Georges-Louis Bouchez humilié, le MR risque d’être durablement fragilisé (analyse)
L’encadrement du président libéral par onze « sages » va entraver son action après un épisode désastreux qui abime l’image du parti et pourrait affecter le gouvernement De Croo. Son rival, Denis Ducarme, se retrouve sans rien.
Georges-Louis Bouchez a reçu une « dernière chance » de son bureau de parti et de ses parlementaires, après des discussions très vives: il pourra rester président, mais il est mis fin à son « hyperprésidence » (dixit Jean-Luc Crucke). Il devra se prêter à une gestion « plus collégiale ». Les députés libéraux ont entériné ce compromis dans la nuit de lundi à mardi, en l’encadrant de onze « sages » du parti: les chefs de file dans les différentes entités (Wilmès, Borsus, Jeholet, Bertrand), ses vice-présidents, mais aussi le ministre wallon Jean-Luc Crucke ou encore son ancien rival à la présidentielle, Denis Ducarme. Le fougueux Montois a eu l’humilité de s’excuser et parle d’un « bureau réduit’, pas d’un « encadrement ». Quant à Denis Ducarme, qui exigeait une « solution » après l’échec de sa nomination comme ministre wallon, il se retrouve… quasiment sans rien, avec un seul poste de député.
C’est ce qui s’appelle officiellement transformer cette crise en « un moment fondateur ». Dit en mots moins diplomatiques, il s’agit d’une humiliation pure et simple.
Des mots extrêmement durs ont été prononcés, lundi matin, qui n’étaient pas sans rappeler la terrible crise vécu au moment de l’affrontement entre Charles Michel et Didier Reynders, il y a dix ans: « Le parti est en train s’autodétruire » (Denis Ducarme), « Je n’en peux plus des despotes, du népotisme et de ce qui ressemble à des clans mafieux » (Sabine Laruelle)… Rarement une telle violence politique aura été exprimée sur la place publique entre collègues d’un même parti. Au-delà de la formule d’apaisement trouvée, lourde et bureaucratique, cela laissera forcément des traces.
Tel un Icare des temps modernes, Georges-Louis Bouchez a brûlé lui-même ses ailes. Propulsé de pratiquement rien à la présidence du parti, adoubé par Charles Michel pour lui succéder au moment de son départ au Conseil européen, le jeune homme avait pour lui une intuition politique rare, un sens inné de la communication et une capacité à bousculer les idées reçues. Il a réussi, à un rythme fou de « coups » sur les réseaux sociaux, de déclarations fortes et de décisions prises à l’emporte-pièce, à ruiner son crédit. Cette « dernière chance » le fragilise: on ne lui passera plus rien et certains ne vont pas se priver pour l’abimer davantage – des révélations sont déjà sorties dans la presse, comme par hasard, sur ses dépenses de campagne payées par le parti (mais remboursées, soutient-il). Mais connaissant l’homme, il risque de riposter, tôt ou tard, et sait avoir obtenu l’essentiel: il reste et son principal adversaire n’a quasiment rien obtenu.
L’épisode risque bel et bien d’endommager durablement l’image du MR et d’entraver l’action de celui qui doit (toujours) le diriger. Plus que jamais, le poids de Sophie Wilmès, Willy Borsus et Pierre-Yves Jeholet s’avèrera déterminant.
Avant le couac majeur du casting ministériel, le style de l’homme irritait déjà, tant en interne qu’à l’extérieur. Les tensions perceptibles durant les négociations fédérales, après son interview à Humo qui a été à deux doigts de les faire échouer, ont définitivement crispé les autres présidents de partis. Ses collègues le jugent peu fiables, dénoncent sa méconnaissance des dossiers et du néerlandais. En toile de fond, du côté francophone, il y a évidemment la rivalité assassine entre le PS et le MR pour la place de premier parti en Belgique francophone: ternir le blason du numéro un libéral est, pour certains, un sport national. Mais Georges-Louis Bouchez aurait pu finir isolé et rejeté du pouvoir wallon, comme ce fut le cas pour Charles Michel avant lui, il a cependant entériné la participation du MR à tous les niveaux de pouvoir – c’est incontestablement à son crédit. Mais face à ses collègues, il a perdu de sa superbe.
La saga autour de la désignation du casting ministériel a ébranlé ce qu’il restait de cohésion interne, sur fond de perte substantielle d’influence du MR au gouvernement fédéral: le MR n’a plus le poste de Premier ministre, ne compte plus que deux ministres et un secrétaire d’Etat, contre sept ministres auparavant. Les choix des heureux élus, forcément, feraient des déçus. Georges-Louis Bouchez a commis trois erreurs d’envergure, au moins. Premièrement, il a voulu « recaser » le ministre Denis Ducarme, son rival déçu, non repris au fédéral, au gouvernement wallon à la place de la Nivelloise Valérie Debue : un choix illégal, il a dû faire marche arrière après deux heures. Deuxièmement, il a posé ce choix sans consulter les ténors du parti à la Région, avec pour effet de les liguer contre lui. Troisièmement, il a donné l’image d’un parti à la botte du « clan Michel » en nommant Mathieu, frère de Charles, au secrétariat d’Etat fédéral à l’agenda numérique, un poste pour lequel il n’est pas davantage compétent qu’un autre. Le « renouveau » du MR a fait long feu…
Par ricochet, ce psychodrame pèsera sur les premiers pas du gouvernement d’Alexander De Croo, qui a fait du « renouveau politique » l’une de ses marques de fabrique. Cette crise d’égo du monde politique donne de lui une image désastreuse, comme ce fut le cas aussi des tensions internes au sein de Groen. Le MR se retrouve doublement fragilisé à la table de la Vivaldi – par son casting « minimaliste » et par son président recadré. Or, ce n’est jamais bon d’avoir à la table un partenaire de coalition instable et piqué au vif.
La page de la crise interne au MR est provisoirement tournée, il faudra du temps, jusqu’à la fin de l’année, pour panser les blessures et s’assurer qu’une nouvelle phase d’agitation ne survienne – qui coûtera, alors, le poste à cet Icare des temps modernes.
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