Frank Robben, à gauche, en 2013. © Belga

Frank Robben, le Big Brother de l’Etat belge

Olivier Mouton Journaliste

Le patron de la Banque Carrefour de la sécurité sociale est de plus en plus contesté. On lui devrait les couacs des invitations à la vaccination, un conflit d’intérêts sur la protection des données ou un projet mammouth très décrié.

Sans mauvais jeu de mots, Frank Robben, se trouve au carrefour des questions – ô combien sensibles pour le moment – relatives au traitement des données de la santé des Belges et à la gestion de la pandémie de Covid. Administrateur de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale et de e-Health mais aussi patron de Smals, ASBL de soutien dans la gestion de l’information par les secteurs social et de la santé, ce haut fonctionnaire réputé maîtrise depuis des années les multiples facettes de ce débat sur les données et truste des fonctions clés, devenues stratégiques depuis l’apparition du virus. Et il est de plus en plus critiqué!

L’homme dérange et inquiète, y compris dans les rangs politiques. La semaine dernière, le MR épinglait un conflit d’intérêts dans son chef et appellait à ce que l’on y mette rapidement fin. Ce mercredi 10 mars, le groupe Ecolo/Groen de la Chambre demande à l’auditionner une nouvelle fois en commission – ce ne sera ni la première, ni la dernière fois – suite à des révélations faites par Le Soir au sujet d’un vaste projet visant à jongler avec nos données. Mais au fond, que lui reproche-t-on?

« Le despote de l’Etat »

En juin dernier, déjà, le magazine Wilfried révélait que le traçage du Covid-19 en Belgique était orchestré pratiquement par Frank Robben, qui a rédigé l’arrêté royal fixant les conditions du suivi des contacts des malades touchés par le coronavirus. Le fonctionnaire se trouve pourtant au coeur de multiples soupçons de conflits d’intérêts, soulignait le magazine, en épnglant son mandat de conseiller à l’Autorité de la protection des données (APD), a priori un lieu de contre-pouvoir, précisément chargé de traquer les dérives en matière d’utilisation des données personnelles.

Frank Robben est le « despote de l’Etat », estimait le magazine. Qui le décrivait comme suit: « Un génie de l’informatique présenté comme totalitaire, anti-francophone, plus puissant que les ministres, titulaire d’un mandat illégal et sujet à quantité de conflits d’intérêts. Incontournable dans le dispositif du « contact tracing », il a mis en place un système digne d’un État policier, d’après les témoignages recueillis. »

En décembre, Le Vif mettait également en évidence le côte contestable de son rôle à l’APD. La soixantaine passée, étiquetté CD&V, Frank Robben faisait partie de ces quatre experts qui « apparaissent avoir été nommés illégalement par le parlement fédéral juste avant les élections du 26 mai 2019 », écrivions-nous. Ce quatuor avait été visé par une plainte européenne pour conflits d’intérêts et incompatibilité légale, qui « embarrasse aujourd’hui les députés », précisions-nous. Avec ce constat, implacable: « L’agence belge chargée de faire respecter la législation européenne sur la protection de la vie privée – le fameux RGPD pour Règlement général sur la protection des données – est elle-même accusée de ne pas respecter le RGPD. » Mi-février, des démissions ont d’ailleurs eu lieu à l’APD, dans ce contexte délicat.

Trois actualités chaudes

Aujourd’hui, trois éléments sont de nature à remettre en question le statut de Frank Roben.

Premièrement, à la tête de l’ASBL Smals, il serait un des responsables des nombreux couacs qui ont eu lieu pour la gestion des invitations de la campagne de la vaccination. Les centres de vaccination à moitié vide, ce serait en partie de sa faute: Smas a confié la gestion de cette organisation délicate à une petite start-up louvaniste, baptisée Doclr, qui n’avait pas les reins assez solides pour mener ce travail à bien et qui aurait été désigné en marge d’un appel d’offres, vu l’urgence. Les Régions ont vivement la responsabilité de la « plateforme interfédérale ».

Deuxièmement, son rôle de conseiller à l’APD n’est pas sans poser problème à l’heure où le gouvernement met en place un projet controversé de loi pandémie, censé couler dans un texte le cadre des restrictions des libertés. Cela n’a certes pas empêché l’APD de juger, au départ de sa propre iitiative, que l’avant-projet ne constituait pas une base légale valable pour le traitement des données qui pourraient être effectuées dans le cadre de la mise en place des mesures de police. Il donne lieu à « une violation des principes de légalité et de prévisibilité » et « doit être revu », avait dit l’Autorité.

L’Europe, d’ailleurs, s’en même. Selon LN 24, le commissaire Didier Reynders (Justice) interroge officiellement le ministre belge de la Justice sur l’indépendance de l’Autorité de protection des données et menace d’ouvrir une procédure d’infraction.

Enfin troisièmement, Le Soir dévoilait ce mercredi matin un projet baptisé « Putting data at the center » visant à créer un carrefour électronique où se croiseraient toute une série de données en principes décentralisées et auquel participerait le secteur privé. Aucune loi n’a été votée jusqu’à présent pour autoriser un tel projet mais celui-ci serait dans une phase de conception avancée. Selon des témoins anonymes interrogés par le quotidien, l’outil permettrait de « profiler chaque Belge en fonction de son pedigree social, fiscal, juridique, sanitaire… ».

« Ce projet n’existe pas chez Smals », dément Jan-Frans Lemmens, responsable de la communication, à L’Echo. Une petite recherche sur Google montre toutefois qu’un projet de ce nom existe au sein du SPF Bosa, chargé de la stratégie et de l’appui aux différentes organisations fédérales, notamment en matière d’IT, ajoute le quotidien. Mathieu Michel (MR), secrétaire d’Etat fédéral au Numérique, a tenu pour sa part à rassurer: « Je ne permettrai pas de profilage des citoyens. Il est urgent de leur rendre la transparence sur ces données qui leur appartiennent, qui n’appartiennent pas à des fonctionnaires. » Quelle sera la conséquence de cette déclaration?

Tout cela, comme toujours dans la carrière de Frank Robben, se fait surtout au nom de l’efficacité étatique et de la simplicité administrative. Mais cela fait beaucoup et ce n’est sans doute pas par hasard s’il a reçu en début d’année le prix de « Big Brother de l’année » par le Ministry of privacy, une fondation oeuvrant au respect de la la vie privée.

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