Enseignement : « Nous trouvons qu’il s’agit d’un risque important pour trois semaines de cours »
Suite à la décision prise par le comité de concertation d’un retour progressif à l’école, notamment dans l’enseignement fondamental, les syndicats élèvent leur voix. Entretien avec le président communautaire de la CGSP Enseignement, Joseph Thonon.
Le Vif : Quelle a été votre réaction face à la nouvelle annonçant la réouverture progressive des écoles?
Joseph Thonon : Nous sommes estomaqués par les décisions. Il s’agit d’un changement radical en quinze jours. Nous ne sommes pas convaincus. Prenons, par exemple, le port du masque par l’enseignant dans l’enseignement fondamental (ndlr : maternel et primaire) qui n’est plus obligatoire ou encore le nettoyage des jouets dans les classes de maternelles qui n’est plus requis.
Le calendrier vous semble-t-il cohérent?
Ce n’est pas cohérent. Les plaines de jeux ouvertes sont maintenant accessibles au public tandis que les plaines de jeux couvertes sont fermées, mais on va ouvrir les écoles maternelles. On parle de « bulles » maintenant et non plus de « silo ». Comment voulez-vous garder la « bulle » de troisième maternelle et de deuxième maternelle dans une cour de récréation ?
Par ailleurs, les écoles fondamentales peuvent accueillir plus de 20 personnes par classe sans risque et sans distanciation sociale alors que nos rapports sociaux sont limités à 4 personnes en dehors de la bulle familiale. Nous sommes étonnés et choqués des mesures. Les enseignants ne sont vraiment pas contents.
Quand estimiez-vous la date d’un « bon » retour à l’école et sous quelles conditions?
Nous aurions voulu que l’année scolaire se poursuive jusqu’au 30 juin dans la configuration décidée il y a quinze jours. Nous souhaitions préparer une rentrée pour le mois de septembre.
Nous trouvons qu’il s’agit d’un risque important pour trois semaines de cours.
Avez-vous été concertés?
Nous n’avons pas été consultés. Nous avons été informés, mais nous n’avons pas pu donner notre avis. On nous a envoyé le document du GEES. Nous nous sentons pris en otage par rapport à l’avis des experts. Nous défendons les intérêts et la sécurité des enseignants ainsi que la qualité de l’enseignement. Mon collègue de la CSC estime que ces mesures creuseraient les inégalités. Je le rejoins. Nous le remarquons déjà maintenant avec le faible taux de présence dans les écoles plus populaires. Je peux aussi déjà vous prévenir que nous refuserons que l’enseignant qui donne cours en classe prépare les cours le soir pour les enfants qui ne sont pas présents.
Position de la CSC-Enseignement
La CSC-Enseignement a exprimé mercredi soir son « amertume » après les décisions du Comité de concertation de permettre le retour en classes de toutes les maternelles à plein temps à partir du 2 juin, et celui de toutes les primaires à partir du 8. »Je suis amer », a commenté Roland Lahaye, secrétaire général de la CSC-Enseignement, interrogé par Belga. « Ce sont là des mesures extrêmement rapides qui vont beaucoup plus loin que j’aurais pu l’imaginer ».
Vu le climat d’inquiétude qui prédomine encore auprès de certains parents, celui-ci redoute que beaucoup d’enfants ne regagnent pas leur école, ce qui risque d’amplifier les écarts scolaires entre les enfants qui auront réintégré leur classe d’une part, et ceux qui resteront encore chez eux.
« Avec le régime actuel, les enseignants n’avaient repris les cours en présentiel qu’à temps partiel, ce qui leur permettait de préparer durant le reste de leur temps des travaux à domicile pour les élèves restés chez eux. Mais maintenant, ces enseignants vont retravailler à plein temps. Quand vont-ils trouver du temps pour préparer des travaux pour les autres? Le soir? Ah, non! « , avertit M. Lahaye.
Outre ce risque d’écarts entre élèves d’une même classe, le danger est aussi grand de voir les écoles reprendre les cours en ordre dispersé à partir du 8 juin en fonction de leurs capacités organisationnelles propres, ce qui ici aussi va entraîner des retards d’enseignement d’une école à l’autre. « La conséquence de tout cela, c’est que les écarts vont grandir, ils vont s’accentuer », prédit le patron de la CSC-Enseignement. Celui-ci ne comprend pas non plus la vitesse avec laquelle les règles sont modifiées « à un moment où toutes les équipes dans les écoles sont sur les rotules » après avoir dû préparer les rentrées des 18 et 25 mai derniers.
« Les gens ont aujourd’hui une capacité beaucoup moins grande d’accepter ces choses. Évidemment, il faut déconfiner. Mais la manière et la vitesse avec laquelle cela est fait m’étonnent ». M. Lahaye pointe aussi ce qu’il considère comme des « incohérences ». « On va permettre à plus de 20 enfants de maternelle de se retrouver dans une classe, qui est un espace fermé, alors que les plaines de jeux, qui sont elles en plein air, sont limitées à 20 enfants maximum. Allez comprendre! « .
Pour le syndicaliste, les autorités auraient mieux fait de laisser un peu plus de temps pour organiser cette reprise généralisée, notamment pour permettre à tous de retrouver confiance. « Mais il y a eu clairement ce que j’appelle un +vent du Nord+, à savoir une pression de la Flandre. Il ne faut pas le nier. Les sorties intempestives du ministre flamand de l’Éducation (Ben Weyts, ndlr) ces dernières semaines ont fortement influencé les débats, c’est clair… ».
(Avec Belga)
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