Georges-Louis Bouchez (MR) et Joachim Coens (CD&V).

Formation fédérale: pourquoi on tourne en rond

Olivier Mouton Journaliste

La prolongation du duo Bouchez-Coens n’est pas le fruit du surréalisme à la belge, mais d’une évolution de notre système: incompréhensions profondes, logiques partisanes et communautaires, egos surdimensionnés.

C’est donc reparti pour un tour. Les informateurs royaux, Georges-Louis Bouchez (MR) et Joachim Coens (CD&V) prolongent leur mission jusqu’au 28 janvier pour « clarifier » la situation. Et pour tester une nouvelle fois la possibilité de mettre N-VA et PS autour d’une même table, maintenant que les nationalistes flamands ont finalement fait quelques timides ouvertures, sociales notamment. Une « perte de temps » selon de nombreux francophones, pour qui le parti de Bart De Wever n’est « pas sincère ». Ce serait un jeu de dupes, si la clé ne se trouvait pas en Flandre: le CD&V reste persuadé qu’une majorité fédérale doit s’accompagner d’une majorité dans le groupe linguistique flamand et le SP.A, porté par son jeune président Conner Rousseau, continue à penser qu’un deal est possible avec la N-VA. La dynamique Vivaldi, minoritaire en Flandre et espérée par les partis francophones, ne pourra démarrer vraiment que lorque l’impossibilité d’unir les deux principaux partis aura été actées aussi au Nord du pays. Traduisez: ce n’est pas au PS de le décider.

Des incompréhensions profondes

Si nous ne vivons pas dans deux démocraties comme la N-VA le répète à dessein, la démocratie belge est toutefois marquée par deux opinions publiques aux sensibilités très différentes – même s’il y a bien sûr des similitudes. Au soir des élections de mai 2019, il était évident que cette dimension devrait être prise en compte, plsu que jamais. En Flandre, la N-VA est restée dominante (bien que perdante, son président l’a reconnu) avec l’explosion inattendue du Vlaams Belang. En Wallonie et à Bruxelles, le PS est resté le premier parti avec une double vague Ecolo et PTB. Il semblait dès ce moment difficile d’imaginer une issue sans passer par un chantier institutionnel – qu’on le nomme « confédéral » selon les voeux de la N-VA ou pas pour sauver la face des francophones. Or, dans les différentes missions royales, jusqu’ici, cette perspective n’a été évoquée que du bout des lèvres. Ce n’est pas la priorité face aux enjeux socio-économiques, écologique et démocratiques: tel est le message, compréhensible, mais il doit alors s’accompagner d’une autre considération.

Car les incompréhensions profondes s’expriment dans les opinions publiques à d’autres niveaux. En Flandre, l’immigration est la préoccupation numéro un, fut-elle renforcée par la propagande N-VA et Belang. Les orientations socio-économiques y sont plus à droite et l’approche de la question environnementale est plus pragmatique (songeons au nucléaire). Voilà ce qui explique les orientations plus à droite de la note Bouchez-Coens. L’expression de Bart De Wever selon laquelle il faudrait un « dentifrice flamand » pour donner un autre goût à la « bouillie » présentée par l’informateur royale Paul Magnette, président du PS, était populiste et injurieuse, mais elle était aussi révélatrice.

Tant que l’on n’aura pas abordé de front ces incompréhensions profondes, on risque la paralysie. Et l’empressement exprimé ces dernières heures par Ecolo (surtout) et le PS à engager la formation d’une Vivaldi a été contre-productif au nord du pays.

Des logiques partisanes et communautaires

Chaque parti joue dans sa cours de récréation régionale. Et chaque parti a des raisons qui lui sont propres de ne pas céder dans sa logique. Or, pour arriver à former une majorité fédérale, il faudra bien que l’un ou l’autre accepte un renoncement fondamental et prépare une déconvenue monumentale aux élections de 2024. Résumons.

Après avoir dominé le paysage flamand de la tête et des épaules, puis après avoir été en cartel avec la N-VA, le CD&V se retrouve aujourd’hui à un plancher historique. Cette descente aux enfers s’explique par la modification sociologique de la Flandre (qui ne tourne plus autour de son clocher d’église), mais aussi par son éternelle quête du compromis face aux refus francophones. Pour lui, céder à nouveau en laissant un boulevard à la N-VA et au Belang dans l’opposition risque bien d’être un arrêt de mort.

Le SP.A se trouve sous les 10%. Son jeune président Conner Rousseau (27 ans) doit imprimer sa marque et faire exister à nouveau sa formation. Or, dans ce processus de formation, il a souvent été considéré comme moins que rien, un petit frère du PS à qui l’on pourrait tout faire accepter. Rappelons que le SP.A est en majorité avec la N-VA à Anvers et a rivalisé avec l’Open VLD pour faire l’appoint dans la majorité flamande. Ce n’est pas pour rien que ce parti a joué un rôle important dans l’ombre, ces derniers jours.

Du côté francophone, Ecolo est constant depuis la campagne électorale et l’après-scrutin: pas question de gouverner avec la N-VA. Il lui serait impossible de changer d’avis, d’autant que les verts se présentent désormais comme un contre-modèle face aux nationalistes. La Belgique n’est pas l’Autriche, où conservateurs et écologistes se sont mariés.

Le PS, lui, a d’autres responsabilités en tant que premier parti francophone, mais il risque gros s’il venait à pactiser avec le « diable nationaliste » face au vent de gauche venu d’Ecolo et du PTB. Difficile d’expliquer, aussi, à ses électeurs, qu’il change de discours alors qu’il l’a suffisamment reproché au MR de Charles Michel après 2014 et qu’il n’a eu cesse d’attaque violemment la suédoise et les dérives extrémistes d’un Theo Francken.

Alors? Gouverner, c’est choisir et on voit mal comment l’un ou l’autre pourrait choisir, sans une phase de dramatisation importen – qui n’est pas encore survenue, en fait.

Les libéraux, eux, tentent de s’imposer comme la famille centrale et charnière du pays, la seule à pouvoir faire le lien entrre les deux communautés, mais cela a tendance à irriter, aussi. Et à compliquer paradoxalement la donne. Difficile de s’entendre entre donneurs de leçons…

Des egos surdimensionnés

N’oublions pas, enfin, que la politique est faite par des hommes et que, en cette période de réseaux sociaux, elle est dominée par des egos hypertrophiés dont les relations ne facilitent rien.

Ainsi, le feu-follet Georges-Louis Bouchez propulsé à la vitesse de l’éclair président du MR puis informateur, a tendance à se rêver en roi du monde (même s’il a tempéré ce penchant) et à exaspérer ses rivaux, singulièrement un Paul Magnette (PS) à quil il a succédé et qui a, lui aussi, une très haute opinion de lui-même. La relation entre ces deux hommes est une autre clé de la formation au petit jeu de savoir qui pourra revendiquer la « victoire » d’une mission réussie. Difficile, pour l’un et l’autre, d’avouer que l’autre est le « meilleur ».

Ajoutez à cela trois « nouveaux présidents » qui ne veulent pas se faire mettre de côté (l’Ecolo Nollet, le DéFi Desmet et le CDH Prévot) et vous comprendrez que le paysage francophone n’est pas forcément une source garantie de solutions, même si les uns et les autres étaient prêts à s’engager dans une coalition Vivaldi.

En Flandre, les présidents de la N-VA et de l’Open VLD, Bart De Wever et Gwendolynn Rutten, sont rentrés dans une guerre ouverte après que le premier ait dénoncé les velléités de la seconde à devenir Première ministre à tout prix. La rupture, là, est quasi définitive sur fond d’egos, avec des teintes idéologiques et « sociétales » (sous forme de relents mysogines). Joachim Coens joue gros à la tête du CD&V et se fait une réputation à travers sa mission royale. Il y réussit plutôt, surtout grâce à ce manteau à carreaux qui a déjà fait sa réputation. Mais il ne peut pas perdre la face, d’emblée. Ajoutez à cela qu’une guerre de succession se profile à l’Open VLD et que Groen n’est pas épargné par les dissensions, et vous comprendre combien les jeux de personnes n’aident en rien ce pays à ne pas tourner en rond.

Le chantier des quinze prochains jours pour les informateurs est immense. Il le sera aussi pour les « missionnaires »suivants.

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