Covid: cinq leçons pour nous épargner une troisième vague
D’abord il y a eu le GEES, le Celeval 1 et le Celeval 2 et à présent il y a le RAG (Risk Assessment Group). Les hommes politiques qui nous gouvernent passent leur temps à rebattre leur équipe de conseillers corona. Il y a pourtant cinq leçons claires à tirer de ces derniers mois qui permettront, peut-être, d’éviter une troisième vague.
« Puis-je encore m’asseoir sur un banc ? » Alors que les hôpitaux sont sur le pied de guerre et que les entreprises risquent la paralysie, les ministres fédéraux doivent s’occuper de milliers questions triviales et moins triviales. Depuis neuf mois, les nombreux gouvernements, fonctionnaires et experts médicaux, sont obligés de se mêler de notre mode de vivre, de travailler, d’entreprendre, et même de la façon de nous asseoir sur un banc. La raison est simple : on ne négocie pas avec le coronavirus.
Ces derniers mois, nos confrères de Trends ont discuté de la politique du coronavirus avec des dizaines de figures clés de notre société. Certains sont en colère, d’autres sont résignées, d’autres encore sont pleines d’espoir. Mais pour la majorité, nos responsables doivent changer fondamentalement la manière dont ils prennent des décisions, pour ne plus se perdre dans des centaines ou même des milliers de priorités.
1. Cessez le micro-management et établissez des priorités
Ces derniers mois, les ministres, la fonction publique et la société civile ont été submergées de questions. En temps de crise, le temps et l’attention sont des denrées rares. Pourtant, les politiciens – souvent obligés – les gaspillaient. « Il n’y avait pas de point d’information central capable de répondre aux questions de la vie d’entreprise et des associations. Une grande partie de ces questions s’est retrouvée chez nous. Début juin, mon cabinet a, par exemple, dû s’occuper des règles d’un championnat de baby-foot, normalement organisé dans un café. Ainsi, il y a eu des centaines de questions », raconte Nathalie Muylle (CD&V). Ministre fédérale de l’Économie, Muylle faisait partie du Conseil national de sécurité lorsque Sophie Wilmès était Première ministre.
Au cabinet de Muylle, cinq personnes s’occupaient à temps plein de répondre aux diverses fédérations. Elles n’étaient pas seules. Tant au Voka que chez Unizo, les questions des membres étaient multipliées par dix. À côté de cela, il y avait le bon vieux lobbying pour faire partie des premiers assouplissements ou pour bénéficier de soutien supplémentaire.
Suite à cette cacophonie, les politiciens n’ont pas établi les bonnes priorités au sein des comités de concertation et lors des conseils de sécurité. Parmi les premières questions posées aux experts, il y avait l’organisation de courses de chevaux et la réouverture des car-wash. Le parcours de Formule 1 de Francorchamps figurait également en haut de l’agenda de certains politiques.
À plusieurs reprises, les experts et groupes d’intérêts ont incité les responsables à affûter leurs priorités et à esquisser uniquement le cadre plus large. En revanche, leur guide générique, les directives pour les entreprises de redémarrer en mai en toute sécurité, était une réussite. Le gouvernement fédéral a créé le cadre légal et a délégué leur élaboration aux partenaires sociaux, au Conseil supérieur pour la prévention et la protection au travail et au SPF Emploi. Cette méthode de concertation, très éloignée de toute attention médiatique, a permis une relance sans troubles sociaux et sans grands foyers. Même en temps de crise, un leader peut déléguer des tâches cruciales.
2. Utilisez le modèle de concertation belge
Le succès du guide générique n’est pas un hasard. Il est intégré dans un modèle de concertation existant officiel, mais aussi dans un grand réseau informel de fonctionnaires, de syndicats et de fédérations professionnelles. On les appelle parfois l’élite technocratique ou le deep state, mais le fait est que ces gens ont les pieds dans la boue et que ces derniers mois ils ont tiré l’alarme et cherché des solutions. Ainsi, la procédure simplifiée pour le chômage temporaire a été mise en place après l’insistance des employeurs. Les ministres fédéraux et services publics compétents ont décidé rapidement, ce qui a permis le traitement de plus d’un million de demandes pour chômage temporaire en un temps record.
L’approche pour que l’approvisionnement alimentaire continue à tourner est un autre exemple. Au sein du Economic Risk Management Group (ERMG), Piet Vanthemsche menait le groupe de travail censé préserver la continuité de la vie d’entreprise. Les premières semaines, il s’adressait à son large réseau du secteur agro-alimentaire belge, à la recherche de blocages dans la chaîne d’approvisionnement. Ceux-ci révèlent que le parc de machine risquait la paralysie, parce qu’il n’était plus vérifié ou certifié. Les inspections et même les réparations étaient reportées par crainte d’une amende pour déplacement non-essentiel. Vanthemsche aurait alors appelé le ministre de l’Intérieur Pieter De Crem (CD&V) pour rectifier la situation.
La taskforce autour du ministre Philippe De Backer était également surtout une affaire de contacts et d’accord informels. Rapidement, celle-ci devait trouver suffisamment de masques, de gel hydro alcoolique et de matériel protecteur. La pénurie de gel hydroalcoolique a été résolu par un tweet entre De Backer et Vanthemsche.
Immédiatement après sa nomination, le nouveau ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (sp.a) s’est mis à parler avec les experts de la santé et les groupes d’intérêt pour gérer la crise, même si on lui reproche de s’appuyer trop fort sur son entourage proche.
3. Faites confiance aux experts…
Lorsque le 25 octobre, le ministre-président flamand Jan Jambon (N-VA) a déclaré à la VRT que la maison ne brûlait pas encore, les virologues, biostatisticiens et psychologues, tous membres d’un groupe Whatsapp, se sont agités. Ils ont envoyé un e-mail enflammé aux gouvernements de notre pays pour leur faire part de la gravité de la situation.
Les experts et les fonctionnaires ont joué un rôle déterminant dans la crise de gestion, la plupart sans avoir jamais de remerciements. À tort et à travers, les politiciens cherchaient à les rallier à leur cause. Ainsi, à moment donné le GEES, le groupe d’experts responsables de la sortie de confinement, était le chouchou de la politique.
Au début de la crise, tout se passait bien, et généralement la politique suivait la ligne des virologues et des épidémiologistes du GEES et du Celeval. C’est au début de l’été que les choses ont changé. Les politiciens étaient énervés par les organismes consultatifs parce que la logique épidémiologique avait trop d’emprise sur la politique. Au cours de l’été, la motivation de la population a baissé à vue d’oeil et les politiciens n’ont plus pu résister à la pression d’assouplissement. Ils ont laissé le GEES mourir de sa belle mort, et ont renouvelé le Celeval, où les virologues et les épidémiologistes ne pouvaient plus jouer les premiers violons.
Rapidement, le Celeval 2.0 s’est transformé en café du commerce. Tous les membres pouvaient discuter de tout, y compris des sujets en dehors de leur expertise. Les épidémiologistes et les économistes pouvaient donner leur avis sur le bien-être psycho-social et les psychologues et les économistes de la santé sur les mesures épidémiologistes. Les politiciens ont laissé dominer l’instinct de la société sur la compétence pertinente. Une erreur cruciale.
4… mais ne les laissez pas se charger de la partie médiatique
Malgré le nombre élevé d’organes de conseil et de concertation, on a trop souvent mené le débat du coronavirus dans les médias. Ceux qui criaient le plus fort, étaient écoutés par les politiciens. Voici comment se passaient les choses : les experts donnaient leur avis, rapidement les premières propositions fuitaient, ce qui entraînait une pression de la part des groupes d’intérêt et de la population. Les groupes de lobby avaient vite compris qu’ils devaient clamer leurs observations et leurs désirs dans les journaux et les studios de radio et de télévision, afin que le gouvernement ignore certains avis des experts ou les assouplisse.
Parfois, l’issue était relativement innocente, à l’instar de la décision d’ouvrir les magasins le 10 mai au lieu du 17 mai, tel que le conseillait le GEES. Parfois, les conséquences étaient désastreuses, tels que les assouplissements fin septembre ou une bulle de quinze personnes au début de l’été. Les experts ont compris alors que la politique et la société n’avaient toujours pas compris le fonctionnement d’une pandémie. Le sens des réalités avait en grande partie disparu.
En réaction, les virologues freinaient les ardeurs dans ces mêmes journaux et studios de télévision, au début à la surprise de la politique, qui s’était trompée sur leur jugement sans compromis. Les politiciens s’attendaient à ce que les experts défendent les compromis politiques de tout conseil de sécurité alors que les scientifiques invoquaient leur liberté académique pour marquer violemment leur désaccord. Ces dissensions se sont accélérées en l’été, tout comme l’effritement de la motivation de la population. Une régie médiatique plus stricte et une meilleure médiation avec les experts auraient pu empêcher ces ratages.
5. Évitez les bavardages
Sur d’autres fronts politiques, on a érigé des lieux de discussions. Après le premier confinement, il est devenu clair que la crise sanitaire a dégénéré en crise économique. Très vite, il y a eu un appel à ériger un groupe d’experts qui se pencherait sur les conséquences économiques de la crise. C’est devenu l’ERMG qui s’est réuni pour la première fois dans l’auditoire de la Banque nationale le 19 mars. Celui-ci avait deux tâches. Premièrement, suivre le mieux possible l’impact économique de la crise, ce qu’il a fait sous la direction du gouverneur de la Banque nationale Pierre Wunsch. Deuxièmement, l’ancien président du Boerenbond Piet Vanthemsche présidait le groupe du travail qui devait préserver la continuité de secteurs essentiels tels que l’alimentation. Par ailleurs, il y avait des représentants des principales organisations d’employés et d’employeurs dans l’ERMG.
Depuis le début, le rôle de l’ERMG n’est pas clair. Certains pensaient ou espéraient que le groupe allait peser aussi fort sur la politique économique que les virologues sur la santé publique. Cependant, les politiques les ont beaucoup moins laissé faire, ce qui a fait que les groupes d’intérêt dans l’ ERMG retombaient sur leurs canaux traditionnels pour influencer la politique, sans avoir jamais été déterminants dans les durcissements ou assouplissements cruciaux.
En outre, l’ERMG compte plus de quarante personnes, ce qui a rendu un consensus sur les avis presque impossible. Le grand mérite de l’ERMG c’est qu’il suit de près le développement de la crise économique.
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