Covid : « Il est temps que le vaccin arrive, car les équipes sont à genoux »
« Les patients sont dans un état plus sévère que lors des premières vagues « , déclare Geoffroy Plenevaux, infirmier chef de services des soins intensifs au Centre Hospitalier Régional Sambre et Meuse. Il revient sur la situation dans son hôpital, situé en province de Namur, particulièrement touchée par l’épidémie.
À quel point votre hôpital est-il saturé ?
Geoffroy Plenevaux : Dans le Namurois, les semaines précédentes ont été très compliquées. En début de semaine, nous avions déjà atteint les 50% d’occupation. Les services de soins intensifs des hôpitaux du réseau hospitalier namurois étaient tous en saturation. Nous avons eu beaucoup de patients Covid dans les unités conventionnelles. Nous avons énormément de travail d’autant plus que le reste de l’activité de l’hôpital est maintenue. Les équipes sont surchargées de travail, que ce soit en covid ou en non-covid. La situation reste très difficile.
Pour l’instant, nous sentons la tension entre le bloc opératoire qui doit assumer les demandes des patients parfois très urgentes, et un nombre de lits réduits à cause du covid. C’est un jonglage d’heure en heure, des contacts journaliers sont pris entre la coordination du bloc opératoire, les soins intensifs et les autres disciplines. Nous devons, malheureusement, postposter certaines interventions non urgentes. La phase 2A nous demande de déterminer de manière réfléchie le déploiement du personnel, ce qui nous amène à devoir fermer certaines salles d’opération.
Il n’y a pas que le côté économique, l’hôpital doit continuer à fonctionner, les patients ont besoin d’être soignés et opérés, c’est une réalité de santé publique.
En quoi la situation dans votre hôpital diffère-t-elle de la première vague ?
En nombre de patients, nous sommes pratiquement à la hauteur de la première vague, et à la moitié de la deuxième vague. La hausse d’admissions est plus lente que lors des deux premières vagues, ce n’est pas une montée exponentielle. La difficulté, c’est qu’à l’époque de la première vague, nous avions arrêté toute autre activité. Ici, ce n’est pas le cas. Cela signifie que nous devons maintenir l’activité d’urgence non-covid, de patients chirurgicaux qui étaient en attente depuis longtemps.
Les équipes sont épuisées. Beaucoup ne voient plus leur famille, et ont l’impression de fournir beaucoup d’efforts pour se retrouver dans la même situation qu’il y a un an. C’est compliqué, mais nous parvenons à continuer à assurer des soins de qualité.
En revanche, au départ, il y avait une inquiétude de manque de matériel, que nous n’avons plus maintenant. Nous avons tout le nécessaire. Il n’y a pas de rupture de stock. Au début de l’épidémie, nous n’avions pas l’habitude non plus de mettre des patients en position ventrale, de les mettre sous ECMO (NDLR : oxygénation par membrane extracorporelle), etc. C’était relativement exceptionnel, mais aujourd’hui c’est devenu très fréquent.
Quel est le profil des patients Covid actuellement hospitalisés?
Les patients sont dans un état beaucoup plus sévère que lors des premières vagues. Ici, nous avons 12 patients en soins intensifs, plus d’un quart des patients de la province de Namur. Nous avons trois patients sous ECMO, la technique qui remplace le travail des poumons. Je travaille depuis 20 ans aux soins intensifs et je n’ai jamais eu trois patients sous ECMO en même temps. Les patients sont plus jeunes – la moyenne d’âge se situe entre 50 et 65 ans – etnécessitent plus rapidement des soins lourds.
Le rapport entre les patients en soins intensifs, et ceux qui sont dans une unité plus ‘classique’ est plus ou moins d’un sur quatre. Dans certains hôpitaux, il y a pratiquement autant de patients très instables que de patients hospitalisés en unité conventionnelle. L’impact est donc plus grand pour l’hôpital. Au niveau de la gestion du personnel c’est très compliqué. Avant, nous pouvions récupérer le personnel d’autres unités à l’arrêt. Là, ce n’est pas possible. Nous devons demander au personnel d’augmenter leur temps de travail sur base volontaire, de reporter des congés.
Aujourd’hui, le personnel hospitalier est vacciné. En quoi la vaccination change-t-elle la donne ?
Il n’y a plus l’inquiétude que nous avions au début, même si nous devons évidemment garder la même vigilance au niveau des précautions sanitaires. Au début, certains soignants sont tombés malades au risque de ramener le virus chez eux. Progressivement, on voit de plus en plus de patients vaccinés, ce qui signifie que nous avons moins de patients gériatriques.
Par conséquent, nous avons plus de patients jeunes, pas encore vaccinés. Parmi les patients sévèrement atteints, il n’y a pratiquement aucun patient vacciné. L’efficacité de la vaccination sur les cas sévères est démontrée sur le terrain. Même si le vaccin n’est pas efficace à 100% sur la contamination, il est très efficace sur les formes graves, ce qui aura un impact direct sur la saturation les hôpitaux. Et il est temps, car les équipes sont vraiment à genoux. Notre espoir à tous c’est le vaccin. Tous mes collègues sont convaincus que c’est la porte de sortie.
Ressentez-vous plus de reconnaissance pour le personnel soignant qu’au début de l’épidémie?
Depuis des années, il y a un problème de sous-effectif dans les hôpitaux belges. Les études montrent que si l’on augmente le nombre d’infirmiers au chevet des malades, cela diminue le taux de mortalité et d’infection. Il était plus que temps que l’opinion publique se rende compte de la pénurie d’infirmiers,i n’est pas liée à la mauvaise gestion des hôpitaux. C’est lié à un sous-financement chronique qui existe depuis des années, et qui malheureusement s’est exacerbé avec la crise.
Nous avons reçu quelques récompenses, aujourd’hui nous avons tous reçu un chèque-consommation. C’est très bien, mais c’est un peu un emplâtre sur une jambe de bois. N’importe quel infirmier sur le terrain vous dira qu’ils préfèrent cent fois avoir un collègue en plus que d’avoir 250 euros en plus à la fin du mois. Ce qui nous manque, ce sont des bras, et des bras qualifiés. On parle beaucoup du nombre de lits disponibles, mais nous manquons de personnel qualifié. Les personnes capables de s’occuper de ce type de patients ne courent pas les rues, et ce n’est pas en un an qu’on aurait pu les former et les trouver.
Quel est votre sentiment par rapport au déconfinement ?
Nous aussi nous avons besoin de voir nos familles, de sortir, de voir du monde. Nous voyons nos collègues uniquement derrière des visières et des masques, et nous n’avons plus l’occasion de parler d’autre chose. Cependant, si on déconfine et qu’on donne des libertés aux citoyens, nous paierons le prix fort. Il faut trouver un équilibre entre la santé mentale des gens, et ce que l’hôpital est capable de gérer.
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