Covid: « il est très facile d’être contaminé au travail »
L’impression que notre société est plus tolérante pour les infractions au télétravail que pour les lockdownparties est-elle vraie ? Les autorités instaurent des contrôles rapides pour repérer les infractions dans les entreprises. Les employeurs sont agacés.
Depuis début novembre, tout le monde doit télétravailler quand c’est possible. Ou dans le jargon : sauf si c’est impossible en raison de la nature de la fonction, de la continuité de la gestion de l’entreprise, de ses activités ou de ses services. Malgré cette obligation, les experts voient augmenter les déplacements entre le logement et le domicile depuis mi-novembre. Il y a plus de monde sur les autoroutes, et l’urgence de télétravailler n’est manifestement pas ressentie aussi fortement que lors du premier confinement. Aussi début janvier les services d’inspection fédérales ont-ils entamé des contrôles rapides dans les entreprises. Environ mille inspecteurs sont chargés de vérifier si les mesures sanitaires sont bien respectées, et particulièrement le télétravail.
Un bazooka
Joris Vandersteene, spécialisé en Ressources humaines à la FEB (Fédération belge des entreprises), déclare qu’en soi l’organisation des employeurs n’est pas contre le télétravail obligatoire, mais s’interroge au sujet de « l’inspection bazooka » que l’état pointe sur les entreprises. De plus, la FEB estime que la baisse du télétravail en novembre et en décembre n’est pas prouvée. « En novembre, pas moins de 30% des employés travaillaient à temps plein chez eux, et 13% à temps partiel, le chiffre combiné le plus élevé depuis le début de la crise de coronavirus. Et de toute façon, il n’y a que 45% des emplois qui entrent en ligne de compte », déclare Vandersteene. « C’est pourquoi nous plaidons pour un peu plus de nuance dans la gestion. Nous privilégions le système qui valait en septembre, où le télétravail était fortement recommandé mais où les entreprises pouvaient organiser des moments de retour pour leur personnel. Nous avons aussi constaté que les employés étaient contents de pouvoir retourner au bureau et de ne pas rester coincés chez eux, dans des circonstances pas toujours idéales. »
La FEB conteste donc que les entreprises aient été plus négligentes en novembre et en décembre. Vandersteene : « L’idée qu’on pratique moins de télétravail n’est qu’une intuition. On ne peut pas le prouver scientifiquement. C’est pourquoi nous estimons que les contrôles de télétravail renforcés, avec un arsenal de pas moins de 1000 contrôleurs dans des entreprises qui ont déjà du mal, sont disproportionnés. »
Les experts et politiciens indiquent notamment les données de mobilité de Google, de gens qui partagent la location de leur téléphone, qui indiquent une hausse de 12% des déplacements domicile-travail pour le mois de décembre. D’après Vandersteene, cette hausse est presqu’entièrement attribuable à la réouverture des écoles, avec 200 000 enseignants qui se rendent au travail, plus 800 000 élèves, dont les téléphones mobiles sont partiellement comptés dans les datas. ‘Un jeune qui a son gsm sur lui à l’école, est considéré comme ‘présent sur le lieu du travail' », déclare Vandersteene.
La FEB demande que l’état fournisse plus d’efforts. Les services publics sont considérés comme essentiels pour le fonctionnement du pays et tombent en dehors de l’obligation de télétravail, « mais de nombreuses tâches administratives peuvent être effectuées à la maison ».
Infractions
Pourtant, les contrôles supplémentaires ne semblent pas un gaspillage d’effectifs ou d’énergie. Depuis la mi-décembre, l’inspection du travail a réalisé quelques centaines de contrôles de télétravail spécifiques dans les entreprises. « Dans 20% des cas on a constaté une infraction. Nous trouvons que c’est beaucoup », déclare Laurens Teerinck, porte-parole du ministre de l’Emploi Pierre-Yves Dermagne (PS). Pour les contrôles rapides qui viennent de démarrer, il n’y a pas encore de chiffres représentatifs. « Cependant, on constate les infractions à l’obligation de télétravail dans tous les secteurs et les régions. En général, les multinationales et les grandes entreprises se conforment davantage à l’obligation de télétravail que les petites entreprises », ajoute le porte-parole.
Les entreprises doivent fournir un certificat aux employés qu’elles jugent indispensables sur le terrain. Elles peuvent estimer elles-mêmes quels employés entrent en ligne de compte, mais les services d’inspection vérifient si l’entreprise a bel et bien élaboré un projet de télétravail pour son personnel. Et pourtant, il y a souvent des zones d’ombre. Un dessinateur technique qui dispose au bureau d’une grande table à dessin et un gros ordinateur muni de programmes spécifiques a-t-il le droit de se rendre au bureau, ou doit-il déménager ses affaires ?
Les dilemmes autour du télétravail ne tournent évidemment pas seulement autour du matériel ou de l’équipement. Plus de la moitié des employeurs, révèlent les enquêtes coordonnées par la Banque nationale, estiment entre-temps que le télétravail obligatoire exerce un impact négatif sur la productivité. Aussi n’est-il pas étonnant que tout le monde a entendu des récits de supérieurs qui somment leur personnel au bureau pour des réunions dites essentielles ou un contact en présentiel, même si en principe c’est interdit.
Confinement total
« Sur base des données de contact, nous avons constaté après les vacances d’automne, lorsque les contacts au boulot étaient au niveau le plus bas, une nouvelle hausse de contacts au travail », déclare le biostatisticien Geert Molenberghs (UHasselt et KU Leuven). « Les gens avaient le sentiment que les chiffres étaient bons, que le vaccin arrive, que tout allait bien se passer. Mais ceux qui télétravaillent et ne le font pas sont en infraction. L’appareil d’état est également passé inaperçu. C’est aussi un grand employeur, mais j’ai le sentiment que le télétravail y est appliqué de manière plus laxiste que dans les entreprises. »
En décembre et janvier, les infections au travail tournaient autour des 8%. « Il s’agit de personnes qui indiquent qu’elles ont probablement été contaminées sur leur lieu de travail », déclare Molenberghs. « Souvent, on déduit de ce chiffre que le danger de contamination au travail n’est pas si élevé, mais les gens infectés au boulot emmènent le virus à la maison et contaminent d’autres membres de leur famille. Il faut donc tenir compte de l’effet de multiplication. »
Pourtant, les infractions à l’obligation de télétravail font relativement peu de bruit. L’indignation de la société au sujet des gens qui assistent à des lockdownparties, semble nettement plus vive. Alors que l’impact des gens qui n’appliquent pas strictement les règles est peut-être nettement plus important sur la propagation du virus ?
« Certainement, car il s’agit de beaucoup plus de personnes », déclare le biostatistician Molenberghs. « D’un point de vue épidémiologique, les risques de quelques lockdownparties à 15 personnes, contre 500 000 ou même 100 000 personnes qui ne télétravaillent pas, sont beaucoup plus réduits. »
Cependant, les gens ont probablement moins la notion du danger quand il s’agit de leur situation de travail. « Ils se disent : je ne vais certainement pas assister à une fête, car c’est dangereux et asocial – à juste titre, mais au travail, je serai prudent, et tout ira bien. Mais alors votre collègue vient vous demander quelque chose et vous vous asseyez ensemble devant votre écran d’ordinateur, peut-être même sans masque, ou vous déjeunez ensemble, et alors il est très facile de se contaminer ».
Quoi qu’il en soit, beaucoup de gens ont du mal à télétravailler à temps plein. Devrons nous tenir le coup encore longtemps ? « Cela dépend de l’évolution des contaminations », conclut Molenberghs. Beaucoup dépendra de la variante britannique, la mutation du virus apparue à Londres en septembre. Si cette variante plus contagieuse, qui progresse aussi au Danemark et aux Pays-Bas, se propage chez nous aussi, il ne suffira pas de modifier quelques modalités. « Alors, il ne restera plus qu’à décréter un confinement total, et la discussion sur le télétravail perdra sa pertinence. »
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