Coronavirus: Quand la population aura-t-elle accès aux tests d’immunité?
Des tests sérologiques permettent de savoir si une personne a acquis une certaine immunité face au coronavirus. En tant que patient, peut-on déjà réaliser ce type de test sanguin ? On fait le point avec les principaux acteurs concernés.
A côté des tests « PCR » qui mesurent l’infection au coronavirus par frottis nasal, les tests dits « sérologiques » ou sanguins permettent de détecter soit la simple présence d’anticorps spécifiques au Covid-19 (test rapide), soit la quantité de ces anticorps (test en laboratoire).
Le test sérologique peut servir de moyen diagnostic a posteriori (au moins 15 jours après une infection au COVID-19) chez un patient, quand aucun test PCR classique n’a été réalisé malgré une suspicion clinique ou si ce dernier s’est montré négatif.
Il permet aussi d‘évaluer à grande échelle l’immunité d’une population donnée dans une politique de déconfinement. L’Italie a commencé ce 4 mai une campagne de tests sérologiques sur 150.000 personnes à l’échelle nationale pour tenter d’en savoir plus sur l’épidémie. En Allemagne, quelque 70.000 de ces tests sérologiques ont déjà été réalisés en laboratoires. Une étude de l’Université d’Anvers a montré jeudi que 6% des Belges ont des anticorpscontre le coronavirus. Un chiffre qui reste « encore faible », précise les experts.
Dans notre pays, la mise en place de ces tests sérologiques, complémentaires aux tests PCR actuels (environ 19.000 quotidiens) devrait avoir débuté. Au début du mois d’avril, le ministre Philippe De Backer (Open VLD), à la tête de la « task force » dédiée à la recherche des matériaux indispensables à la lutte contre le coronavirus, avait annoncé le déploiement des tests sérologiques pour détecter l’immunité des patients « dès la fin avril, pour préparer le retour à une vie normale ».
Ces tests sanguins pourront être demandés par un patient suite à une consultation chez son médecin. Ils devraient, tout comme le test de détection du coronavirus, être remboursés par l’INAMI comme l’affirmait Jo De Cock, l’administrateur délégué de l’INAMI début avril. Ça, c’est pour la théorie, car sur le terrain, rien n’est encore concrétisé. Le docteur Philippe Devos, président du syndicat des médecins (ABSyM), nous confirme qu’il n’est pas encore possible à l’heure actuelle d’obtenir une prescription pour réaliser cette analyse sanguine.
Une stratégie peu claire
La stratégie fédérale à l’oeuvre pour réaliser ces tests à grande échelle au sein de la population belge n’est, à ce jour, pas claire. Selon les spécialistes de la santé, il faudrait 35.000 tests sérologiques quotidiens. Le gouvernement en promettrait 900 000 en mai et jusqu’à trois millions en juin. Dans quel but ? Pour quels groupes cibles ? Seront-ils remboursés, et sur quels critères ? Toutes ces questions restent pour l’instant sans réponse.
Le cabinet du ministre Philippe de Backer (Open VLD) via sa porte-parole, Caroline Leys, n’a pas pu nous fournir de précisions à la veille de la réunion du Risk Management Group (RMG) sur le sujet. Ce n’est pas la première fois qu’on reproche au ministre De Backer son manque de communication et de transparence dans la gestion de l’épidémie et d’entretenir une certaine cacophonie.
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Caroline Leys nous répond « que rien n’est encore décidé par le Risk Management Group et Sciensano, mais cela devrait l’être pour la fin de cette semaine« . Elle poursuit: « Nous ne savons rien pour le moment de la stratégie sur les tests sérologiques, nous ne faisons que donner des conseils au RMG, à l’AFMPS et à l’Institut de Santé publique sur les fournisseurs, entre autres. Ces instances décident ensuite de la marche à suivre« .
C’est en effet à l’Institut de santé publique qu’il incombe d’organiser la distribution des tests à travers le réseau de médecins et dans les hôpitaux du pays. La porte-parole de Sciensano était, elle, aux abonnés absents ces deux derniers jours pour nous fournir plus de détails à ce sujet.
Quelle durée d’immunité ?
Selon Philippe Devos, la Belgique pourrait, dans un premier temps, suivre le modèle de la France qui a décidé de réserver ces tests d’immunité à des groupes cibles bien spécifiques, comme les professionnels de la santé, les personnes travaillant en milieu fermé, les gardiens de prison… « Le risque de la sérologie, c’est qu’elle peut être mal interprétée et entraîner des dérives de comportement. Si une personne est immunisée au moment du test, qui nous dit qu’elle le sera encore 6 mois après ? Pour le moment, on n’a pas encore assez de recul sur le coronavirus, on table sur une immunité de maximum deux mois« , nous explique le médecin.
L’immunité induite par le coronavirus n’a en effet pas fini d’interroger le monde scientifique. Sur ces tests sérologiques, le Dr Jean-Luc Gala, spécialiste des maladies infectieuses aux cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, reste très prudent. « La réaction immunitaire est parfois inexistante. Il y a deux sortes de patients, ceux qui ont croisé le virus, mais qui n’ont eu aucun symptôme, parfois, ils n’ont même pas su qu’ils avaient été infectés, ceux-là auront une immunité quasi égale à zéro, et puis ceux qui ont développé des formes plus sévères, là il y aura une immunité, mais beaucoup de questions se posent sur la puissance de cette réaction immunitaire, c’est-à-dire le nombre d’anticorps neutralisants qui sont produits par notre corps et destinés à combattre le virus, pour le tuer », expliquait-il récemment à la RTBF.
« Il n’y a actuellement aucune preuve que les personnes qui se sont remises du Covid-19 et qui ont des anticorps sont prémunies contre une seconde infection« , martèle pour sa part l’Organisation mondiale de la santé. « Ce que nous ne savons pas encore, c’est quel niveau de protection et combien de temps [l’immunité] durera« , a insisté l’instance internationale.
L’épineuse question du remboursement
Malgré l’annonce prématurée de remboursement par l’INAMI début avril, des discussions sont en réalité toujours en cours entre l’Institut national d’assurance maladie-invalidité et le Risk Assessment Group fédéral sur ce sujet épineux. Interrogée par nos soins, la porte-parole de l’INAMI nous confirme que rien n’a encore été décidé à ce stade: « Actuellement, il n’y a pas encore de remboursement pour les tests sérologiques, mais ces tests ne peuvent pas être facturés aux patients. Ils joueront probablement un rôle important dans une prochaine phase. La fiabilité de ces tests et leur place en tant qu’instrument de diagnostic, d’épidémiologie ou de médecine du travail ne sont pas encore suffisamment clairs. Dès qu’il existera des directives claires de la part de Sciensano sur leur utilisation, nous le rembourserons. Des discussions sont en cours autour des conditions et tarifs.«
L’INAMI confirme que ces tests seront probablement d’abord utilisés comme outils de diagnostic pour une population cible limitée et pour le personnel de santé, comme le laissait entendre le Dr Devos dans notre entretien.
« C’est un énorme enjeu économique, chaque test réalisé en labo tourne autour des 50 euros, vous imaginez s’il faut le prescrire à toute la population et le réitérer tous les deux mois ? », rempile Philippe Devos. « Pour le moment, le bénéfice est nul pour l’Etat de savoir si un citoyen est immunisé ou pas, mais si ces tests garantissent une immunité de 6 mois, cela pourrait permettre à nouveau les grands rassemblements aux personnes qui posséderaient ce fameux sésame, et relancer l’économie « , avance le président de l’ABSyM.
Une étude, la première du genre en Belgique, menée par le Laboratoire hospitalier universitaire de Bruxelles (LHUB-ULB), en collaboration avec les Cliniques universitaires Saint-Luc, va dans ce sens. Elle révèle l’importance des tests sérologiques dans les stratégies de déconfinement. Le LHUB appelle urgemment à ce que ces prélèvements, « nettement moins coûteux » que les tests PCR de dépistage virologiques, soient remboursés par la sécurité sociale.
Le gouvernement pourrait pourtant décider de ne pas octroyer de remboursement aux citoyens qui ne feraient pas partie de groupes spécifiques à risque. Ce qui amènerait des laboratoires à le proposer à prix coûtant, soit 50 euros. Après un coup de sonde dans un grand labo liégeois, la personne de contact nous explique que pour le moment, sans directives précises de Sciensano, les tests sérologiques sont bel et bien réservés au personnel soignant. En insistant un peu, elle nous informe qu’il est quand même possible pour n’importe quel patient qui le désire de le demander après en avoir discuté avec son médecin traitant, mais sans bénéficier d’aucun remboursement.
Course contre la montre
Le gouvernement a déjà sécurisé pour les prochains mois une quantité significative de ces tests sérologiques qui pourront être achetés par les labos – plus de 200 dans les starting-blocks en Belgique – et prescrits par les médecins. La porte-parole du cabinet De Backer nous énumère les différentes entreprises impliquées: « La société EuroImmun livre les laboratoires de biologie clinique depuis déjà plusieurs semaines et continuera à le faire. La semaine dernière la société DiaSorin a commencé à livrer les premiers clients. La société Abbott a embrayé cette semaine. Les sociétés Ortho-clinical et Roche le feront d’ici la mi-mai. D’autres acteurs arriveront bientôt sur le marché comme BioRad, Ylho, Novatek,… »
Toutes ces entreprises pharma se sont lancées ces derniers mois dans la course contre la montre pour rendre disponibles leurs « tests anticorps Covid-19. » Parmi elles, la société pharmaceutique suisse Roche. « Le test immunologique Elecsys Anti-SRAS-CoV-2² est un test in vitro utilisant du sérum et du plasma humains prélevés dans un échantillon de sang pour détecter les anticorps et déterminer la réaction immunitaire de l’organisme au SRAS-CoV-2« , nous détaille sa porte-parole Christel Van Weert.
« Comme pour les autres tests médicaux, un test de détection des anticorps anti-SRAS-CoV-2 est initié par des professionnels de la santé qui envoient l’échantillon de sang à des laboratoires, aptes à exécuter le test. Les tests peuvent être effectués en Belgique à partir de ce vendredi 8 mai », précise-t-elle.
La société américaine Abbott basée à Wavre vient d’annoncer par voie de communiqué avoir également obtenu le marquage CE de son test sanguin de détection d’anticorps du SARS-CoV-2.
On s’étonnera toutefois de retrouver dans cette liste non exhaustive des sociétés majoritairement étrangères (Allemagne, Italie, USA, Canada,…) alors que la Belgique compte des sociétés biotech à la pointe dans le secteur.
Une goutte de sang, un résultat en 10 minutes
C’est le cas de la société liégeoise ZenTech dont le test sérologique rapide a passé le cap de l’homologation et a reçu l’attention de la presse internationale. Il est déjà en production à plein régime, après une validation scientifique au CHU de Liège en mars dernier.
La société a été la première en Belgique à développer ce type de test rapide de détection des anticorps du Covid-19, sans devoir passer par une analyse en laboratoire. « Depuis 2015, nous avons conclu une joint-venture avec une université chinoise. Dès janvier, nous avons développé ensemble ce test sanguin déjà utilisé en Chine en pleine crise sanitaire. Au lieu de l’importer, nous avons décidé de le produire en Belgique. Nous avons reçu la certification européenne (marquage CE) de l’AFMPS il y a une semaine « , nous explique Eric Louis Poskin, Corporate Strategy Advisor et porte-parole de ZenTech.
Comment fonctionne-t-il ? « Une seule goutte de sang permet de savoir si une personne a été contaminée par le virus. Le résultat s’obtient en à peine 10 minutes chez son médecin « , détaille Eric-Louis Poskin. Son prix est aussi très abordable, moins de 10 euros par test.
La biotech belge commercialise ses tests uniquement auprès des professionnels de santé, il ne s’agit aucunement d’un auto-test. Un arrêté royal émis par l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) interdit d’ailleurs pour six mois sa commercialisation au grand public par risque de « faux négatif ».
« Notre position est claire: ce test ne peut être utilisé que par des personnes du domaine médical, qui sont formées et surtout qui peuvent analyser les résultats. Nous ne voulons pas et nous ne préconisons pas que ces tests soient utilisés par n’importe qui. Ce n’est pas un test de grossesse, c’est vraiment assez complexe pour le faire et pour interpréter les résultats« , prévient son patron Jean-Claude Havaux.
Le test sanguin proposé par la société biotech revendique une fiabilité de 98,5 %. « A l’instant T, le patient sait s’il est immunisé. On n’en sait par contre pas encore assez sur le coronavirus pour dire combien de temps il sera protégé, 6 mois ? 1 an ?, d’où l’intérêt de réitérer le test à intervalle régulier », reconnaît Eric-Louis Poskin.
Un contrat qui se fait attendre
Chez ZenTech, la commande officielle de plus de 3 millions de tests sérologiques tarde à être signée par le gouvernement. « Nous attendons une réponse du cabinet du ministre De Backer depuis plus de deux semaines. On nous a dit que le contrat avait été signé jeudi dernier par la ministre De Block, mais nous ne sommes au courant de rien. Nous ne comprenons pas bien pourquoi cela traîne où cela coince alors que l’urgence est bien là pour le testing. »
Du côté du cabinet De Backer, il nous revient que le contrat « serait signé avec 99% de certitude ». Rapellons que les relations entre Philippe De Backer et ZenTech n’avaient pas commencé sous les meilleurs auspices, le ministre avait qualifié les tests sérologiques de « brol chinois » avant leur validation par le CHU de Liège.
UPDATE 12 mai 2020: L’entreprise liégeoise Zentech fournira 3,65 millions de tests sérologiques
Entre-temps, la société a pris les devants. « On est pour le moment à 30.000 tests produits par jour et fin mai, on devrait atteindre les 60.000 tests« . ZenTech table sur la production d’un 1,8 million de tests par mois.
L’entreprise liégeoise entend bien réserver la priorité de sa production au marché belge. Si l’Etat pour une raison ou un autre décide ne pas se tourner vers elle pour se fournir en tests sérologiques, elle ne s’inquiète pas pour autant, car la demande est très forte en Europe. « De nombreux pays européens, dont l’Allemagne, nous ont signifié leur intérêt« , stipule son porte-parole.
Le gouvernement verrait-il alors ces tests sérologiques rapides lui passer sous le nez ? « Non, même si nous en vendons une partie à l’étranger, notre capacité de production est assez grande pour couvrir la Belgique« , commente Eric-Louis Poskin.
Débat sur le « passeport immunitaire »
Les tests sérologiques ouvrent le débat sur le « passeport immunitaire ». Il s’agit d’un document, papier ou numérique, qui serait décerné à un citoyen par les autorités sanitaires d’un pays après qu’il ait effectué un test sérologique. Le principe est d’attester que le détenteur de ce certificat a bien développé des anticorps au Covid-19 pour lui permettre de circuler librement dans son pays ou en Europe, ou de reprendre le travail.
Ce dispositif est envisagé dans certains pays européens dans leur stratégie de déconfinement. Actuellement, le Chili est le seul pays à délivrer des certificats aux personnes guéries du coronavirus. Des discussions sont en cours en Allemagne et en Grande-Bretagne pour l’implémenter. La start-up Onfido, spécialisée dans la vérification d’identités est ainsi en discussions avec le gouvernement britannique pour introduire son kit personnalisé à réaliser à la maison (il devra être validé par les autorités sanitaires avant toute commercialisation). Le test vire au vert si la personne est immunisée, à l’orange si elle ne l’est que partiellement et au rouge si elle ne l’est pas du tout, explique le journal français Les Echos.
En Belgique, David Goldenberg, le fondateur de la start-up CV Trust qui propose à ses clients une plateforme de vérification des documents officiels liés à l’éducation telle que les diplômes, les attestations d’inscription, nous informe qu’il peut mettre à disposition sa plateforme pour que les certificats d’immunité puissent être disponibles simplement, rapidement, et à un coût marginal. Un système qui éviterait ainsi la falsification.
Le projet de passeport immunitaire est controversé. Il repose sur le principe d’une immunité systématique après l’infection, ce qui n’est, à ce jour, pas démontré de manière certaine. Même si cela était le cas, personne ne sait combien de temps dure cette protection contre le virus et dans quelle mesure une personne immunisée est encore ou non contagieuse. Rien ne prouve non plus qu’une personne ne puisse être réinfectée.
L’OMS s’est positionnée contre le dispositif de passeport immunitaire, craignant un regain de la pandémie. « L’utilisation de tels certificats pourrait augmenter le risque de transmission« , les personnes « se pensant immunisées » ignorant alors les consignes sanitaires, a-t-elle justifié.
Outre sa fiabilité, le passeport immunitaire soulève d’autres questions relaie Les Echos : Comment être sûr que le résultat donné est bien celui de la personne qui le revendique ? Comment éviter des trafics de faux passeports immunitaires ? Comment garantir la fiabilité du résultat sans menacer la protection des données personnelles ? Ces systèmes pourraient aussi avoir un effet pervers, qui pousserait certaines personnes à chercher à être infectées, afin d’obtenir le précieux sésame, pour pouvoir retourner au travail ou à leurs activités d’avant la pandémie.
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