Études de médecine : la saga du numerus clausus continue
En pleine pandémie le gouvernement fédéral a décidé de se pencher sur un débat qui divise les communautés néerlandophone et francophone depuis plus de 20 ans : les partis flamands reprochent à la Fédération Wallonie Bruxelles de ne pas organiser de concours à l’entrée des études de médecine.
Véritable passe-droit, depuis 2017, l’examen d’entrée aux études en sciences médicales et dentaires est nécessaire pour pouvoir s’inscrire dans une des universités belges de médecine. Les partis flamands demandent aux francophones d’accepter une sélection à la fin des études, pour pallier l’absence de concours d’entrée . En échange de ce compromis, davantage de numéros Inami pourraient être attribués chaque année. Les francophones affirment qu’il n’en est pas question. Un « chantage politique » selon Chems Mabrouk, présidente et porte-parole de la Fédération des étudiants francophones. Le débat devait être abordé ce vendredi en comité ministériel restreint, mais il a été reporté, faute de consensus.
Des places (trop) limitées
Les communautés flamandes et francophones ont traversé plusieurs « vagues de tensions » raconte Chems Mabrouk. Le premier numerus clausus, qui désigne la limite fixée chaque année du nombre d’étudiants ou de professionnels admis dans la profession, date de 1997. Selon la présidente, l’instauration du numerus clausus, donc du contingentement, a été guidée par des « logiques d’austérité ».
Ces numéros Inami sont nécessaires aux médecins pour proposer des consultations prises en charge par la sécurité sociale. Le gouvernement fédéral est en charge de fixer les quotas, les communautés flamandes et francophones distribuent ensuite les numéros, selon leurs modalités propres.
Le nombre de ces numéros est limité. Sans un contingentement strict, « les étudiants en médecine risquent de ne pas recevoir de numéro Inami à la fin de leur cursus, le nombre de numéros proposé n’étant pas suffisant par rapport au nombre de diplômés » explique la présidente. D’où les différends actuels entre les deux communautés, le nombre d’étudiants sortants en Fédération Wallonie Bruxelles (FWB) restant trop élevé.
Une histoire sans fin
Un examen destiné à écrémer le nombre d’étudiants a été mis en place en 1997. Il s’en est suivi une série de systèmes destinés à limiter le nombre de diplômés, justifiés par un désir de maintien d’une offre médicale stable et de maîtrise des coûts liés à la santé. Chems Mabrouk cite le KCE, un organisme fédéral d’expertise, qui rejette cet argument financier. Dans ses rapports, l’organisme affirme qu’il n’existerait « aucune preuve de relation de cause à effet entre l’existence d’un contingentement et la maîtrise des dépenses ».
Des enjeux politiques et économiques
« Aujourd’hui on a un débat communautaire alors qu’on devrait avoir un débat sur la planification des soins de santé, sur leur financement et sur le renforcement de la sécurité sociale pour permettre à chacun d’avoir accès aux soins de santé » accuse Chems Mabrouk.
Les discussions en cours au sein du gouvernement fédéral tournent autour de la différence entre les examens d’entrée, mis en place côté francophone, et les concours, organisés dans la communauté flamande. L’objectif du débat est de déterminer quel type de sélection préférer. Si un étudiant réussit son examen, il obtiendra de facto le droit d’entamer un cursus universitaire. Aucun quota d’admission n’entre en jeu. Puisque le nombre de numéros Inami disponibles pour les étudiants est limité, « il faut restreindre le nombre d’étudiants sortant en organisant des examens de plus en plus compliqués » suppose Jean Bourtembourg, avocat et enseignant en législation hospitalière à l’ULB. Dans le cas contraire, si trop peu réussissent les épreuves, alors le système de cotation est allégé. Dans le cadre des concours flamands, en plus de réussir l’épreuve l’étudiant doit être classé pour espérer commencer un cursus, le nombre de places étant limité. Ce que les Flamands désirent, « c’est avoir l’assurance qu’il n’y a plus de dépassements, donc plus d’étudiants admis que de sésames à fournir [numéro Inami] », avance l’avocat..
Le contingentement, à tout prix
Jean Bourtembourg, associe le maintien du contingentement à une « exigence fédérale ». Une exigence selon lui basée sur l’argument de la surconsommation médicale. Un surplus de médecins entraînerait trop de prescriptions et donc induirait une compensation financière trop lourde pour le système de sécurité sociale. Selon l’avocat, aucune étude scientifique n’appuie ce constat. « Nous faisons face à une problématique qui échappe à toute rationalité. »
Le véritable point de départ, d’après Jean Bourtembourg, serait un accord mutualiste signé entre les médecins belges et l’Inami sur le prix des honoraires. En demandant une limitation des numéros Inami, les médecins qui possédaient déjà le sésame pour exercer la profession « voulaient préserver leur bout de gras » critique l’avocat. Il pointe du doigt un paradoxe, « mettre en place un filtrage de ce type a incité beaucoup d’étudiants à aller faire leurs études de médecine dans d’autres pays de l’Union européenne, en Roumanie par exemple ». Jean Bourtembourg dénonce « l’absurdité de la situation », le diplôme de médecin roumain étant reconnu par l’État belge en vertu d’une directive européenne.
Du lobbying universitaire
Pour Jean Bourtembourg, ce concours est une aubaine pour les universités flamandes de médecines, bénéficiaires d’un « système de financement arrangeant ». Depuis l’instauration du numerus clausus et du système de quotas, une réduction drastique du nombre d’étudiants n’entraîne plus de réduction proportionnelle de financement. Avant, le financement se faisait « par tête », aujourd’hui le système est plus « lissé et moins proportionnel au nombre d’étudiants ».
La pénurie aggravée
« En Belgique, la problématique principale des études de médecine et des soins de santé est qu’il y a une pénurie », indique Chems Mabrouk. Face aux études du SPF Santé Publique sur le vieillissement de la population, elle déplore une augmentation des besoins en termes de médecins généralistes, « trop peu nombreux pour assumer ». Selon elle, le numerus clausus aurait une influence sur cette pénurie, car « plus les conditions d’entrée à l’université sont contraignantes, moins on forme d’étudiants et moins de médecins sont disponibles pour la population ». Elle ajoute à ce constat des conditions de travail difficiles, rappelant la grève des médecins assistants.
Plus de besoins, moins de médecins, moins de qualité. Pour Jean Bourtembourg, le plus frappant est de maintenir cette limitation des numéros Imani, « alors qu’elle n’est pas nécessaire pour préserver la qualité des soins et nuit à leur qualité ». Comme la porte-parole, l’avocat craint que les mauvaises conditions de travail aient un impact sur l’effectivité et la précision des soins médicaux. « On est en pénurie de médecins et, nonobstant, les partis flamands demandent à limiter encore plus leur nombre ».
Déplacer le débat
Pour Chems Mabrouk, le problème est la communautarisation du débat. Au lieu de poser la question de l’accès aux soins, le débat met en opposition la communauté francophone et flamande sur un maintien du contingentement strict au niveau fédéral. La présidente insiste, la priorité est de mettre en place un financement correct des soins de santé et de réfléchir à la planification de l’offre en Belgique. Une fois ces deux choses faites, « il faudra former des étudiants en nombre pour gérer le problème de pénurie et établir un nombre suffisant de médecins d’ici 15 ans » conclut Chems Mabrouk.
Anaëlle Lucina
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