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Covid: l’échec belge n’est-il pas, au fond, l’échec européen? (analyse)

Olivier Mouton Journaliste

Le débat est vif entre ceux qui dénonçent l’échec de la stratégie de notre pays (lockdown, lenteur de la vaccination) et ceux qui les justifient. Mais alors qu’un Conseil européen se résout à la « guerre des vaccins », l’échec ne se situe-il pas à ce niveau?

Le reconfinement décidé en Belgique, pour quatre semaines, par le Comité de concertation, jeudi, précédait de peu un Conseil européen consacré aux retards de livraisons des vaccins. Les Vingt-Sept ont décidé, poussés dans le dos par la situation, de se lancer dans « la guerre des vaccins »: Bruxelles veut « sa juste part » et AstraZeneca ne sera pas autorisée à exporter ses doses produites dans l’UE tant qu’elle n’aura pas rattrapé ses retards de livraison.

Et si c’était là que se trouvait le véritable échec de notre stratégie pour vaincre l’épidémie?

Depuis la décision du Comité de concertation de mercredi, douloureuse, les débats sont vifs au sujet des responsabilités de ce qui constitue un échec (« triple », selon le président du MR), alors que le Premier ministre, Alexander De Croo, avait promis un « printemps des libertés ». La faute à un variant plus contagieux et plus virulent, sans aucun doute, mais les critiques évoquent une stabilité des mesures qui n’a pas livré les effets escomptés, une vaccination trop lente et un tracing inefficace.

De nombreux contribueurs, politiques et acédémiques justifient en retour ce lockdown devenu inéluctable, notamment parce que notre pays ne ferait pas plus mal en matière de vaccination que les autre pays européens. D’ailleurs, tous sont acculés d’une manière ou d’une autre à reconfiner. Et si c’était précisément là le biais de l’analyse: notre pays, comme les autres, s’inscrit dans une stratégie européenne déficiente, qui a pêché par une trop grande prudence, le poids des choix industriels du passé et un manque d’identité forte.

1 – Une trop grande prudence

La « faute » initiale remonte à la fin de l’année dernière. Alors que certains pays – comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, Israël, pour ne pas parler de la Russie ou de la Chine – ont tout mis en oeuvre pour remporter la bataille vaccinale, l’Union européenne tergiverse.

D’une part, il s’agit de convaincre tout le monde que ce combat stratégique doit se mener au niveau communautaire. Pour rappel, la santé n’est pas une compétence communautaire et la Commission européene reste « freinée) par le Conseil européen et les Etats membres Mais surtout, il s’agit d’actionner tous les rouages en action et d’aller à l’encontre d’un principe de précaution. L’Agence européenne des médicaments (EMA) donne son feu vert aux vaccins trois ou quatre semaines plus tard que les autres « puissances ».

La Belgique, comme d’autres pays, vante cette « prudence »: des études cliniques sérieuses s’imposaient et un examen attentif de cette avancée scientifique inédite devait rassurer. C’était sans doute indiqué, d’autant que la méfiance à l’égard du vaccin est culturellement importante dans certains pays. Mais le commissaire européen en charge de la stratégie vaccinale, le Français Thierry Breton, reconnaissait cette semaine que depuis lors, la dynamique européenne a pris trois ou quatre semaines de retard.

Cette prudence s’est reproduite lorsque la question s’est posée d’utiliser au mieux tous les vaccins en accordant davantage de temps entre l’administration des deux doses. Chez nous, le Conseil supérieur de la santé a attendu des études cliniques de ce qui se passait en Israël ou au Royaume-Uni avant de décider qu’on pouvait le faire. Et cela ne fut activé politiquement que quelques jours plus tard.

2 – Le passif des choix industriels

On retiendra aussi de cette crise que l’Europe n’est plus le géant qu’il prétend être en matière de santé. Avant tout chose, au niveau de la conception même des vaccins, les pays européens n’ont pas forcément brillé par leur efficacité. Le plus grand échec industriel demeure l’incapacité pour le français Sanofi de délivrer un vaccin: le géant, au contraire, licencie désormais.

Plus grave encore, la livraison a pêché. Nos pays ont dépendu singulièrement du Royaume-Uni (AstraZeneca, d’où le combat du Conseil européen), voire des Etats-Unis (Pfizer). Oui, il y a des capacités de production sur notre territoire et le commissaire européen Thierry Breton soulignait encore cette semaine que l’Europe était désormais autonome et en mesure de livrer « 300-350 millions de doses » produites sur son sol ces prochains mois. Mais avant que tout ne se mette en place (capacité de production, accords sur les licences), des précieuses semaines ont été perdues. En attendant, la principale cause du retard de la stratégie vaccinale réside toujours dans des retards de livraison, due à des sociétés sur lesquelles l’Europe n’a aucun contrôle.

3 – Un manque d’identité forte

Ce problème-ci est sans doute plus diffus et, bien sûr, comparaison n’est pas raison. Mais l’interview d’un responsable israélien de la vaccination, interrogé sur une chaîne belge, donnait quelques clés cette semaine. Il exposait des contrats rapidement ficelés avec les entreprises pharmaceutiques, la mise en place d’un grand nombre de centres, mais aussi la numérisation complète de la société (qui a permis une gestion des invitations fluide, contrairement au chaos belge) et une mobilisation de tout le monde pour mener cette « guerre ».

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C’est là aussi que l’on mesure le retard de l’Europe (et, oui, de la Belgique) dans ce domaine. Les questions liées au respect de la vie privée (très légitimes) freinent parfois les débats, de même qu’une propension à consulter (démocratiquement très légitime, là aussi). Mais l’opposition en Belgique l’a souvent reproché: il n’y a pas « une » unité de commandement, l’Union européenne reste une grande machine très lourde et peu accessible, pour ne pas parler de la « lasagne institutionnelle » belge (qui a bon dos, parfois).

Culturellement, en réalité l’Europe reste convaincue de sa domination, alors que, géooplitiquement, elle devient un nain face aux Etats-Unis, à la Chine pour ne pas parler d’une Russie rageuse. Et elle vient en plus de perdre le Royaume-Uni: dans tout cela, le Brexit n’a évidemment pas joué un rôle apaisant.

Il est grand temps que l’Union tire les leçons de cette crise, sans se cacher derrière une méthode Coué trop souvent utilisée. En sachant, sans doute, que la réponse est: plus d’Europe, mieux d’Europe. En osant le débat sur une communautarisation de certains aspects de la santé: la gestion de cette crise se situe dans un « entre-deux » coupable.

La vaccination est une course contre la montre, l’Europe l’a perdue et dans la quadrature du cercle imposée par le virus, les pays sont contraints de reconfiner, chacun à leur tour

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