Carte blanche
Deux heures de philosophie et de citoyenneté: assez de tergiversations (carte blanche)
Le groupe de travail parlementaire qui, selon la Déclaration de politique communautaire, est chargé d’examiner » l’extension [d’une heure] à deux heures du cours de philosophie et citoyenneté pour l’ensemble des élèves de l’obligatoire » remettra ses conclusions dans les prochaines semaines.
Comme convenu, il poursuit des travaux menés en 2018 par un précédent groupe de travail. A ce moment déjà, la volonté commune à tous les partis était bien « l’évolution du CPC vers un cours unique de deux périodes« , moyennant des particularités propres à chaque courant politique. Ce consensus de départ pour lancer les travaux actuels semblait d’autant plus solide que la situation actuelle est intenable pour les professeurs et les élèves : des conditions de travail et de mobilité compliquées pour les enseignants, des difficultés organisationnelles absurdes pour les directions, et enfin des inégalités entre élèves, professeurs, et réseaux… Toutes ces difficultés sont le fruit d’une dizaine de combinaisons possibles pour les élèves et les écoles, et bientôt davantage si l’on introduit un nouveau cours suite à la reconnaissance du bouddhisme comme culte officiel. Tant sur le plan pédagogique qu’organisationnel, le statu quo est intenable.
A ce tableau noir plaidant en faveur d’un unique cours de deux heures en lieu et place des cours convictionnels, s’ajoutent trois éléments de fond qui permettrait à la Belgique de rejoindre la plupart des pays européens ayant inscrit la philosophie à leur programme d’enseignement.
Le premier se situe au niveau de l’objectif principal du cours de philosophie et citoyenneté : les enjeux de société – désinformation, repli identitaire, inégalités hommes/femmes, populisme, radicalisme, climato-scepticisme… – obligent nos élèves à se doter d’outils philosophiques pour apprendre à forger leur propre opinion, mais aussi comprendre et exercer tout ce que recouvre le concept de citoyenneté. Cette nécessité s’est illustrée notamment durant la crise sanitaire, avec un retour en force de la désinformation, du complotisme et de la méfiance envers les sciences et les savoirs empiriques. Aujourd’hui, nous n’avons pas le luxe de considérer certains prétextes plus importants que cet enjeu fondamental pour l’avenir de nos jeunes. Consacrer deux heures par semaine à la philosophie et la citoyenneté est un minimum.
C’est ensuite une question d’égalité. Réunir tous les élèves dans un vrai cours de deux heures de philosophie et citoyenneté, c’est les initier ensemble à la culture du débat, au questionnement philosophique, à la construction d’un discours et d’une pensée critique, ainsi qu’à l’acceptation des différents points-de-vue sur des sujets variés d’actualité. Ces outils philosophiques ne sont pas innés. Ils nécessitent d’être découverts, appris et exercés tout au long de sa scolarité. Le cours de philosophie et citoyenneté est le seul endroit qui garantit à tous les élèves francophones, ensemble, de bénéficier de manière équitable de cet apprentissage et de les préparer à penser librement. Ce cours s’inscrit donc sur le terrain de l’égalité.
Enfin, la possibilité du choix qui fonde notre système actuel est le fruit d’un compromis et donc forcément imparfait. En termes de vivre ensemble et de citoyenneté, il apprend aux élèves dès leur plus jeune âge que la religion de leurs parents les invite à se séparer pour réfléchir au sens de la vie. A l’inverse, un cours de deux heures de philosophie et citoyenneté réunit les élèves, quelles que soient leurs convictions ou celles de leurs parents, et les invite à se questionner ensemble sur ce qui les réunit. Doit-on encore reporter le moment où l’école cessera d’être la seule institution de service public qui sépare les enfants sur base de leurs croyances et les identifie comme tels ? Est-ce bien la société que nous voulons ?
Instaurer un cours de philosophie et citoyenneté de deux heures pour tous les élèves ne suppose pas de supprimer l’offre de cours religieux qui peut exister en dehors de la grille horaire afin de respecter le prescrit constitutionnel. Toute une autre série de questions légitimes se pose, comme par exemple le maintien de l’emploi, mais prenons garde à ce que ces questions qui devaient au départ être résolues dans ce débat ne deviennent pas au final des blocages. Les enjeux sont trop importants. L’extrême droite est à nos portes, en Belgique et partout ailleurs en Europe. Elle cristallise et alimente une grande partie des enjeux de société qui recueille la méfiance des citoyens. A long terme, seuls des esprits libres, critiques, tolérants, citoyens et démocratiques pourront gagner le combat contre la tendance aux radicalités. C’est tout l’objectif d’offrir deux heures de philosophie et de citoyenneté à nos jeunes, et de prendre en compte leur intérêt supérieur avant toute autre considération politique ou économique.
Texte co-signé par les présidents du Centre d’Action Laïque, de la Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel (FAPEO) et de la Ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente.
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