© Belga

Coronavirus: vive montée de tension dans les prisons belges

Rosanne Mathot Journaliste

Les détenu.es et leurs familles sont à bout. Depuis le début de la crise sanitaire, plus de contact physique ou de visite hors surveillance dans les prisons du pays. Une situation illégale. Une plainte contre l’État belge est en préparation et une manifestation aura lieu à Bruxelles dans les prochains jours.

« On est dans l’illégalité la plus totale! Le Parlement permet certes à l’exécutif de déroger à certaines lois, mais pas celles visant les détenu.es »: Olivia Nederlandt, membre de l’antenne belge de l’Observatoire International des prisons, chargée de contrôler la situation des détenu.es en Belgique, fait un constat sans appel: « Les mesures prises par le Ministère de la justice, concernant les droits de visite, entrent en contradiction avec la loi pénitentiaire belge ». La situation actuelle entre, par ailleurs, en conflit avec l’article 8 de la Charte européenne des droits de l’homme (CEDH), qui proclame le droit de toute personne au respect « de sa vie privée et familiale ».

Depuis le début de la crise sanitaire, en Belgique, les 10437 détenu.es des 35 maison d’arrêt et prisons du royaume, n’ont plus le droit de toucher physiquement leurs proches : les visites intimes, ou VHS ( Visites Hors Surveillance) sont annulées depuis cinq mois. Toutes les rencontres se font « à table » (au parloir), de part et d’autre d’une plaque en plexiglass. Seuls les enfants de moins de 12 ans ont le droit d’être au contact de leur parent ou proche emprisonné. Une situation incompréhensible et difficile à vivre pour les enfants de plus de 12 ans qui renoncent, du coup, massivement, à aller rendre visite à leur famille.

Une carte blanche et un collectif

C’est cette situation que le Collectif de Luttes Anti-Carcérales (la CLAC), le GENEPI Belgique (groupes locaux de l’USL-B, de l’ULB et de Bruxelles), la Ligue des droits humains (LDH) et la section belge de l’Observatoire International des Prisons (OIP) dénoncent dans une carte blanche qu’elles ont publié mardi dernier, sur le site de la Ligue des Droits humains.

Elles y écrivent que « la crise sanitaire ne peut continuer à justifier l’atteinte au droit à la vie privée et familiale des personnes détenues et de leurs proches » et rappellent que la loi de 2005, relative aux détenu.es, prévoit que toutes les personnes détenues peuvent recevoir des VHS d’une durée minimale de deux heures, au moins une fois par mois, après un mois de détention, et ce avec toute personne avec laquelle elles entretiennent une relation sérieuse, depuis au moins six mois.

Alors, bien sûr, il faut composer avec la pandémie de Covid19. « Les familles en ont parfaitement conscience et réclament une modification des mesures en fonction du respect des règles sanitaires », nous explique-t-on à la CLAC, qui soutient et accompagne le Collectif des familles. « Les familles et les détenus sont même prêts à accepter une mise en quarantaine des détenus d’une durée de deux semaines ou plus, après une VHS ! Elles n’en peuvent vraiment plus. Elles réclament la remise en place de ces visites auxquelles les détenu.es ont droit. Depuis quelques jours, ça bouge beaucoup, dans les prisons… »

Incohérences, tensions et surpopulation

Il faut savoir que, depuis le 14 mars dernier, si les VHS sont interdites, certains détenus peuvent, malgré tout, quitter la prison, dans le cadre des « congés pénitentiaires ». A leur retour, ils doivent observer une quarantaine …. d’un jour. Pourquoi, dès lors, ne pas mettre en place cette même mesure, dans le cadre de visites intimes ? s’interroge Le Collectif des familles.

De plus, dans les prisons, des contacts physiques existent, entre les détenu.es et les agents pénitentiaires, alors que ces derniers rentrent chaque jour chez eux et peuvent donc, potentiellement, être contaminés en dehors de la prison. « Comme les détenu.es souffrent du manque de contact physique avec leurs proches, le contact est devenu un moyen de pression, en prison », estime, de surcroît, Nicolas Hambert, de La CLAC: « Des détenus nous disent que des gardiennes, par exemple, leur mettent la main aux fesses, ce qui crée énormément de tensions ».

Par ailleurs, si chaque détenu.e reçoit quotidiennement un masque, les agents pénitentiaires n’en porteraient pas systématiquement, d’après les détenu.es. A ceci s’ajoute un problème de surpopulation : la capacité carcérale est de 9279 personnes, en Belgique. Or les prisons comptent 10437 détenus, (au 26/08/2020) soit 1158 détenus « de trop ». Malgré l’interruption de peine de 503 détenus, dans le cadre de la crise sanitaire, afin de remédier au problème de surpopulation, la situation est donc aujourd’hui similaire à celle que connaissaient les prisons belges avant le confinement.

L’administration pénitentiaire relativise

Du côté de l’administration pénitentiaire, la porte-parole Valérie Callebaut se veut apaisante: « Les mesures qui concernent les détenus et toute personne dans les prisons ont été en prises en toute cohérence avec les directives du Conseil National de Sécurité. Ces mesures ont été régulièrement mises à jour suivant ces mêmes directives ». Sauf que, depuis le 1er communiqué du Ministre de la justice Koen Geens, le 13 mars dernier, rien n’a changé, d’après les organisations signataires de la carte blanche. De plus, dans le cadre du « code jaune » (une situation où la présence du virus est toujours active bien que contrôlée), Koen Geens annonçait, le 20 août, dans un communiqué de presse : « Nous devons pouvoir sortir de la gestion de crise pour s’engager dans une dynamique à long-terme de gestion de risques. Nous devons être en mesure de réinventer de manière pérenne notre façon d’entretenir nos contacts sociaux ». Ce communiqué ne fait nulle mention aux prisons et aux mesures qui doivent y être prises, alors même que, selon les chiffres communiqués par l’administration pénitentiaire, la propagation de la Covid est très limitée au sein des prisons belges: « Depuis le début de la pandémie, 36 détenus ont été testés positifs au Covid-19, dont 3 sont toujours actifs actuellement », confirme Valérie Caillebaut.

Une plainte contre l’État belge et une manifestation

Rassemblées sous forme d’un collectif , les familles des détenu.es peaufinent, avec leur avocat, une plainte visant l’État belge. Leur revendication est double : obtenir le retour des VHS, le plus rapidement possible, et être impliquées, avec les détenus, dans les prises de décisions concernant les mesures qui les touchent directement. Dans les prochains jours, une manifestation non-autorisée aura lieu, à Bruxelles, dans un lieu que les organisateurs préfèrent ne pas divulguer. D’après la CLAC, le sujet est tellement sensible et urgent, que le collectif n’a pas voulu prendre le risque de se voir refuser une autorisation de manifester.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire