E-commerce: il suffit d’une phrase pour faire bouillir la Vivaldi (et pourquoi c’est révélateur)
La sortie de Paul Magnette (PS), qui souhaite une Belgique « sans e-commerce », met une nouvelle fois le feu aux poudres au sein de la Vivaldi. Une déclaration dont le timing est loin d’être anodin. Elle révèle, par ailleurs, la méfiance mutuelle entre PS, MR et Ecolo.
Les querelles au sein de Vivaldi ont atteint de nouveaux sommets. Après l’accord mouvementé sur le pouvoir d’achat la semaine passée, c’est désormais la question de l’e-commerce qui fait grincer des dents.
« Après la sortie du nucléaire, il serait souhaitable de sortir de l’e-commerce ; faisons de la Belgique un pays sans commerce électronique, avec de vrais magasins et des villes animées. » La sortie du président socialiste Paul Magnette n’a laissé personne de marbre dans la Vivaldi. Tirée d’un entretien accordé à Humo, la phrase du patron du PS fait du bruit, beaucoup de bruit. Les libéraux s’insurgent et crient au non-sens, les Verts qualifient les propos de « caricaturaux », le CD&V n’approuve pas. Magnette, qui semble isolé sur la question, campe sur ses positions et maintient ses propos : « Je défendrai toujours le commerce local et les petits indépendants. Libre au président du MR de défendre Jeff Bezos, le modèle Amazon et ses conditions de travail digne du ’19ème‘ », s’est-il justifié suite à une attaque frontale du président du MR Georges-Louis Bouchez.
En réalité, la phrase de Paul Magnette est loin d’être anodine. Elle fait écho à un historique quelque peu houleux au sein du gouvernement fédéral. Car chez les socialistes, l’aversion pour le e-commerce n’est pas neuve. « L’enjeu pour moi n’est pas de créer du jour au lendemain 5.000 emplois supplémentaires dans le e-commerce avec des conditions de travail plus flexibles, mais de réduire de moitié le nombre de malades de longue durée – environ 400.000 actuellement. Cela n’est possible qu’avec des emplois de qualité », avait déclaré le secrétaire d’Etat Thomas Dermine (PS) au Standaard l’été dernier.
Entre-temps, cependant, il avait été convenu lors des discussions budgétaires d’octobre de « faciliter le commerce électronique », comme annoncé par le Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) dans sa déclaration politique à la Chambre. L’e-commerce était l’un des « tabous » auxquels le gouvernement s’attaquerait. Et dans cette guerre d’influence, les libéraux ont triomphé.
L’assouplissement le plus important obtenu par la droite était la possibilité du travail entre 20 heures et minuit dans le commerce électronique, dès qu’un syndicat l’autoriserait. Le Standaard rappelle que ce schéma avait déjà été élaboré sous le gouvernement Michel en 2017, mais sans qu’aucune suite ne soit donnée depuis lors.
L’accord en vigueur était que le ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS) soumettrait une proposition à ce sujet aux partenaires sociaux. Problème : cela n’a toujours pas été fait. Et du côté patronal, le mécontentement est palpable. « Nous attendons depuis octobre », a lâché, amer, Pieter Timmermans, administrateur délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB).
Un timing bien choisi
Cette semaine, le gouvernement doit voter sur la proposition, dans le cadre d’un accord de travail plus large, mais Magnette semble donc prêt à faire exploser les choses. On comprend dès lors que le timing de sa déclaration est loin d’être innocent.
Sur Twitter, la sortie de Magnette a mis le feu aux poudres. « Revenir à l’économie d’il y a cent ans ne nous aidera pas », ont déclaré à l’unisson les présidents libéraux Georges-Louis Bouchez (MR) et Egbert Lachaert (Open VLD). Le fait que le PS ait lui-même une boutique en ligne a fait rire certains. Alors que d’autres pointent le côté hypocrite d’une telle phrase, Magnette ayant participé au lobby pour attirer le géant Alibaba à Liege Airport.
Ecolo ne s’est pas privé de pointer le manque de nuance du PS… et du MR. « Entre Amazon et le retour à la bougie, il y a une 3e voie: travailler sur les conditions de travail du secteur et aider nos pme et indépendant.e.s à accéder à l’e-commerce. Comme on le fait déjà à Bruxelles. On s’y met? », a lâché la co-présidente Ecolo Rajae Maouane.
Entre Amazon et le retour à la bougie, il y a une 3e voie: travailler sur les conditions de travail du secteur et aider nos pme et indépendant.e.s à accéder à l’e-commerce. Comme on le fait déjà à #Bruxelles avec @barbaratrachte. On s’y met ? https://t.co/nIF1rJiRqT
— Rajae Maouane (@RajaeMaouane) February 7, 2022
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Le CD&V, autre parti de la coalition Vivaldi, ne comprend pas non plus Magnette. Il ne s’agit pas de choisir entre « des magasins locaux ou du commerce électronique. L’avenir réside dans une combinaison de magasins attrayants et d’une offre en ligne. Nous devons créer un secteur du commerce électronique qui soit durable et fonctionne avec des conditions de travail équitables », a déclaré Joachim Coens.
Plus frappant encore, les socialistes néerlandophones deVooruit ne semblent pas tout à fait en raccord avec le PS. On est en tout cas loin d’évoquer une Belgique sans e-commerce. « Aujourd’hui, le commerce électronique consiste souvent en une concurrence déloyale de l’étranger pour nos magasins ici. C’est précisément pour cela que nous allons mettre en place une taxe numérique, à laquelle ces acteurs étrangers contribueront. Nous devons bien protéger les salariés », a déclaré le président de Vooruit Conner Rousseau.
Le PS isolé
Le PS semble ainsi isolé dans son rejet radical du e-commerce. Même si les propos de Magnette ont aussi été relativisés hier au siège socialiste. « Il construit toute une vision dans l’article. » Pourtant, seule cette phrase risque d’être mémorisée. Et pour la énième fois, une distinction est faite entre ce que dit le président et « le travail au gouvernement ».
Dans les coulisses, on entend dire que le PS finira par honorer les accords concernant l’e-commerce, mais que le parti cherche surtout des concessions concernant le statut des travailleurs des plateformes, comme les coursiers Deliveroo et les chauffeurs Uber, selon les indiscrétions recueillies par le Standaard. Là aussi, le gouvernement n’a pas encore précisé comment il fournira de « meilleures conditions de travail », ce qui touche encore plus au coeur des revendications socialistes.
Méfiance mutuelle
L’espoir demeure toutefois qu’un accord de travail puisse être conclu d’ici vendredi. Mais les chamailleries incessantes au sein du gouvernement menacent de faire pâlir le moindre arrangement. Peu importe le domaine, d’ailleurs. Covid, sortie du nucléaire, pouvoir d’achat et maintenant e-commerce : chaque dossier amène sa source de tensions dans la coalition Vivaldi, qui tangue (beaucoup), mais ne coule pas (encore). Entre PS, MR et Ecolo, la méfiance semble désormais mutuelle. Et systématique.
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Magnette réagit et précise ne pas vouloir « faire disparaître tout l’e-commerce »
Le président du Parti socialiste Paul Magnette est revenu, dans un entretien à Sudinfo, sur son souhait exprimé la veille dans le magazine flamand Humo de voir la Belgique sortir de l’e-commerce. « Non, bien sûr. Il n’est pas question de faire disparaître tout l’e-commerce », précise-t-il.
Paul Magnette explique avoir tenu ces propos dans la presse flamande en réaction à la « fascination » vivant selon lui en Flandre pour le modèle des Pays-Bas voisins, où la flexibilisation des conditions de travail du secteur nourrit la concurrence et mine les conditions de travail et les droits des travailleurs.
« Moi, je dis aux journalistes flamands : non, il ne faut pas flexibiliser à cause d’une concurrence avec les Pays-Bas. Il ne faut pas tirer vers le bas. Déjà, pour l’environnement, c’est mauvais. » Il considère aussi que ça n’apporte pas de l’emploi mais le déplace, en plus de supprimer le contact humain avec le vendeur.
Mais quant à rêver de faire disparaître l’e-commerce, « non, bien sûr, il n’est pas question de faire disparaître tout l’e-commerce. Il n’est pas question d’interdire, mais ce n’est pas le modèle que je défends. »
Enfin, dans le débat sur le travail de nuit du secteur, Paul Magnette exclut tout travail au-delà de minuit. « On peut discuter du travail de soirée, mais jusqu’à minuit, pas au-delà ».
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