Fraude sociale: « Quand les abus sont généralisés, une réaction ultrarépressive pourrait vite virer à l’affrontement »
Professeur à l’UCLouvain, Jean Hindriks s’intéresse au domaine de la fraude sociale. Pour cet économiste, si les contrôles ont été plus « light » depuis mars 2020, c’est que la Covid était un cas de force majeure.
Les inspecteurs sociaux n’ont pu aller sur le terrain comme ils le voulaient, explique-t-il. Cette situation était subie et non décidée. Il faut aussi voir de quelles irrégularités on parle. Entre créer des sociétés bidon pour toucher des aides ou coiffer quelques clients clandestinement alors qu’on est censé avoir fermé son salon, il y a une différence… Le gouvernement a interdit de travailler à beaucoup de gens. Ce n’est pas rien. »
L’attitude complaisante des pouvoirs publics est donc compréhensible. « Il y a un phénomène de contagion dans le non-respect des règles, précise l’expert. Quand les abus sont généralisés, une réaction ultrarépressive pourrait vite virer à l’affrontement. On retrouve cette indulgence relative dans nombre de pays, Italie, Espagne, et même Allemagne, Pologne ou les pays scandinaves. » C’est inhérent aux crises économiques. Mais déloyal pour ceux qui respectent les règles. Cela pose un problème de concurrence.
« C’est pourquoi, à un moment donné, une politique de crackdown s’avère nécessaire, avance le Pr Hindriks. C’est-à-dire une intervention massive avec des sanctions fortes pour casser la tendance aux abus. Est-ce le bon moment, alors qu’on vient juste de rouvrir les terrasses de l’Horeca? Je ne crois pas. La Covid a été un tremblement de terre pour beaucoup de travailleurs. »
Quid à l’avenir? Faut-il continuer à épauler les entreprises en difficulté? « Oui, répond l’économiste. Mais il faut absolument mettre en oeuvre un système de monitoring détaillé, de la plus petite entreprise à la grande, en ciblant surtout les PME et les TPE. On ne peut plus saupoudrer les aides à l’aveugle. Il y a eu sans aucun doute beaucoup d’abus. Désormais, il faut collecter l’information de manière granulaire sur le terrain pour accompagner les entreprises qui en ont réellement besoin. Nous disposons déjà, en Belgique, d’une mine d’informations, notamment via la banque carrefour de sécurité sociale (BCSS). Il est temps de la mobiliser pour cela. »
Quant aux contrôles, Jean Hindriks considère que le datamining est efficace mais a des limites. Pour lui, le contrôle humain sur place reste essentiel. « Et faire du chiffre ne doit pas être le seul incitant. Cela peut engendrer de fausses victoires en cassant des acteurs économiques qui pourraient s’en sortir. » L’équilibre sera délicat à trouver.
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