Carte blanche
Deux heures de philosophie et de citoyenneté, c’est un minimum
Le cours de philosophie et citoyenneté revient déjà au coeur du débat public autour d’un enjeu : une deuxième heure potentiellement obligatoire pour les élèves de l’officiel, en lieu et place des cours de religion. En effet, depuis la rentrée scolaire 2017-2018, ces élèves bénéficient d’une heure de cours de philosophie et de citoyenneté par semaine. Le choix de la deuxième heure est libre : soit une deuxième heure de philosophie et de citoyenneté, soit une heure de religion ou de morale laïque. L’heure de CPC n’est pas donnée comme telle dans l’enseignement libre confessionnel : cette initiation à la philosophie et à la citoyenneté est réputée transmise dans différents cours, de « manière transversale ».
Aujourd’hui, il n’est plus l’heure de tergiverser. Les enjeux de société – désinformation, repli identitaire, inégalités hommes/femmes, populisme, radicalisme, climato-scepticisme, théories du complot, défiance envers les sciences empiriques – doivent rassembler tous les acteurs de l’enseignement dans l’intérêt des jeunes, d’où qu’ils viennent. Deux heures par semaine, ce n’est pas de trop pour apprendre à forger sa propre opinion au moyen d’outils philosophiques. Pas trop non plus pour comprendre et exercer tout ce que recouvre le concept de citoyenneté.
Qui peut prétendre qu’il serait inutile pour certains de bénéficier de cette formation dont l’objectif est de permettre aux élèves d’horizons différents de construire ensemble une société pluraliste, tolérante, durable et harmonieuse ? De leur offrir un espace commun de discussion et de découverte des courants philosophiques, religieux ainsi que des textes fondateurs des sociétés démocratiques ? Car ce cours propose aussi aux élèves d’appréhender le fait religieux (approche comparée, historique, culturelle, anthropologique…), non pas dans une logique de confrontation des fois respectives « à partir » des religions, mais bien « sur » des religions. Nuance fondamentale.
Il n’est que temps de mettre enfin au programme l’acquisition de ces compétences philosophiques et citoyennes, indispensables à un engagement conscient et bénéfique dans la vie sociale et l’espace démocratique. Favoriser le questionnement et la construction d’une pensée autonome et critique est devenu primordial quand on mesure l’impact, chaque jour, des publications sur les réseaux sociaux, mêlant le vrai au faux, interprétant les faits en suscitant la suspicion et la haine. Quelle raison valable peut-on opposer au projet de rassembler tous les élèves dans ce même cours deux heures par semaine plutôt que de les séparer sur base de convictions religieuses ou non ?
Sur le plan des principes, en Belgique, l’école est le dernier lieu où un citoyen est identifié administrativement en fonction de ses croyances ou convictions, alors que dans d’autres circonstances cette assignation est anticonstitutionnelle ! N’est-il pas temps de reconnaitre que ce système est en profond décalage avec une société moderne ancrée dans la réalité ?
Sur un plan pratique, le système actuel crée de lourdes difficultés organisationnelles et un casse-tête pour la confection des horaires. Actuellement, une quinzaine de formules différentes s’offre aux élèves francophones en fonction de leur conviction religieuse – ou plus souvent celle de leurs parents. L’horaire général des cours est ainsi principalement fixé en tenant compte uniquement des disponibilités des professeurs des principaux cours de religion suivis ; au détriment de l’intérêt et du bien-être des élèves. Tout cela a évidemment un coût pour une FWB en difficulté financière : la prolifération d’options très peu fréquentées nécessite de nombreux enseignants pour une poignée d’élèves alors que, dans des matières de base, les professeurs doivent donner cours à des classes bondées. Certes, la transversalité du cours de philosophie et citoyenneté facilite la vie des directions et des professeurs des écoles du libre confessionnel, mais les outils de philosophie et de citoyenneté qu’offre la disciplinarité aux élèves de l’officiel deviendra rapidement un réel atout dans leur développement citoyen et leur émancipation personnelle. C’est là le seul objectif qui doit rassembler nos forces.
En conséquence, il en va de la crédibilité de notre enseignement, de son organisation et de sa soutenabilité. La complexité et la lourdeur de ce système hybride a un coût désastreux pour les élèves, les enseignants et les finances publiques.
Dans une lettre commune de 2016, les évêques de Belgique plaidaient pour la nécessité d’apprendre à argumenter de manière rationnelle pour présenter un point de vue personnel et enfin, favoriser un meilleur vivre-ensemble, [évitant] ainsi d’entrer dans la spirale des fondamentalismes et des replis identitaires. Chiche ? En route vers un cours de 2 heures de philosophie et citoyenneté obligatoire pour tous les élèves francophones, alors !
Véronique De Keyser
Présidente du Centre d’Action Laïque
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