Frank Vandenbroucke: « Le pays est fatigué »
La semaine dernière, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SP.A), a annoncé que « le royaume de la liberté », un lieu où tout serait à nouveau possible, était en vue. Une sortie étonnamment concrète et optimiste pour un ministre qui se méfie toujours des faux espoirs.
« Nous voguons sur une mer agitée et imprévisible » dit Vandenbroucke. « Mais nous pouvons voir l’île où nous voulons accoster. La route est encore pleine d’incertitudes, mais la fin est en vue. Et il est plus que temps », estime le ministre. « On ne peut le nier : le pays est fatigué. C’était une véritable déception que de devoir célébrer Noël en très petit comité. Pourtant, on voit que les gens intègrent les mauvaises nouvelles et serrent les dents. Nous les politiques, nous pouvons aider à ce qu’ils restent motivés. »
Comment faire ?
« Tout d’abord, nous devons être honnêtes et ne pas cacher notre incertitude. Les vaccins sont une excellente nouvelle. Mais même si le processus de vaccination se déroule sans accrocs, il faudra encore des mois avant que nous n’atteignions le « royaume de la liberté ». Rien n’est acquis, rien n’est garanti et on doit se montrer honnête sur ce point. Deuxièmement, il est essentiel de mettre l’accent sur la solidarité. Nous devons convaincre les gens de continuer à nous suivre, car c’est ensemble que l’on va traverser cette période incertaine et qui s’éternise. Cela exige de l’honnêteté et un leadership politique. Par exemple, en punissant les fêtes de confinement. Un véritable affront pour la grande majorité de ceux qui respectent les règles. Une approche stricte n’est pas seulement une question de respect pour les personnes qui suivent les règles, mais elle est également nécessaire pour maintenir la solidarité« , dit encore le ministre.
Plus d’un Belge sur quatre souffre de troubles mentaux
Plus d’un quart des Belges ont aujourd’hui des difficultés mentales, affirme Elke Van Hoof (VUB), psychologue spécialiste du stress et des traumatismes, présidente du groupe de travail « Santé mentale » du Conseil supérieur de la santé. Fin 2019, 14 % des personnes souffraient de stress pathologique, entraînant des problèmes d’anxiété, des dépressions, des troubles de l’humeur ou un sentiment d’inutilité. Aujourd’hui, nous sommes au-dessus des 25 %. Les conséquences sont aussi vastes que variées. Selon une recherche européenne, le fait de se sentir inutile, par exemple, entraîne une perte de productivité moyenne de 35%. C’est une bombe à retardement. Et la bombe fait tic-tac depuis longtemps, souligne-t-elle. Le bien-être mental a été sous-financé et sous-estimé dans ce pays pendant des années. Nous devons donc nous attaquer à une crise mondiale avec un monde du travail qui était déjà au bout du rouleau.
« L’accent est aujourd’hui mis à 90 % sur la médecine et à 10 % sur l’aide sociale », explique Koen Lowet. Or la crise a mis en lumière la faiblesse générale de notre système de soins de santé. Et si nous disposons de chiffres très précis sur le nombre d’infections, personne ne sait répondre avec précision combien de personnes ont contacté un psychologue pendant cette crise. Une grande partie de la souffrance psychologique reste donc sous le radar : nous ne savons pas qui se sent seul où en détresse. Plus grave, nous ne réfléchissons pas assez aux mesures visant à réduire l’impact de cette crise sur le bien-être mental. En tant que société, nous ne réalisons pas suffisamment le coût que celle-ci va avoir sur notre mental. Oui, nous connaissons le nombre de morts et nous connaissons le coût économique. Mais qu’en est-il des coûts socio-émotionnels ? Pensez aux clubs en tout genre, aux scouts, au sport amateur et à la vie culturelle. Ce tissu social a été énormément endommagé, avec toutes les conséquences que cela entraîne pour ceux qui s’en servent pour donner un sens à leur vie.
« Ce que dit le professeur Van Hoof est exact. Nous sommes surtout spécialisés dans le traitement des troubles psychiatriques graves » dit encore le ministre Vandenbroucke. « Ce qui manque, c’est un large éventail de soins de première ligne pour les personnes qui ont des difficultés psychologiques. En conséquence, les troubles sont souvent diagnostiqués dans un stade très avancé et donc plus difficile à traiter. C’est pourquoi nous allons investir concrètement dans ce domaine en débloquant 112 millions d’euros pour engager 1900 psychologues supplémentaires dans les soins de première ligne. Cet effort atteindra les 200 millions en vitesse de croisière. J’espère qu’au printemps, nous verrons les premiers résultats sur le terrain. II y a urgence. Mais il faut aussi que les mentalités changent. Les gens doivent trouver normal de demander de l’aide lorsqu’ils se sentent mentalement pas bien. Cela ne doit pas être l’objet d’une stigmatisation. Pour une grippe, vous allez chez le médecin. Et si vous ne vous sentez pas bien dans votre peau, vous allez chez le psychologue. »
Pas plus de burn-out depuis le premier confinement
Cet été Ralf Caers, professeur de gestion des ressources humaines (KU Leuven), a révélé les résultats d’une enquête par courrier électronique menée auprès de 80 000 personnes, principalement des employés, a montré que 9 % des personnes interrogées s’attendaient à souffrir d’épuisement professionnel dans l’année. En 2017, ce chiffre était encore de 12 %. « Le fait que ce chiffre ait baissé après le premier confinement nous a donné une impression positive », explique le professeur Caers bien qu’il reste prudent. En effet, il n’existe pas de chiffres fiables sur l’épuisement professionnel. Les seuls chiffres officiels sont ceux de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité. Mais ils ne sont pas à jour, puisque le dernier rapport remonte à 2018. Caers se penche donc sur les indicateurs indirects. Les employés n’ont pas pris leurs vacances plus tôt que d’habitude. On peut donc en conclure que les gens n’ont pas été épuisés par le confinement. En outre, selon le groupe de services RH Acerta, les congés de maladie de courte durée ont fortement diminué depuis la fermeture : de 16 % entre mai et octobre ».
Pourquoi la crise liée au covid ne fait-elle pas exploser les taux de burn-out? Caers y voit plusieurs raisons. Les entreprises en demandaient moins, ce qui a réduit la charge de travail. Nous nous sentons également mieux lorsque nous relevons des défis. Dans les premières semaines du lock down, par exemple, les gens ont paniqué parce qu’ils ont dû soudainement mettre en place des sessions Zoom, parfois pour des dizaines de personnes à la fois. Aujourd’hui, il s’agit de « faire un zoom et partir ». Les défis supplémentaires que nous relevons avec succès nous donnent un plus grand sentiment de compétence. Caers prévient cependant. « J’ai parfois l’impression qu’un « merci » du patron compense tout. Comme si rien n’avait pas de sens sans cela. Les gens doivent faire attention à ne pas devenir des drogués de la gommette. Bien travailler doit venir d’une motivation intrinsèque, même si le travail ne vous intéresse pas. Vous devez tirer satisfaction de votre travail si vous, et vous seul, estimez que vous avez bien fait votre travail. Cela vous rend beaucoup moins dépendant de l’appréciation de quelqu’un d’autre ».
Le mal-être peut avoir du bon
Le professeur Van Hoof souligne lui un autre paradoxe : le « mal-être » dans la société peut aussi signifier quelque chose de bon. Un malaise indique toujours que les gens s’adaptent. Le fait que ce sentiment s’estompe à nouveau signifie que nous avons trouvé une certaine stabilité. Pour lui les fêtes de confinement ou un aéroport surpeuplé de Zaventem ne sont pas des choses catastrophiques. La vanne doit être ouverte de temps en temps, c’est notre instinct. Le gouvernement ne devrait pas essayer de les empêcher vaille que vaille, mais veiller à ce que tout le monde reste à bord.
Car c’est là que le bât commence à blesser. Si depuis le début de la deuxième période de confinement, la motivation à suivre les mesures a fluctué entre 50 et 67 %, elle est tombée à 43 % depuis vendredi. On constate aussi un découragement : les gens se sentent toujours obligés de suivre les mesures, mais sont eux-mêmes de moins en moins convaincus. Dans la réalité, la population semble nettement moins s’appliquer à suivre au plus près les règles. En mettant une fois de plus l’accent sur le médical et le sanitaire, cela ne risque pas de booster la motivation de la population. C’est donc en traînant les pieds et non en sifflotant que nous allons rejoindre le fameux royaume de la liberté, le pays tant promis ou tout sera à nouveau possible.
Et à la question que signifie la hausse récente des contaminations pour rejoindre le « royaume de la liberté » Vandenbroucke reste prudent. « Le virus est très imprévisible. Nous voyons le « royaume de la liberté » devant nous, mais comme je l’ai dit, la route est encore difficile. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici