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Éolien: les dessous de l’impasse wallonne en quatre points

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Trop nombreux, peu coordonnés, les projets de parcs éoliens ne parviennent plus à sortir de terre. La Wallonie est dans une ornière pour ses objectifs en matière d’énergie renouvelable. Alors que les chances d’en sortir s’amenuisent, le gouvernement abat ses dernières cartes.

Ce sont comme des cailloux de taille variée que l’on filtrerait dans un entonnoir. Placés un à un, une partie d’entre eux passeraient à travers. Versés tous en même temps, aucun. Voilà l’impasse dans laquelle se trouve l’éolien en Wallonie. Les cailloux, ce sont ces projets de parcs concomitants poussés par plusieurs promoteurs, parfois mutuellement exclusifs. L’entonnoir, c’est la combinaison des contraintes du territoire et de la tolérance citoyenne face à des éoliennes qui modifient durablement leur cadre de vie. En 2020, seuls vingt-quatre mâts ont ainsi vu le jour en Wallonie, représentant une puissance de 68 mégawatts (MW), soit 45% de moins par rapport à 2019 (voir le graphique ci-dessous). Or, pour espérer atteindre ses objectifs de 2030 en matière de production électrique renouvelable, le sud du pays est censé installer quelque 100 MW d’éolien terrestre chaque année.

La situation s’est encore empirée depuis un an avec une augmentation d’environ 50% des capacités éoliennes bloquées.

L’histoire de l’éolien y a toujours été mouvementée. La durée de procédure moyenne entre la genèse d’un projet et la décision finale d’implantation est de cinq ans, estime le ministre de l’ Aménagement du territoire, Willy Borsus (MR). En 2013, le gouvernement wallon, via Philippe Henry (Ecolo), actuel ministre de l’Energie, avait tenté une approche centralisée, en accompagnant son cadre de référence éolien d’une carte des « zones favorables ». Jugée imprécise, y compris par une partie de la communauté scientifique, elle avait eu pour effet contreproductif d’attiser la vindicte populaire contre « l’invasion » de mâts, avant d’être finalement abandonnée.

Depuis lors, plus de carte donc, mais bien une « Pax Eolienica », proposée en 2018 par la législature suivante. Déclinée en quinze mesures, elle visait notamment à « renforcer l’acceptabilité des riverains et des pouvoirs publics ». Trois ans plus tard, l’éolien reste pourtant dans une impasse. D’où la décision, adoptée le 17 juin dernier par l’actuel gouvernement PS-MR-Ecolo, de plancher sur une Pax Eolienica 2.0. « On ne mesure pas encore la pleine ampleur de la chute de la puissance installée en 2020, résume Damien Ernst, spécialiste du secteur de l’énergie à l’ULiège. Il n’y a quasiment plus de permis délivrés à l’heure actuelle. A ce rythme, il n’y aura presque plus de nouveau parc éolien en Wallonie dès mi-2022. » Pour quatre grandes raisons.

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1. Des délais de recours trop longs

Logiquement, les pouvoirs locaux, les citoyens ou les associations concernées par un projet de parc peuvent déposer un recours contre l’octroi du permis. D’abord auprès des ministres de l’Environnement (Céline Tellier, Ecolo) et/ou de l’ Aménagement du territoire (Willy Borsus), puis devant le Conseil d’Etat. « C’est une bonne chose que les permis soient scrutés par une autorité pour en analyser la qualité juridique, souligne-t-on chez un promoteur. Mais le problème, ce sont les délais du Conseil d’Etat, surtout quand le dossier y revient à plusieurs reprises. Pendant toutes ces années, un conflit va se créer entre développeurs et riverains. »

Une insécurité juridique dénoncée en début d’année par Edora, la fédération des énergies renouvelables: « 460 MW de permis éoliens octroyés sont actuellement bloqués, pour généralement plusieurs années, au niveau du Conseil d’Etat par une poignée d’opposants. Alors que la sécurisation juridique du secteur éolien était une priorité de début de législature, la situation s’est encore empirée depuis un an avec une augmentation d’environ 50% des capacités éoliennes bloquées. » Willy Borsus a refait les comptes il y a un mois. « Actuellement, il y a 39 dossiers éoliens au Conseil d’Etat, pour un total de 233 mâts concernés. Ce que l’on peut espérer à l’avenir, c’est qu’une seule décision du Conseil d’Etat permette de vider l’ensemble des questions et discussions sur un dossier, pour éviter les allers-retours. »

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2. Trop de projets

Il est désormais fréquent qu’une commune compte plus de cinq nouveaux projets éoliens sur son territoire. En règle générale, tous n’aboutiront pas. Mais leur coexistence accentue les craintes légitimes des citoyens, qui en entrevoient les dérives cumulées: bruit, effet d’encerclement, altération du paysage, dégradation de la valeur immobilière… Invités à plusieurs réunions d’information dans un temps court, les riverains s’exaspèrent alors de chaque projet, là où la concrétisation d’un seul d’entre eux ne leur aurait pas nécessairement posé problème. « Le déploiement de l’éolien terrestre est de plus en plus contentieux, confirme Willy Borsus. Les mouvements citoyens sont nombreux. A cela s’ajoutent des positions plus souvent négatives des villes et des communes concernées. » Hannut, Bertogne ou Bastogne, entre autres exemples, disent désormais non à tout futur projet éolien sur leur territoire. Et quand une commune comme Houffalize fait un appel d’offres pour un projet éolien raisonné, sur un terrain public, cette annonce crée un appel d’air sur des sites avoisinants, privés ceux-là, convoités par d’autres promoteurs.

Trop souvent, les permis sont accordés selon la logique du u0022premier arrivé, premier serviu0022.

Deux autres épisodes ont mené à un embouteillage conjoncturel de projets. Le premier est lié aux élections communales de 2018, période durant laquelle plusieurs promoteurs acceptent de geler l’annonce de leurs projets, pour éviter des tensions en pleine campagne, confirme l’un d’eux. Le second est dû à la crise sanitaire: si celle-ci a engendré un report des réunions d’information, elle n’a pas empêché les consultants d’avancer sur les études d’incidences nécessaires pour l’octroi de permis. Résultat: souvent, les projets de parc se neutralisent l’un l’autre. « Cela démontre toute l’importance d’avoir une approche coordonnée », suggère Damien Ernst. Selon Willy Borsus, il est « trop tard » pour déployer une nouvelle cartographie moins polémique que la mouture de 2013, tant l’éolien a désormais pignon sur champ.

Difficile, dès lors, de filtrer en amont. Au niveau juridique, rien ne peut empêcher un promoteur de sceller un accord financier avec un propriétaire foncier, en vue d’y développer plus tard un parc éolien si le permis est délivré. Les préaccords de ce type, qui se chiffrent en dizaines de milliers d’euros, sont monnaie courante. Tout comme l’éclosion d’acteurs qui se contentent de sécuriser une zone et d’y obtenir un permis, avant de le revendre à l’un ou l’autre promoteur. « Trop souvent, les permis sont accordés selon la logique du « premier arrivé, premier servi », constate un développeur. Or, fondamentalement, la coexistence de plusieurs projets pourrait être bénéfique, puisqu’elle permettrait de choisir le meilleur d’entre eux. »

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3. Des bénéfices déséquilibrés

Le ras-le-bol est aussi lié à la répartition jugée inégale des bénéfices financiers des parcs éoliens. En 2013, le cadre de référence suggérait l’ouverture à une participation des communes et des citoyens jusqu’à 49,98%, dans tout projet de ce type. « Cela n’a pas été rendu obligatoire, mais figure bien parmi les bonnes pratiques, commente Benjamin Wilkin, secrétaire général de l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (Apere). Toutefois, je n’ai jamais vu un tel niveau de participation dans les faits, hormis dans des projets purement citoyens. En règle générale, on est plutôt aux alentours de 25% pour la commune et les citoyens. » Ce levier participatif, qui figure aussi dans l’actuel accord de gouvernement, est crucial pour apaiser les esprits, bien que les contraintes quant au niveau d’endettement des communes empêchent certaines d’investir en ce sens.

A l’heure actuelle, les communes n’ont aucun intérêt à accepter de l’éolien.

S’il existe bien des taxes communales sur les mâts éoliens, elles restent dérisoires dans un budget communal. D’où cette question soulevée par Damien Ernst: les communes ne pourraient-elles pas percevoir une quote-part substantielle des plantureux loyers versés par les développeurs aux propriétaires des terrains où s’érigent les projets éoliens? « A l’heure actuelle, elles n’ont aucun intérêt à accepter de l’éolien, précise-t-il. Or, quand on sait que le loyer versé au propriétaire foncier peut atteindre 50.000 à 100.000 euros par mât éolien, il faudrait faire en sorte que cette rétribution soit partagée plus équitablement. » Dans les faits, il est toutefois impossible de contraindre le propriétaire d’un terrain à céder une partie de ses bénéfices au profit de la collectivité.

4. Des objectifs irréalistes?

Vu ces contraintes en apparence immuables, la Wallonie a-t-elle surestimé la contribution de la filière éolienne pour parvenir aux objectifs de production renouvelable en 2030? Les législatures ont-elles péché par naïveté ou effet d’annonce en promettant un développement éolien délesté de ses lourdeurs, alors que le casse-tête reste insoluble depuis vingt ans? Les sites susceptibles d’accueillir de l’éolien restent nombreux en Wallonie, estiment bon nombre de scientifiques. Mais les faits démontrent qu’il ne suffit pas d’imprimer une cadence en partant d’un but fixé à un horizon de dix ans. « On est en train d’assister à l’effondrement total de tous les objectifs wallons en matière de renouvelable, juge sévèrement Damien Ernst. Il est temps d’acter politiquement qu’ils n’étaient pas jouables. »

Si Willy Borsus dit vouloir rester ambitieux et mise sur les progrès technologiques, il s’interroge néanmoins: « Comme l’éolien terrestre pose de plus en plus problème, n’y aurait-il pas de meilleures capacités dans d’autres filières pour atteindre nos objectifs en matière de renouvelable? Je pense notamment au grand photovoltaïque, à installer sur des sites industriels, des parkings, etc. Je constate une forte demande de nombreux acteurs soucieux d’accélérer le déploiement de ce type d’installations. » Un pari incertain, alors que la filière photovoltaïque dans son ensemble accuse un retard conséquent sur ses objectifs de production initiaux. La pression est donc maximale sur le gouvernement: après la récente fermeture de la centrale des Awirs, qui fut alimentée par la biomasse, la Wallonie pourrait disposer de moins d’électricité issue de sources renouvelables en fin de législature qu’à ses débuts. Ce serait un bien funeste aveu d’impuissance.

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