De Croo après les déclarations d’Ihsane Haouach: « Pas de marge pour le moindre incident supplémentaire »
Le Premier ministre recadre la commissaire du gouvernement après ses propos sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat ou au sujet d’un « lobby musulman ». Un carton jaune. L’opposition voulait un carton rouge. La secrétaire d’Etat Sarah Schlitz (Ecolo), à l’origine de sa nomination, contre-attaque.
La nomination d’Ihsane Haouach en tant que commissaire du gouvernement fédéral auprès de l’Institut pour l’égalité hommes-femmes avait déjà provoqué des remous au sein de la majorité, singulièrement un bras de fer Ecolo – MR. La désignation de cette femme voilée a été portée par la secrétaire d’Etat en charge du dossier, Sarah Schlitz (Ecolo).
Les déclarations de la commissaire, ce week-end dans une interview au Soir ainsi que dans une publication plus ancienne, ont donné une dimension supplémentaire à la fronde contre sa désignation. Pas moins de dix députés ontb interpellé le Premier ministre et la secrétaire d’Etat, ce jeudi après-midi à la Chambre.
Alexander De Croo s’est montré ferme en affirmant qu’un aucun incident supplémentaire ne serait toléré et en réaffirmant les valeurs fondamentales de la démocratie belge. Mais la commissaire du gouvernement reste en place. Un carton jaune, l’opposition (voire le MR) voulait un carton rouge.
Au quotidien, Ihsane Haouach soulignait notamment ce week-end: « Les principes fondateurs (de la démocratie- Ndlr) ne sont pas mis en danger par l’apparence mais par la montée des réactions d’extrême droite. La discussion n’est pas: est-ce qu’on remet en cause la séparation de l’Eglise et de l’Etat? C’est: comment la décline-t-on avec un changement démographique? » Dans l’entretien plus ancien, elle regrettait notamment qu’il n’y ait pas un « lobby musulman » plus fort pour soutenir les revendications de la communauté;
Mercredi enfin d’après-midi, Ihsane Haouach a tenté de désamorcer la crise. Sur Facebook, elle a voulu rassurer: « Je n’ai jamais voulu remettre en question le principe de la séparation des Eglises et de l’Etat ni l’application de ce principe. Ce principe est un fondement de notre démocratie, au même titre que la liberté de conscience, l’égalité des citoyens devant la loi et la neutralité de l’Etat. »
Bacquelaine: « De la stupéfaction »
Cela ne calme toutefois pas les inquiétudes des députés, y compris au sein de certains partis la majorité.
Pas moins de dix questions à la Chambre, donc. Le sujet de la neutralité de l’Etat est sensible. Peter De Roover, chef de groupe N-VA, a d’ailleurs entamé le débat en regrettant que la commissaire du gouvernement se soit exprimée sur Facebook, alors qu’il avait été refusé qu’on l’entende en commission parlementaire. « Je n’ai rien contre Facebook, mais c’est quand même particulier », estime le député N-VA, en déposant une motion d’ordre pour demander que le parlement puisse entendre la commissaire. Les députés se prononceront à ce sujet après les questions d’actualité.
Le sujet est sensible, et c’est le Vlaams Belang qui ouvre le bal avec des propos outranciers. « Vous devez reconnaître votrer erreur et licencier Madame Haouach », dit Dries Van Langenhove.
Daniel Bacquelaine (MR) « revient au sujet sans le pervertir ». « L’interview donnée au Soir a transformé nos interrogations en de fortes inquiétudes, parfois en une véritable stupéfaction », dit-il. Dans cette interview, la commissaire « foule au pied son devoir de réserve avec des propos révoltants », va à l’encontre du principe de neutralité ou estime que la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’aurait qu’une valeur relative;
« Madame la secrétaire d’Etat, il est grand temps de se ressaisir, lance Daniel Bacquelaine. Un rappel à l’ordre est nécessaire », de même qu’une déclaration réaffirmant le soutien de la secrétaire d’Etat aux valeurs de la démocratie.
Sophie Rohonyi (DeFI) déplore, elle aussi, ses propos militants, qui relativise les principes fondamentaux. « Nous pourrions avoir une neutralité à géométrie variable, regrette-t-elle. Qui peut croire à la paix sociale si c’est la loi du nombre qui s’impose? » La commissaire minimise aussi les « victimes du patriarcat », ajoute-t-elle. « Madame Haouach garde-t-elle votre confiance? », demande la députée DeFI.
Dallemagne: « Un débat de principe »
« C’est un débat de principe que nous menons sur les principes fondamentaux qui regissent notre vie en société« , souligne Georges Dallemagne (CDH), résumant les propos tenus dans l’interview au Vif, de jeudi matin. « Ses propos, ses aptitudes du passé sont tellement problématiques qu’elle a tenu elle-même à les maquiller », constate–t-il. Cette vision communautariste, « est-ce votre vision de société? », demande le député humaniste au Premier ministre et à la secrétaire d’Etat.
Servais Verherstraeten (CD&V) « prend acte » de la déclaration de la commissaire au gouvernement sur Facebook et parle d’une « communication malhabile ». « On demande de la prudence, de tout commissaire au gouvernement« , souligne le chef de groupe CD&V. Le « défi démographique est réel », dit-il, mais cela estime que tout le monde reste uni. « Dans les périodes polarisées, la mission du gouvernement est maintenir les gens unis. Comment pouvons-nous y arriver? »
PS: « Dont acte… »
Darya Safai (N-VA) s’insurge contre les propos de la commissaire du gouvernement. « J’espère un signal fort de ce gouvernement, mais ce que j’ai lu dans la presse, j’ai peu d’espoir. après un message sur Facebook, tout semble oublié. Mais je ne suivrai pas cette tendance. » Pour la député nationaliste, ses propos vont à l’encontre de la démocratie libérale et demande un « signal fort » du gouvernement: « Estimez-vous que cela est compatible avec sa fonction? »
Les réponses qui suivent montrent, en effet, que la majorité passera l’éponge, cette fois du moins.
Egbert Lachaert, président de l’Open VLD, souligne qu’une société diversifiée « nécessite des efforts de tout le monde ». « Il y a certains principes qui nous permettent de vivre dans une société diversifiée », comme la séparation de l’Eglise et de l’Etat et la neutralité, souligne-t-il. qui rentrent parfois en tensions avec les droits individuels. « Cela mérite un débat en profondeur qui vaut mieux que ce à quoi l’on assiste ces dernières semaines« , plaide Egbert Lachaet. Qui émet toutefois une position claire: on doit préserver ces principes fondamentaux. « Pouvez-vous confirmer que l’on va surveiller ces limites-là? », demande le président libéral. Et de préciser: « Il ne faudrait pas que cette situation se répète. »
Malik Ben Achour (PS): « Un débat de cette importance ne peut se tenir sur Twitter, du moins ce n’est pas notre conception. » Il souligne que la commissaire générale s’est exprimée sur Facebook pour préciser sa pensée et que le gouvernement a affirmé qu’elle s’exprimait à titre personnel. « Dont acte », souligne-t-il.
Séverine de Laveleye (Ecolo) prend toutes ses distances avec les propos de Madame Haouach et se félicite à sont tout qu’elle ait clarifié ses propos. Et réaffirme l’attachement de son parti aux principes démocratiques.
Rideau.
De Croo: « Qu’il n’y ait pas de doute »
« Qu’il n’y ait pas de doute: cette séparation de l’Eglise et de l’Etat est une séparation de principe, entame le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD). Le contrat social, c’est notre Constitution, et elle est très claire. L’égalité entre les hommes et les femmes se trouve à l’article 10. » Dans notre pays, continue-t-il, vous avez le droit de choisir votre religion. » Mais la loi prime sur la religion et cela « ne souffre d’aucun relativisme », insist le Premier ministre.
La diversité a toujours caractérisé notre pays, prolonge Alexander De Croo qui se réfère à la déclaration des responsables du culte de 2018, selon laquelle cette séparation de l’Eglise et de l’Etat est un principe fort. « Il n’y a pas de place pour le relativisme », répète-t-il
Deux: « Il ne faut pas se voiler la face, les droits fondamentaux sont sous pression, dit-il. Et il convient de les défendre;
Trois, en ce qui concerne la commissaire du gouvernement, « l’impartialité doit être respectée ». « Il n’y a pas de marge pour le moindre incident supplémentaire« , insiste le Premier ministre. Un carton jaune.
Le secrétaire d’Etat Sarah Schlitz cite à son tour les propos tenus par Ihsane Haouach sur Facebook et se félicite de sa mise au point.
« J’ai toujours respecté les valeurs et madame Houach m’a confirmé qu’il en serait toujours le cas pour elle », dit Sarah Schlitz, qui rappelle qu’elle a « un CV en béton ». « J’espère que nous pourrons passer à cette étape post-controverse, dit-elle. La citation était maladroite, mais tout a été tiré au clair. Il n’y aura plus de déclaration publique. »
La secrétaire d’Etat souligne aussi qu’elle comprend pourquoi elle s’est exprimée après la campagne dont Ihsane Haouach a fait l’objet. « Faire de chaque débat un problème politique ne sert à rien » dit-elle en contre-attaquant et en s’en prenant à « ceux qui mènent le débat sur Twitter ».
Danie Bacquelaine (MR) prend acte en guise de réplique: « Ces valeurs fondamentales sont non négociables. Parfois, pour les défende, nous nous sentons bien seuls.«
« Madame la secrétaire d’Etat, votre réponse est extrême décevante », tacle pour sa part Sophie Rohonyi.
« Vous avez fait référence au contrat social, conclut Georges Dallemagne (CDH) Nous sommes à la croisée des chemins sur le modèle de société que nous voulons construire ensemble. Vous avez dressé un carton jaune, nous attendions un carton rouge. »
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