Faut-il décoloniser les espaces publics? « La destruction doit demeurer exceptionnelle »
Le groupe de travail mis en place par le gouvernement bruxellois pour entamer la réflexion sur les symboles de la colonisation dans l’espace public de la capitale a rendu son rapport : il ne recommande pas forcément la suppression ou le déplacement systématique des symboles coloniaux, mais plutôt une analyse argumentée au cas par cas.
La destruction doit demeurer exceptionnelle et dûment argumentée, indique-t-il dans les recommandations formulées à la fin de son rapport de quelque 250 pages présenté jeudi.
Les monuments ou autres signes de la colonisation qui seraient retirés de l’espace public ne devraient pas être appelés à disparaître mais être stockés dans un dépotoir spécifique.
Dans la perspective de créer un espace public plus inclusif, le groupe de travail propose la création de nouveaux monuments et d’inscriptions commémoratives symboliques. Objectif : permettre la représentation de récits notamment historiques qui seraient actuellement absents, tant par rapport au passé colonial qu’à la diversité de la société actuelle.
Pour le groupe il convient surtout d’éviter la reproduction de nouveaux stéréotypes dans la sélection des personnes ou des thèmes à représenter. L’art dans l’espace public peut constituer un vecteur critique de transformation décoloniale en intégrant le travail d’artistes d’origine africaine subsaharienne.
Le groupe émet à ce sujet un avertissement au regard d’un événement de l’actualité récente à Bruxelles relatif au changement de nom du tunnel Léopold II : « nous déconseillons une approche basée sur la consultation populaire… les habitants choisissent dans ce cas soit un nom neutre afin d’éviter les controverses futures, soit un nom qui, par la suite, sera à l’origine de nouvelles résistances ou de nouvelles taches aveugles (cf. le tunnel Annie Cordy, qui renvoie d’une part à la culture populaire bruxelloise mais d’autre part néglige les éléments coloniaux dans l’oeuvre de cette artiste… ».
Un travail de mémoire
Les 16 membres du groupe issus du monde académique et associatif, soutiennent par contre ardemment le processus participatif et inclusif notamment au niveau local dans la prise de décisions.
Parmi bien d’autres propositions concernant des éléments de l’espace public de la capitale, le groupe de travail propose de changer le nom du boulevard Général Jacques en s’y prenant en, tout cas autrement. Il estime que « sans vouloir minimiser les contributions du général Jacques pendant la Première Guerre mondiale, en raison de la cruauté dont il a fait preuve au Congo et dans ses propres écrits, il ne mérite pas de se trouver dans l’espace public ».
Le groupe de travail décolonisation juge par ailleurs que la Région-capitale doit offrir à ses habitants un cadre permettant un travail de mémoire sur le passé colonial belge, notamment par l’organisation d’une journée commémorative autour de la période coloniale et de ses victimes.
À ses yeux, le changement de perspective doit se matérialiser par l’érection d’un mémorial en hommage à ces victimes, « de préférence au lieu le plus symbolique et contesté, celui de la statue du Roi Léopold II à la place du Trône ».
Statue équestre de Léopold II, Monument aux pionniers coloniaux…
Le groupe de travail avance encore des recommandations concrètes pour une sélection de monuments commémoratifs.
Pour la statue équestre de Léopold II sur la place du Trône, il suggère d’élever, dans une première phase, une construction temporaire dissimulant la statue et servant de support pour des informations sur l’histoire coloniale belge, ou de retirer la statue de son socle qui, une fois vide, serait vide soit utilisé pour des interventions artistiques temporaires.
Comme transformation permanente, le premier scénario recommande de fondre la statue, le bronze fondu servant à la réalisation d’un mémorial commémorant les victimes de la colonisation. Le deuxième scénario consisterait à déplacer la statue et établir sur l’espace libéré un nouveau narratif sur l’histoire coloniale, peut-être faisant référence à des traces et vestiges dans la proximité du site.
Pour l’ensemble du Parc du Cinquantenaire, le groupe de travail recommande un aménagement thématique global. Pour le monument aux premiers pionniers belges implanté dans le parc, le groupe propose un changement de nom en « Monument pour la déconstruction de la propagande coloniale belge » ainsi qu’une déconstruction visuelle et dans son contenu.
Pour le Monument aux pionniers coloniaux d’Ixelles, en revanche, il considère que l’implication la commune et des habitants d’Ixelles est importante. Le groupe de travail conseille de transférer le monument sculptural dans un musée, à Ixelles si possible. À la place du monument, il propose de placer une oeuvre en hommage à une ou plusieurs femmes congolaises.
Le groupe de travail recommande aussi la création d’un centre de documentation/musée sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale en tant que ville (post-)coloniale.
Il y a du travail sur le plan législatif également, car il n’y a à ce jour pas de cadre juridique spécifique concernant les symboles coloniaux dans l’espace public, indique enfin le rapport.
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