire payer. Maintenant que le gouvernement fédéral est formé, la posture change. Il va falloir construire quelque chose au niveau du parti de façon différente.
Je pense pourtant pouvoir dire que dans la formation de ce gouvernement, j’ai souvent été au centre du jeu: si les libéraux et les écologistes n’avaient pas fait ce qu’ils ont fait (un communiqué commun dénonçant les accents ‘antibelges’ du préaccord entre PS et N-VA – Ndlr), on n’aurait peut-être pas encore de gouvernement aujourd’hui. Je n’ai guère vu d’éditorialistes francophones en parler. L’auto-exclusion de De Wever n’a pas fait l’objet de nombreuses analyses épinglant son échec. Quand je me faisais attaquer de toutes parts au cours des négociations, je n’ai pas entendu beaucoup de journalistes expliquer qu’il s’agissait d’un coup monté.
Vous avez quand même fini par faire des excuses publiques…
Oui, mais elles concernaient la séquence interne au MR, pas les négociations.
Bien sûr, mais certains estiment, au sein même de votre parti, que votre gestion de cet épisode fut un énorme gâchis.
Je ne suis pas certain que les castings dans les autres partis font l’unanimité, mais, en tout cas, cela a fait moins de bruit. J’ai reconnu ma part de responsabilité, j’ai présenté des excuses… Mais ces problèmes en interne doivent être gérés en interne. Je lis mes SMS, mes mails, je convoque le bureau toutes les semaines, je suis en capacité d’entendre si cela ne va pas. Cette culture de la discrétion doit aussi être la nôtre.
Vous regrettez que certains ne l’aient pas respectée?
Manifestement s’il y a eu autant de bruit dans les journaux, c’est que certains n’ont pas fait oeuvre de discrétion. Si certains estimaient qu’ils devaient le faire comme ça, très bien, mais j’ai quand même la liberté de penser que ce n’est pas le meilleur moyen de procéder. Moi-même, j’ai été mécontent d’une série d’actions des uns et des autres, je ne commence pas à tuer les gens dans le journal. Notre rôle, c’est de faire preuve de solidarité.
Est-ce clair, désormais?
Oui, je pense que cela l’est. Les résultats du sondage publié le week-end passé (le MR en chute légère en Wallonie et forte à Bruxelles – Ndlr) valent pour tout le monde, chacun doit en prendre sa part, la mienne aussi bien sûr, mais ce n’est pas la seule. Nous devons, collectivement, dépasser ça.
Maintenant, je vais être clair, pour moi, cette séquence est terminée. Le sondage qui est sorti est la photographie finale de l’agitation, de l’émotion, des difficultés… d’une semaine. Je suis président depuis onze mois et c’est une semaine catastrophique sur un mandat. Je suis même content que ce sondage ait été fait pile dans cette mauvaise période parce que c’est la photographie du pire. Maintenant, on doit travailler pour le meilleur.
Cela ne remet d’ailleurs pas tout le travail qui a été mené ces derniers mois: le statut des artistes, le plan de sauvetage Horeca, la réorganisation du parti… Tout n’est pas par terre. On a subi une attaque, il y a eu beaucoup de poussière dans tous les sens, elle commence à retomber, on voit les bâtiments qui sont toujours debout, on voit ce que l’on doit réparer. Mieux que ça: notre situation n’est pas si mauvaise, vu que l’on reste autour des 20% en Wallonie, il y a une cote d’alerte importante à Bruxelles mais on y était remonté, nous aurions toujours 14 sièges au fédéral demain, malgré tout ça. Si ça c’est notre pire, nous avons des perspectives de rebond, je le vois comme ça: on va prendre le temps de reconstruire quelque chose de solide.
Nous ne sommes plus pris par l’actualité de la formation d’un gouvernement, on va pouvoir redéployer. Maintenant, j’espère que tout le monde dans le monde médiatique fera oeuvre de sens de justice et de justesse.
Chapitre 2. La reconstruction interne après le chaos
Un nouvel organe, baptisé le G11, a été créé à la fin de la crise, qui réunit onze personnalités importantes du parti. Est-ce un outil de cohérence utile pour la reconstruction?
Nos sondages de juin étaient excellents et il n’y avait pas de G11. Gardons le sens de la mesure, bon sang. Il faut utiliser tous les mécanismes qui permettent au parti d’être plus efficace. Le G11 peut être un élément, mais ce n’est qu’une bribe de réponse infime par rapport à une stratégie qui doit être beaucoup plus large de mise en oeuvre d’idées nouvelles, de la manière dont on peut aller chercher d’autres profils… c’est quelque chose de beaucoup plus global. Mais tout le monde se focalise sur le G11.
Parce que cela a été mis en place pour vous accompagner en sortie de crise…
Cela confirme ce que je pense du débat public en Belgique: il manque d’analyses prospectives, de sens de la mesure, de respiration… On est dans l’instant. Si j’additionne les éditoriaux qui ont été écrits à mon égard, à une semaine d’intervalle, certains disaient que j’étais un génie, d’autres parlaient d’un immense gâchis, allez trouver la vérité là-dedans.
J’aimerais que l’on m’octroie le même espace pour des débats de fond : quand j’ai rédigé un bouquin, j’ai eu laborieusement deux articles. Ici, pour la petite phrase de l’un ou de l’autre, la plupart du temps ‘off’, on fait des duplex devant le siège du MR pendant une semaine. La manière dont le débat public est géré est lamentable. Pour le statut des artistes, je n’ai pas eu une minute au cours des JT. Nous avons organisé des libres débats sur le fond des dossiers, mais la seule chose qui intéressait les JT, c’était de savoir ce que Sophie Wimès ferait à la Chambre le 17 septembre.
Pour faire de la politique, je dois téléphoner aux rédaction pour faire du ‘off’ ou raconter quelque chose de bien dégueulasse des négos? Je peux vous en raconter des choses sur des gens qui étaient en retard, qui ne connaissaient pas leurs dossiers – pour du vrai cette fois -, des gens qui ont hurlé ou qui ont complètement perdu les pédales… Mais moi, je me prends un bashing de dingue pendant des jours et des jours. Or, les gens veulent des politiques qui ont des idées différentes. Tout le monde sait que l’on va se battre pour lutter contre les licenciements, cela, évidemment qu’on va le faire.
C’est toute la difficulté d’imposer une vision à long terme?
La reconquête – et ce n’est même pas la « reconquête », c’est la « conquête » parce que j’ai pris le parti à 20% et il est toujours au même niveau… – ne passe pas par le G11. C’est un processus plus large qui consiste à trouver un équilibre subtil entre de la nouveauté, de la modernité, du changement et la préservation de nos bases et de nos fondamentaux. Ce n’est pas toujours simple à trouver, cela demande à faire oeuvre de nuance, mais on voit assez clairement le chemin.
La crise que vous venez de traverser n’est-elle pas un révélateur de la difficulté de faire évoluer le parti: certains ont dénoncé des « clans mafieux », on a ressenti les tensions importantes avec le passé du MR, au-delà de la difficulté évidente de gérer un casting passant de sept ministres à deux et demi?
C’est ce que j’ai dit aux équipes ici: peut-être que cette séquence était un mal nécessaire. Et moi je veux que dans un an, on puisse se dire que cela nous a permis de faire un certain nombre de choses. Comme si on avait touché le fond de la piscine et que cela nous avait permis de décoller. Oui, je suis dans cet état d’esprit, effectivement, il y a l’héritage de beaucoup de choses, mais on peut regarder cela positivement. Cela a été le révélateur de beaucoup de choses, nous nous sommes dit beaucoup de choses, il y a désormais moins de faux semblants : nous étions dans une situation un peu illusoire avec nos sept ministres, la présidence du Sénat alors que nous n’avions que 14 députés…
C’était disproportionné?
Oui et cela nous faisait vivre dans un monde qui n’était pas le monde réel. Même en matière de gestion des équipes, des collaborateurs, nous nous sommes peut-être crus plus fort que ce que nous étions réellement. D’une certaine matière, c’est un retour brutal à la réalité dans une période très courte et cela nous donne davantage de perspectives pour l’après.
Pour être franc, quand je vois ce qui s’est passé ces derniers jours, je pense que le MR est peut-être le parti qui a le plus d’atouts pour rebondir.
Dans quel sens?
Nous avons ces résultats dans les sondages au terme d’une de nos pires périodes, c’est peut-être notre plancher. Sur la table, nos castings sont bons, il y a pas mal de jeunes en interne, il y a un consensus général sur la nécessité d’un travail interne de réforme, d’ouverture et de modernisation. Cela donne un mandat assez clair. Quand j’analyse tout ça, nous avons les bons outils pour repartir.
Toute la difficulté consiste à moderniser le message libéral et à rendre cela audible, c’est ça l’enjeu?
Pour moi, l’enjeu n’est pas là. Dans une relation directe à l’électeur, je sais qu’on peut le faire, sans problème. Notre enjeu, c’est qu’il y a des intermédiaires qui ne traitent pas toujours cela de façon juste, je suis désolé, mais j’ai le droit de le dire. Des gens ont écrit des tartines et des tartines sur moi sans jamais m’avoir rencontré de leur vie. En Flandre, c’est pire encore. Est-ce sérieux? J’ai des collègues qui ont passé leur journée au téléphone avec des journalistes pendant les négociations, mais c’est moi que l’on accusait de faire du ‘off’.
J’entends bien faire de cette difficulté une force et je sais exactement comment on va le faire. Mais cela ne m’empêche pas de poser le constat.
Vous avez voulu créer une marque « Georges-Louis Bouchez » dans l’adversité, en vous attaquant à l’ordre établi, peut-être est-ce cela qui a provoqué ce résultat?
D’autres l’accentuent, surtout. Dans le storytelling des médias, je suis le « bouillant Montois », le « turbulent », on le répète à chaque fois, même quand il ne se passe rien, simplement pour rappeler quel rôle je joue dans le film. Paul Magnette, c’est le professeur. Chez Ecolo, c’est la défense de la planète et des malheureux. Hedebouw, c’est le petit père des peuples. Et De Wever, c’est le stratège, le plus intelligent de tous, alors qu’il a commis l’erreur la plus basique de tous en voulant dégager les libéraux le 31 juillet sans avoir de plan de rechange – mais on n’a pas écrit des pages et des pages là-dessus, on ne va quand même pas changer le scénario du film. Et après, on nous dit que c’est de l’analyse politique: sérieusement?
Cette nouvelle séquence doit imposer des thèmes nouveaux, faire du MR un « En mieux » comme vous l’avez fait à Mons?
C’est évident. En fait, c’est enfin le moment de la mise en oeuvre de mon programme électoral pour la présidence. Il y a eu la formation du gouvernement, Wilmès II, le Covid, reformation de gouvernement, tout cela ne m’a pas permis de faire des réformes de structures en contacts avec les uns et les autres. C’est ce qui commence maintenant. Me voilà enfin pleinement président pour aller chercher les aspirations de la société, défendre des nouvelles idées, amener des nouveaux marqueurs…
Elargir le mouvement aussi?
Bien sûr, aller chercher des énergies dans la société pour pouvoir les mettre au profit du projet politique. Tout cela est sur la table, c’est clair. Et je suis extrêmement enthousiaste par rapport à ça, c’est une course de fond qui s’engage. La contrainte, c’est la crise du Covid qui ne simplifie pas les contacts, mais avec les moyens modernes, on peut y arriver. Une crise peut en outre être un moment révélateur.
Chapitre 3. La Vivaldi et la crise sanitaire
La Vivaldi est-elle une bonne chose pour le MR? C’est une coalition plus à gauche que la Suédoise avec la N-VA ou que le gouvernement minoritaire de Sophie Wilmès…
La coalition est intéressante parce qu’elle est plus cohérente avec celle des entités fédérées. C’est un projet partagé de façon plus large dans l’espace francophone et cela va nous donner un peu de respiration, nous ne serons plus toujours sur la défensive, tout seul dans notre coin. Nous avons aussi une singularité à faire entendre dans cette coalition.
Dans les aspects plus compliqués, ce sera évidemment moins simple pour nous d’imprimer notre ligne pure et dure, cela ouvre donc la nécessité pour le parti de bien faire entendre la ligne claire, dans le respect de l’accord de gouvernement, mais aussi de préparer les projets pour la suite. Nous pourrons faire entendre une ligne spécifique au parti.
Pendant la période au pouvoir avec la N-VA, beaucoup se réjouissaient en interne de pouvoir réaliser pratiquement tout le programme du MR.
Précisément. Il y a pratiquement eu une confusion entre le parti et ce qui se faisait au gouvernement. Ici, cela va nous permettre de mieux distinguer les deux et de nous donner un champ plus large. Le fait que notre famille politique, via Alexander De Croo, soit à la barre dans la gestion, c’est aussi un atout qui va nous être favorable.
Cette coalition démarre à un moment particulier avec la crise sanitaire qui redevient la première urgence. Que vous inspire cette urgence qui domine tout?
C’est vraiment ça, une urgence qui domine tout. Après, pour un responsable politique, c’est ambivalent. Il y a le sens des responsabilités qui est consubstantielle à ce qu’est l’action politique: c’est dans les moments de crise que l’on se révèle, que l’on peut marquer une différence entre ceux qui gèrent et ceux qui parlent. Néanmoins, on voit aussi dans les sondages que les seuls gagnants, ce sont les populistes, ceux qui n’ont rien géré. Le côté désespérant de cette crise, c’est que cela nous empêche de faire de la politique au sens du débat public, plus partisane, plus marquée.
On a cru pendant de longues années que celui qui gérait recevait une prime. Je crois que ce n’est plus vrai. En fait, cela a un effet paradoxal: cela peut influencer positivement l’image de celui ou celle qui est à la barre, parce qu’on le ou la voit beaucoup – on l’a vu avec Sophie et on le voit avec Alexander -, mais ce n’est pas ce qui arrive à faire la différence au niveau des partis, qui n’arrivent pas à en tirer profit. Cela prouve qu’il est indispensable pour un parti d’avoir un projet propre, une vision pour le futur, indépendante de son action au gouvernement.
Après notre action de 2019, c’était déjà le constat que nous avions posé: on payait, dans une certaine mesure, le fait d’avoir trop associé notre image à celle du gouvernement.
La crise du coronavirus a mis en avant les experts, qui ont pris une place importante. Vous avez dit qu’il était temps de revenir à la primauté du politique. Le moment est-il venu?
L’expertise est essentielle, fondamentale, mais celle d’un secteur ne peut pas être celle qui détermine la décision. Cette période a montré pourquoi on a besoin de la politique. Si on regarde la crise du Covid, et si l’on s’en tient à ce que disent les virologues, on maintient tout le monde dans un lockdown, à la maison, jusqu’à la découverte d’un vaccin. Mais il y a d’autres expertises – psychologique, de la santé au sens large, économique, sociale… On a surreprésenté l’expertise virologique dans les médias…
Pas uniquement dans les médias, dans les groupes d’expert composés par les politiques, aussi!
Oui, oui, ce n’est pas un reproche. Masi il y a eu une surreprésentation de façon générale d’une expertise, mais la décision politique s’est appuyée sur des expertises, avec un carrefour, un point d’équilibre qui est l’intérêt général. Il n’y a pas des experts de l’intérêt général ou du juste milieu, c’est une notion politique qui n’est pas absolue non plus d’ailleurs: le sens de l’intérêt général peut varier d’une personne à l’autre, d’un parti à l’autre.
Quand vous dirigez au nom de l’intérêt général, souvent, vous vous fâchez avec tout le monde: les virologues ne sont pas contents de l’approche sanitaire, les experts économiques considèrent que vous avez trop entravé l’économie, les experts de santé mentale trouvent que vous n’avez pas à donner assez de place aux libertés, les acteurs du quotidien trouvent que les mesures ne sont pas assez cohérentes… Il s’agit de trouver l’équilibre global de la société.
Chapitre 4. L’adhésion de la population et les populismes
On évoque souvent l’importance de l’adhésion de la population aux mesures. Aujourd’hui, elle s’effiloche par lassitude, comment le politique peut-il reprendre la main? Les populistes et les extrémistes se nourrissent d’ailleurs de cette défiance…
Pour qu’une démocratie fonctionne, il y a trois types d’acteurs: les politiques, les médias et la population. Or, les trois acteurs déraillent complètement aujourd’hui. Les politiques n’osent pas toujours dire la vérité parce qu’ils ont peur de certaines conséquences – je suis bien placé pour en parler. Ils manquent de courage, de pédagogie et de vision. Les médias font de l’analyse qui est parfois très à court terme, sans perspectives. Certains, pour parler de l’accord de gouvernement, disent des choses qui ne correspondent pas à l’épure budgétaire. Donc, on annonce des mesures, mais elles ne sont pas financées: mais c’est fondamental, bon dieu, comment voulez-vous rétablir la confiance dans ce cadre?
Le troisième acteur qui déraille, c’est l’électeur parce qu’il est trop facilement dans le ‘tous pourris’, ‘tous pareils’… non, les choses sont un peu plus fines. Il faut gratter un peu, aller au-delà de ce que raconte la télévision ou la gazette, sans pour autant devenir, par nature, défiant par rapport à l’ordre établi. Se forger une opinion, c’est confronter les opinions. Si tout le monde prenait le même temps pour choisir son vote qu’il ne le fait pour sa voiture, son téléphone ou ses vacances, franchement la démocratie irait mieux.
Nous devons réconcilier les gens avec la politique, mais il faut être deux pour danser le tango. Et là, c’est un tango à trois, donc c’est terriblement compliqué. Quand les trois déraillent, il ne faut pas s’étonner que le PTB ou le Vlaams Belang soient aussi hauts.
L’enjeu pour les trois années à venir, d’ici 2024, est clair. Pour caricaturer, la Vivaldi doit tenter de mettre en place un projet positif pour la Belgique pour éviter que le fossé ne se creuse encore plus, avec la montée du PTB d’un côté et du Vlaams Belang de l’autre.
Einstein disait que seuls les imbéciles pensent que les mêmes causes provoquent des effets différents. Aujourd’hui, il n’y a pas un élément, pas un seul, qui est de nature à inverser la courbe pour le Vlaams Belang ou le PTB. Pas un. Qu’est-ce qui est différent? On a un gouvernement, oui, mais je n’ai pas vu les gens sortir en rue avec des feux d’artifices pour le saluer.
C’est un prérequis, quand-même, non?
On avait déjà un gouvernement de plein exercice avant. On le voit dans les sondages: aucun parti n’est récompensé pour avoir formé ce gouvernement. C’est quand même un paramètre.
Le combat, il est là?
Il faut prendre son bâton de pèlerin, il faut convaincre, il faut avoir un peu de courage, il faut que les médias acceptent certains débats et les creusent pour aller au bout de certaines choses: la décroissance, l’allocation universelle, la réforme fiscale, la gestion de nos données privées ou le renouvellement politique. Je vais parfois à la télévision et je perds mon temps pour une facture de 300 balles durant ma campagne électorale: est-ce qu’on est sérieux, franchement? C’est surréaliste. Les mêmes vont venir vous dire ensuite que les politiques ont un grand chantier à mener. Ok!
Moi, je ne demande pas mieux que d’avoir un débat de fond à la télévision. Que l’on mette tous les présidents de parti qui ont participé à la négociation durant une heure, peut-être même deux, il faut du temps pour aller au fond des choses. Qui a dit vrai par rapport à ce qui est vraiment dans l’accord de gouvernement? Je n’ai jamais lu cette analyse.
Si on continue comme ça, c’est inéluctable que le PTB et le Vlaams Belang vont continuer à monter parce que toutes les conditions du débat actuel sont des conditions qui les font gagner. C’est comme si pour une équipe de foot, on choisissait de jouer sur son terrain, la hauteur de pelouse et la température qui l’arrange, même la forme du ballon, la pression et la taille des goals. Limite, on leur met un joueur de plus et on s’étonne qu’ils gagnent le match. Que fait-on pour les sortir de leur zone de confort, qui est le rejet du politique? Du matin au soir, dans les éditos, on nous crache à la figure, mais que l’on essaie un peu de creuser ce qu’il y a derrière. On ne peut pas écrire sans cesse sur le rejet du politique, puis s’étonner que les populistes engrangent à ce sujet.
On ne reflète plus assez la complexité des choses, selon vous?
Les éditos de certains journaux, on peut en parler, c’est « Super Sophie’ quand ça va bien, quel manque de pédagogie quand ça va mal, même chose avec moi. Et après, on s’étonne que les gens n’ont plus confiance dans les médias et votent pour les populistes. Soit on se réveillera à temps, soit on ira dans le mur et cela repartira peut-être. Mais je le répète: on n’a modifié aucun paramètre pour inverser la course du PTB et du Belang… et ce ne sont pas les résultats du gouvernement qui vont jouer. Qu’est-ce qu’on s’imagine? Parce que l’on va compenser une partie des pertes de salaires, les gens vont nous remercier? C’est fini cette époque-là…
Nous sommes dans une société où le sentiment qui domine est celui de l’injustice, parfois à raison, parfois à tort. On est dans une déresponsabilisation totale. Moi, j’entends des gars de 18 ans me dire qu’ils n’y croient plus, mais comment ne peut-on plus y croire à 18 ans? Quelles que soient les conditions de départ, hein, je suis bien placé pour en parler: mes parents ne savaient pas nécessairement où ils seraient le lendemain. J’ai dû attendre mes 26 ans pour avoir ma première voiture, mais elle était belle et j’ai dû bosser pour tout ça. J’ai bossé pour m’acheter mon premier appart, 60 mètres carrés et je suis toujours dedans. Mais je n’ai jamais perdu espoir, on n’a pas le droit: on peut se prendre en main quand même.
Au niveau des politiques, on reste sur son bout de gras habituel…
Il faut une révolution culturelle?
Je pense. Je crois aussi que l’on a un nombre trop important d’élus, c’est un autre problème.
Le Bouchez deuxième séquence veut donc révolutionner tout?
J’ai dû gérer et prendre les coups, y compris pour les autres. Maintenant, il faut entamer des réformes structurelles parce que si on ne le fait pas… Le phénomène que l’on perçoit maintenant est une lame de fond qui remonte à il y a vingt ans. Pendant mes études, en secondaires, le monde était dominé par Bush, Blair et Berlusconi. A l’époque, on nous disait que cela allait mal : Bush ment pour faire une guerre, Blair le suit et a dérégulé certains secteurs, Berlusconi avec ses frasques, l’argent et les femmes… C’est fou, disait-on alors. Aujourd’hui, les mêmes crieraient ‘alléluia’ au vu des mêmes dirigeants. Parce qu’entre Trump, Boris Johnson ou l’influence des Salvini, Le Pen ou Mélenchon. Quand vous voyez cette évolution sur vingt ans, pensez-vous vraiment que l’on va inverser la tendance parce que l’on va augmenter une allocation? Sérieux?
La révolution doit être plus fondamentale?
Oui. Il y a un peu une colère chez moi parce que quand j’explique cela, tout le monde est d’accord. Mais dès que l’on veut changer le dixième d’un millième d’un début de ligne, on souligne qu’il faut respecter les codes. D’accord: ne changeons strictement rien, alors.
C’est du conservatisme?
Mais nous sommes dans un pays où le conservatisme est le plus généralisé, surtout en période de crise. Le problème, c’est que c’est durant une période de crise que l’on devrait tout changer, mais on est tellement insécurisé que l’on veut se raccrocher à ce qui existe. C’est cela mon défi.
Tant en interne qu’en externe?
Oui, certainement, ce qui vaut pour la société vaut pour les petits groupes. Le point de départ, c’est que chacun doit reconnaître qu’il y a un problème et que ce problème est profond, que c’est une lame de fond, pas simplement un événement conjoncturel. Ensuite, il faut accepter que si l’on en change rien on va être dans la difficulté. Mais s’il n’y a pas un consensus autour de ça, que l’on n’accepte pas de retourner la table, alors ce sera pire dans un an, pire dans deux ans et, en 2024, on aura ce qu’on mérite.
Pour bien comprendre, le match, où se joue-t-il, si ce n’est pas au gouvernement?
Pour moi, cela se joue fondamentalement au niveau des partis. On peut ne pas les aimer, il faut les réformer, mais cela reste ce qui structure le débat politique. D’ailleurs, Macron est en train de s’en rendre compte: il avait dit que les partis étaient finis, mais la première chose qu’il a fait, c’est en créer un. Comment voulez-vous structurer le débat public si vous faites interagir des individus avec des individus? Ce n’est pas l’abolition des partis qui est la solution, même si on peut bien sûr les appeler autrement. Quand on fait ce constat, cela implique un travail colossal au niveau de partis pour les regénérer en partant d’une feuille presque blanche.
On parle d’une réforme de l’Etat pour 2024, mais on ne parle jamais d’une révolution démocratique, comme si c’était intouchable?
Bien sûr. Le problème, c’est que l’on n’est pas passé par le point de départ: les trois quarts des personnes sous-estiment l’ampleur du problème. Tant que l’on garde ses 20%, tout va bien, et il y a un autre paramètre pour les partis: c’est que l’on peut être à 10, 15 ou 20%, cela nous permet quasiment à tous d’être présents à tous les niveaux de pouvoir. En terme de répartition de pouvoir et de mandat, c’est bon. C’est même le paradoxe: le PS est à son plancher historique au niveau électoral, mais il compte treize mandats importants, dont deux têtes de gouvernement et une présidence d’assemblée. Je ne leur fais aucun reproche: nous aussi, nous avons huit ministres, ce qui est rare dans l’histoire du mouvement libéral, avec un petit 20%. Les partis vivent tous au-dessus de leur valeur réelle. C’est clair que c’est handicapant quand on veut initier le changement.
On me dit aussi que le PTB ou le Vlaams Belang sont surévalués dans les sondages ou qu’ils plafonnent. Bon, le Belang plafonne à 27%, j’en rêve d’être plafonné à ce niveau-là. Le souci, c’est qu’il ne nous reste plus beaucoup de digues. Le vrai risque, c’est que ces partis rendent l’ensemble du paysage ingouvernable. On peut faire tous les cordons sanitaires que l’on veut, on risque d’en arriver à ce stade-là si on n’agit pas. Il est minuit moins une de rendre tout le système ingérable.
Faut-il réunir tous les présidents de parti pour affronter le problème et décréter l’urgence nationale démocratique?
On ne perdrait rien à être tous ensemble et à faire ce constat qui dépasse la situation de nos partis respectifs, oui. Mais pour ça, il faut qu’on soit tous sur le même niveau d’analyse et je ne suis pas certain que ce soit le cas. Moi, je ne demande pas mieux, je pense d’ailleurs aussi que cette réflexion doit dépasser les partis politiques et toucher toute la société.
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