Covid: le grand retour du baromètre
Le baromètre de gestion de crise, par couleurs ou par niveaux d’alerte, n’a jamais vu le jour. Annoncé plusieurs fois, le ministre de la Santé Franck Vandenbroucke l’avait enterré. Mais en coulisse, il est à nouveau évoqué car vivre avec le virus sur la durée implique d’avoir une méthode opérationnelle, proactive et lisible. Et… Franck Vandenbroucke désormais pour son instauration.
« Dès que le baromètre sera doté d’indicateurs clairs, de mesures adaptées à chaque secteur et chaque groupe cible, il pourra être lancé », précisait, en octobre 2020, le Premier ministre Alexander De Croo lors d’un Codeco, conseillé par le groupe d’experts Celeval (Cellule d’évaluation du gouvernement fédéral), alors élargi à des personnalités issues des secteurs économiques, sociaux et psychologiques. C’était il y a plus d’un an. Ce baromètre de gestion de crise avait d’ailleurs été d’abord annoncé pour septembre 2020, mais avait été recalé par l’équipe de Sophie Wilmès et des gouverneurs de province. Pas assez « visionnaire », ni « fluide », ni « clair », ni « complet ».
L’outil aiderait à rassurer et à retrouver l’adhésion des citoyens, qui demeure la clé.
L’outil était calqué sur l’exemple irlandais: un mécanisme de codes à quatre couleurs (ou de niveaux chiffrés, qu’importe) d’alerte, de faible à maximale, appliqué à l’échelle provinciale, éventuellement fédérale, chacune accompagnée de mesures sanitaires spécifiques – toujours les mêmes. Il s’agissait de prendre en compte, dans les provinces, le nombre de cas détectés par cent mille habitants, les hospitalisations, le nombre de lits occupés aux soins intensifs… L’idée était de privilégier la gestion du risque à cet échelon au lieu d’imposer à tous des mesures générales, mais surtout de vivre en temps de Covid-19. Ainsi, il devait permettre de savoir, par exemple, combien de personnes on peut voir au maximum. Chaque basculement d’une couleur à l’autre, d’un niveau à un autre, serait valable pour quinze jours, avant une nouvelle évaluation. Une feuille de route, en somme, claire, prévisible, proportionnée.
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Rejeté une première puis une seconde fois, le baromètre. Les experts, eux, l’avaient très mal pris, jugeant que les autorités politiques s’étaient surtout montrées soucieuses d’assouplir des contraintes et ne voulaient pas d’un système qui, s’il était entré en vigueur à ce moment de l’épidémie, aurait, au contraire, pu déboucher sur de nouvelles restrictions. Entre les deux copies, Marius Gilbert était retourné à ses activités académiques. Et c’est finalement le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, qui l’avait définitivement enterré, en novembre 2020.
Voilà qu’aujourd’hui il ressort des limbes, porté notamment par des experts, épidémiologistes en tête. Dimanche, le ministre de la Santé lui-même a plaidé pour son instauration, dans « une forme simplifiée ». D’abord parce que, malgré la vaccination, ce n’est plus une affaire de quelques mois, d’un ou deux hivers. « Il est très clair, désormais, que la pandémie de Covid-19 s’inscrira sur le long terme », résume le Dr Yves Coppieters, professeur d’épidémiologie à l’Ecole de santé publique de l’ULB. Comme si, en quelque sorte, l’épidémie provoquait la même lassitude inquiète que les maladies chroniques, avec leurs hauts et leurs bas, leurs lueurs d’optimisme et leurs rechutes. Ensuite, parce qu' »en santé publique, les scientifiques savent qu’il faut nécessairement disposer d’un outil de monitoring« , rappelle l’épidémiologiste, notant que le variant Delta, extrêmement plus contagieux, oblige à revoir tous les seuils, notamment celui du nombre de nouveaux cas par cent mille habitants ou celui du nombre d’admissions en soins intensifs. Or, les données chiffrées livrées quotidiennement par Sciensano et les modèles mathématiques théoriques pour évaluer la dynamique épidémique et l’efficacité des mesures « ne suffisent pas à construire à eux seuls un outil de gestion de crise« .
Une méthode « plus lisse »
Auprès des experts interrogés, il revient d’ailleurs que ce baromètre demeure une « excellente idée », un « maillon toujours utile » de la stratégie anti-Covid, selon les mots d’Yves Van Laethem, porte-parole interfédéral. En pratique, il n’est pas nécessaire de repartir d’une feuille blanche. Le baromètre se fonderait sur différents critères hospitaliers – le « paquet classique » – parmi lesquels les contaminations par province, par âge, etc. Mais, selon les experts, pour être au plus près de la réalité, plus complet, il faut ajouter des compartiments supplémentaires comme des indicateurs économiques et des baromètres interuniversitaires d’adhésion de la population, à l’image de celui mené conjointement par l’UGent, l’ULB et l’UCLouvain. D’autres jeux de données subjectives, tels que les résultats d’enquêtes de satisfaction, de stress, de qualité de vie, doivent également être pris en compte. Bref, un instrument plus global et ne reposant plus seulement sur des données de santé. « Deux ans plus tard, toutes ces informations pour nourrir et mettre en oeuvre ce baromètre existent », souligne Yves Coppieters. Le hic: pour l’heure dispersées de-ci de-là, les informations disponibles ne forment pas un arsenal utilisable. Ce qui le conduit à cette question: « Les politiques ont-ils délibérément opté pour un pilotage calé uniquement sur des données sanitaires ou n’ont-ils tout simplement pas accès à ces connaissances? » En tout cas, l’épidémiologiste plaide pour qu’un organisme public ou un groupe de chercheurs soit mandaté pour regrouper et analyser cette somme d’informations.
C’est que la méthode présente des qualités. Elle dessine une perspective, une vision à long terme. « L’outil aiderait à rassurer et à retrouver l’adhésion des citoyens, qui demeure la clé », ajoute Yves Coppieters. Il offre davantage d’indépendance aux politiques, en réduisant le lobbying des uns et des autres, puisqu’il suffit d’appliquer le baromètre. Enfin, selon Yves Van Laethem, il présente une ligne de conduite « plus lisse, moins heurtée », en dosant les efforts, évite l’effet yo-yo ou l’impression d’un carrousel qui n’arrête pas de tourner, et les « vagues, en changeant de cap à temps ». Mais l’écueil du baromètre reste le même: sa mise au point. Comment pondérer ses différents critères? Si les capacités hospitalières doivent demeurer « les denrées de première intention, la crise étant régie par un virus, qui provoque une maladie, parfois sévère », quel poids affecter aux autres indicateurs? En un mot, résumé par le porte-parole fédéral: « Tout le monde doit jouer le jeu… » Et c’est là qu’on voit pointer, à nouveau, les réunions à rallonge.
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