Carte blanche
Coronavirus: l’enjeu n’est pas d’aplatir la courbe, il s’agit d’enrayer l’épidémie
Etienne et Marc Decroly, virologiste et médecin SAMU, tirent la sonnette d’alarme au sujet de l’évolution de l’épidémie: il faut absolument respecter les mesures de confinement!
Nous sommes très inquiets car l’idée est très répandue dans nos populations qu’il n’est pas nécessaire de respecter les mesures de confinement décidées par nos autorités, mesures qui sont sans doute encore trop légères pour être pleinement efficaces.
L’épidémie de SARS-CoV2 poursuit sa progression géométrique dans les pays européens avec un doublement du nombre de cas tous les 3 jours environ. L’Europe est aujourd’hui particulièrement touchée avec plus de 45 000 malades du COVID19.
L’Italie, le pays de l’UE le plus durement touché, comptabilise 25000 cas détectés et 1700 décès le 15 mars, soit un taux de mortalité de plus de 7 %. Le virus se propage également rapidement dans le reste de l’Europe ou l’épidémie a encore 10 jours de retard environ. En Italie, premier pays européen à avoir confiné sa population, l’effet des contre mesures pris il y a une dizaine de jours reste limité. Il faudra probablement encore de la patience, pour voir l’effet de ces mesures draconiennes.
Cette croissance non contrôlée inquiète d’autant que certaines infrastructures hospitalières ont déjà atteint le seuil critique de saturation mais pas de dépassement. Des mesures sans précédent ont été prises jeudi par le gouvernement et la population s’interroge sur les effets que ces mesures auront sur la propagation du virus ?
L’enjeu et l’efficacité des mesures restent, de plus, mal compris.
Les populations hésitent entre insouciance, inquiétude et sidération. Nous sommes encore sur la plage, les premiers nuages annonciateurs du cyclone prévus par les épidémiologistes sont là mais l’épidémie reste impalpable pour la plupart! Pourtant le personnel des hôpitaux sait déjà que la situation est difficile. Que peut-on faire ? Que faut-il faire ? Est-il encore possible de bien négocier cette crise?
Les épidémiologistes étudient l’évolution des pathogènes. Ils ont développé des outils pertinents pour guider nos décisions dans ce genre de situation. Ils disposent de modèles mathématiques robustes indiquant clairement que le contrôle des épidémies est possible. En agissant sur les chaines de transmission nous pouvons limiter très fortement le nombre total de personnes infectées.
Il ne s’agit pas seulement « d’aplatir la courbe » des contaminations,mais au contraire de changer l’issue de l’épidémie avec un nombre de cas au final réduit comme cela fut, précédemment possible, pour l’épidémie de SARS-CoV1.
Le facteur clef sur lequel il faut agir est le taux de transmission/contamination (R0), ou plus simplement combien de personnes seront en moyennes contaminées par un malade du Covid19.
Si ce taux est inférieur à 1, l’épidémie se dissipe, au contraire si R0 est supérieur à 1, l’épidémie poursuit une progression exponentielle plus ou moins rapide. Pour le moment le R0 du SARS-CoV2 est estimé entre 2 et 4 en Europe.
Que veut dire un R0 à 4 ? Cela signifie que chaque infecté contamine 4 personnes, qui elles-mêmes contaminent 4 personnes. A chaque contamination le nombre de cas est multiplié par 4. Après 4 cycles de contaminations, pour 1 personne atteinte on aura 256 malades. Or, il ne faut que 12 jours pour avoir 4 cycles de contaminations pour le SARS CoV2. Ce phénomène qui répond à une progression géométrique, donc exponentielle, est très difficile à mentaliser et à percevoir.
Maintenant si ce coefficient est inférieur à 1 : chaque infecté ne transmettant la maladie à moins d’une personne, le nombre total de malades diminuera à chaque cycle de contamination et progressivement l’épidémie s’éteindra avec un nombre moins élevé de malades au total et donc de décès associés.
Il est important de comprendre que ce taux de transmission R0 n’est pas une valeur intrinsèque pour un virus. Ce facteur dépend des conditions climatiques (que nous ne contrôlons pas), mais surtout des mesures d’hygiène et distanciation sociale et de notre capacité à isoler les personnes infectées par le SRAS-CoV2. Nous pouvons donc changer l’issue de l’épidémie en prenant des mesures limitant suffisamment la transmission. L’enjeu est donc de frapper vite et fort pour baisser le niveau de transmission!
L’objectif est donc de diminuer le R0 pour qu’il soit inférieur à 1. Diviser le R0 par 4 est loin d’être impossible : avoir 3 fois moins de contacts, et faire en sorte que la probabilité de transmission soit divisée par 2 (par une distance plus importante et une attention particulière à l’hygiène) réduit le R0 à 0.66.
Nous avons plusieurs niveaux d’action possible, et l’efficacité résultera de la synergie de ces actions. Nous devons également nous inspirer des pays qui ont contrôlé plus efficacement l’épidémie qui ont fait des efforts très importants notamment en diagnostiquant massivement leur populations (Corée du Sud, jusque 20000 diagnostics par jour), en isolant au maximum les malades du Covid19 même faiblement symptomatiques et en imposant des mesures de distances sociales strictes mais parfois difficilement acceptables.
Le système de santé publique joue donc un rôle prépondérant dans le contrôle de l’épidémie et doit orchestrer la réponse selon 3 axes :
- implémenter d’urgence des moyens de diagnostic à grande échelle accessibles à la médecine de ville
- isoler les cas dans des structures d’accueil afin d’éviter les contaminations au sein des familles
- distribuer des masques de protection aux cas suspect et au personnel de santé incluant les médecins de ville, personnel d’accueils et pharmaciens. Ces personnes risquent de payer un très lourd tribut car des mesures de protection minimales ne sont pas généralisées.
Les politiques de leur côté ont des moyens d’action considérables et doivent organiser une réponse concertée.
Il était essentiel de fermer les écoles et universités pour limiter la transmission à partir d’un réservoir faiblement symptomatique. L’effet de ces mesures pourrait être limités, si les enfants sont placés chez les grands parents (> 60 ans) très à risques pour l’infection, ou si les familles s’organisent en regroupant les enfants à garder. Ces mesures de confinements ne sont pas des congés, mais bien une mise à distance de chacun pour protéger son prochain. L’utilisation des transports en commun reste également problématique, surtout en absence de masques de protection, car le virus se propage sur plusieurs mètres par gouttelettes. Le maintien des activités professionnelles devra également être remis en question dans les prochains jours. Il faudra arbitrer entre la santé de tous, les intérêts économiques, et les conséquences sociales et sociétales inévitables.
Au niveau individuel, nous pouvons chacun, tel le colibri contribuer efficacement.
Nous devons veiller à bien appliquer les mesures d’hygiène qui sont proposées depuis plusieurs jours dans tous les médias.
Laver les surfaces qui pourraient être souillées comme les clenches de portes, les rampes d’escalier. Le virus est capable de rester infectant 12 heures lorsqu’il s’est déposé sur une surface métallique.
Nous devons réduire notre exposition sociale. Protégeons nos amis, nos aînés et nos collègues de travail. Nous pouvons réduire nos déplacements, faire pression sur nos employeurs pour organiser temporairement du télétravail. En absence de détections suffisante, il faut inviter les personnes présentant des symptômes respiratoires ou de la température à rester chez eux. L’isolement de ces personnes fragilisées par la maladie est important pour éviter les coïnfections par le SARS-CoV-2 et pour limiter la surcharge des systèmes de santé.
Nous pouvons et nous devons agir ici et maintenant
Dr Sc. Etienne Decroly, Virologiste, Société Française de virologie, Directeur de recherche au CNRS, Marseille
Dr Marc Decroly, Médecin SAMU, Bruxelles
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