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Comment son régime a préparé Bart De Wever au pouvoir

Olivier Mouton Journaliste

L’informateur royal a tiré les leçons de son échec de 2010 face au PS. Pendant quatre ans, il s’est préparé, corps et âme, à la conquête du pouvoir. En perdant du poids avec une volonté de fer, il a démontré que tout était possible.

Dimanche 17 octobre 2010. Cette journée restera dans l’Histoire comme un traumatisme déclencheur pour Bart De Wever. Sans doute le moment charnière après lequel l’homme se décide à changer, corps et âme. « Clarificateur royal », il joue son va-tout pour tenter de sortir le pays de la crise et dépose sur la table de ses partenaires de négociations de l’époque un rapport de 48 pages dessinant la Belgique du futur. « Un compromis équilibré », estime-t-il alors.

Quelques heures à peine après sa présentation, juste avant les journaux télévisés du soir, le PS d’Elio Di Rupo en dénonce pourtant le « caractère unilatéral, parfois provocateur ». Le CDH de Joëlle Milquet confirme dans les minutes qui suivent. Estimant qu’il s’agit d’un rejet de principe, sans même avoir pris le temps d’étudier le texte, le leader nationaliste rend son tablier. Vexé, il reste à la table mais bloquera ensuite toute tentative de conciliation.

Fin 2011. Bart De Wever est un homme revanchard. Humilié au plus profond de sa chair et de sa soif de pouvoir. Pendant des mois, il a eu le sentiment d’être mené en bateau par les socialistes francophones, on l’a accusé de tous les maux et présenté comme le fossoyeur du pays. Elio Di Rupo, lui, en fin stratège, a manoeuvré pour devenir Premier ministre. Pour l’homme fort de la N-VA, la coupe est pleine.

Surtout, De Wever est mal dans sa peau. Tout au long de cette épreuve politique, il a été caricaturé comme un mangeur de gaufres compulsif. Son corps, massif, le dérange et lui fait peur. « C’est de l’obésité morbide », reconnaît-il alors. Pour sa femme et ses quatre enfants, avant tout, il décide de reprendre sa vie en main. En six mois, il perd soixante kilos et devient méconnaissable, affûté comme une lame de rasoir, sec comme un jour sans pluie.

La métamorphose physique est concomitante à sa reconquête du pouvoir. Au même moment, De Wever entame sa campagne pour détrôner le socialiste Patrick Janssens du maïorat d’Anvers. « Je veux le changement, dit-il en avril 2012 à Erik Saelens, de l’agence publicitaire Brandhome. Et ce changement commence à Anvers. First we take Antwerp, then we take Brussels. » La voie est toute tracée. En octobre de la même année, il devient bourgmestre. Et le mardi 3 juin 2014, après une nouvelle victoire électorale de son parti, le voilà chez le roi Philippe. Informateur, il a demandé une semaine supplémentaire pour tenter de poser les jalons d’un « gouvernement des droites ». Sans le PS.

Le Coca Zero, son seul caprice

Au fil des semaines, au rythme des kilos fondus, le régime de Bart De Wever est devenu un récit médiatique, délibérément rendu public par le président de la N-VA. Il publiera même un livre pour en conter les moindres détails. Une opération de communication, calculée. « La motivation de Bart De Wever était probablement médicale avant tout, commente alors Nicolas Guggenbühl, diététicien réputé. Une obésité morbide accroît le risque de maladies cardio-vasculaires, de diabète ou de certains cancers. Mais il est aussi de bon ton pour un homme public aujourd’hui d’avoir une corpulence dans les normes. L’époque où l’embonpoint était vu positivement est révolue. Un régime réussi est également un signal très fort qui signifie : regardez, vous pouvez compter sur moi, j’ai la maîtrise de moi-même, j’ai de la volonté. »

En maigrissant, Bart De Wever a voulu témoigner au peuple flamand de sa détermination à prendre ses responsabilités. Il s’est mis en ordre de marche pour conquérir le pouvoir, avec les élections du 25 mai 2014 en ligne de mire. « Ce régime ne l’a pas seulement changé physiquement, mais aussi psychologiquement, estime Rik Van Cauwelaert, éditorialiste flamand renommé au Tijd, ancien rédacteur en chef de Knack, qui connaît bien le personnage. Il est moins bonhomme qu’avant, plus cinglant et déterminé. Tous ceux qui ont fait un régime savent que l’on en sort différent. » Plus fragile, aussi, comme en ont témoigné ses couacs de santé à répétition ces derniers mois. Et plus fébrile.

Auteur d’un livre décrivant Le vrai Bart De Wever (éd. Renaissance du Livre, 2013), après l’avoir accompagné tout au long de sa campagne électorale pour les communales, Kristof Windels raconte une scène d’anthologie où Bart De Wever s’énerve littéralement à la recherche de canettes de Coca Zero non périmées, le seul caprice qu’il s’autorise désormais, tandis qu’il voit tomber au goutte à goutte les résultats qui vont le consacrer bourgmestre. « Avec lui, la formation de gouvernement ne se fera pas avec un bon verre de vin rouge, mais avec des boissons light et du thé, sourit Kristof Windels. Ce ne sera pas ennuyeux pour autant : il dispose d’un grand sens de l’humour, souvent cynique. » En outre, l’homme est méthodique, méticuleux, à la limite de la maniaquerie. Sur son bureau au siège de la N-VA, rue Royale à Bruxelles, pas un papier de trop. Pour une mission d’information rapide, mieux vaut agir sans fioritures.

Une préparation minutieuse

En ce mois de juin 2014, le président de la N-VA, transfiguré, reçoit donc une nouvelle chance. Nommé informateur par le roi Philippe deux jours à peine après les élections, Bart De Wever « fait du bon boulot », estime son rival du CD&V Kris Peeters, ministre-président flamand sortant. Après le scepticisme généralisé, la roue tourne peut-être. « Bart De Wever a tiré les leçons de son échec de 2010, souligne Rik Van Cauwelaert. A l’époque, il avait été surpris par son propre succès. Résultat ? La N-VA s’était retrouvée lors des négociations face à un PS hyper-organisé et avait perdu pied. Il était alors fort seul. Désormais, il est entouré par un cercle de proches qui lui sont fidèles. Cela le rend plus fort. »

Avec Liesbeth Homans, son bras droit à Anvers et confidente depuis l’enfance, Piet De Zaeger, directeur du parti, en passant par les anciens journalistes Siegfried Bracke (VRT) et Johan Van Overtveldt (Trends, Knack), Bart De Wever a des avis sur lesquels il peut compter. Dégoûté par l’efficacité déployée en 2010 par l’Institut Emile Vandervelde, le centre d’études du PS, il a érigé un organe similaire dirigé par Guy Clémer, ancien du patronat flamand et du Conseil supérieur des finances, qui fut conseiller de Guy Verhofstadt quand il était Premier ministre. Objectif ? Produire des notes, argumenter, démontrer que la Belgique a besoin d’un électrochoc socio-économique. Telle est sa conviction, désormais, bien plus qu’une utopique indépendance flamande. « Lorsqu’il avait remis son tablier de clarificateur, en 2010, je lui avais dit qu’il commettait une erreur parce qu’il permettait aux autres partis flamands de rester dans la discussion, se souvient Rik Van Cauwelaert. Il m’avait répondu : « Je ne veux pas être celui qui provoque la fin de la Belgique ». C’est un confédéraliste convaincu, pas un séparatiste. »

Bart De Wever mesure que son principal défi, aujourd’hui, consiste à gagner la confiance de ceux susceptibles de le suivre au sud du pays, MR et CDH en tête. Ce n’est pas pour rien qu’il a posté un message rassurant aux francophones avant le scrutin. Une reconversion tardive. Mais il sait, surtout, que sa mission d’information n’est qu’une première étape, les clés de la formation d’un gouvernement fédéral étant entre les mains du CD&V et de l’Open VLD.

« Je reste persuadé que Bart De Wever veut d’abord mettre en place une majorité pour le gouvernement flamand, analyse Olivier Maingain. Cela lui permettrait de coincer ses partenaires flamands pour forcer ensuite la main des francophones. » Reçu une vingtaine de minutes par l’informateur lors de son premier tour de piste, le président du FDF a découvert « quelqu’un d’assez neutre », mais visiblement peu inspiré par des consultations destinées avant tout à « remplir les archives du palais royal ». L’essentiel se joue en coulisse, sous la houlette d’un personnage dont l’influence grandit : Wouter Beke, président des sociaux-chrétiens flamands, que certains verraient bien au 16, rue de la Loi, aide à surmonter les oppositions de principe.

Une quête de pouvoir… et de confort

Bart De Wever, lui, ne rêve toutefois pas d’être Premier ministre. Il aspire plutôt à une tranquillité retrouvée pour poursuivre son travail auprès des Anversois. La sévérité de son régime a fait vaciller son corps : il a été hospitalisé à deux reprises ces derniers mois pour des infections aux organes vitaux. Son chauffeur Joël Njengo, un ancien para commando d’origine camerounaise, l’accompagne lors de chaque déplacement pour l’extraire des foules dont il a une peur panique. Sa femme, Veerle Hegge, a échappé elle aussi de peu à la mort en octobre 2013, suite à un accident cérébral. Autant de bonnes raisons pour ralentir le rythme, même si ce drogué de travail aura bien du mal à quitter le devant de la scène.

« Bart De Wever n’a peut-être pas d’ambition personnelle, mais il sait que son confort de travail à Anvers dépend du résultat des négociations, souligne Kristof Windels. Il y dirige une coalition dans laquelle le CD&V et l’Open VLD ont peu à dire. Or, la configuration serait tout autre si la N-VA était rejetée dans l’opposition, tant en Flandre qu’au fédéral. Le président de la N-VA sait aussi qu’il doit à tout prix monnayer sa force électorale car elle n’est pas éternelle. Il est rare, surtout en Flandre, que la popularité d’une personnalité politique reste au sommet pendant dix ans… »

S’il échoue dans sa mission, Bart De Wever n’aura-t-il pas beau jeu d’accuser les francophones et l’establishment belge d’avoir voulu sa perte ? Ne prépare-t-il pas son échec, comme on l’a accusé de le faire en 2010, pour nourrir électoralement la N-VA ? « Ce n’est certainement pas son intention, il veut réussir et a les moyens d’y arriver », rétorque Rik Van Cauwelaert. Et si Bart De Wever cultive un sentiment de Calimero, ce n’est pas forcément dans le sens que l’on croit. Chez lui, c’est plutôt un complexe de supériorité, une exaspération face à la médiocrité, comme en témoigne cette citation extraite du livre retraçant sa campagne des communales : « Si j’étais Calimero, je pourrais entonner une complainte sur le thème de la lutte de tous contre un, je pourrais dire : « Ils sont grands et je suis petit, c’est trop injuste ». Mais je ne le dis pas. Non. Je suis grand et ils sont petits. Et ils pensent probablement que c’est injuste. »

Volontaire, sûr de lui, Bart De Wever veut croire en l’avènement d’un gouvernement mettant fin à 25 ans de règne ininterrompu du PS. Tout est possible, il l’a démontré en ne reprenant pas de poids, deux ans et demi après le début de son régime. « Pourtant, c’était le plus difficile, confie-t-il. Parce que les tentations sont nombreuses, surtout en politique. »

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