Carte blanche
« Comme si on ne méprisait pas encore assez les femmes au foyer ! »
Fien De Meulder, mère au foyer et auteur du roman « Een redelijk gelukkig huwelijk » (Un mariage assez heureux), réagit à la proposition de la présidente de l’Open VLD Gwendolyn Rutten de réformer les avantages fiscaux pour les époux afin de stimuler les femmes au foyer à chercher un emploi.
Comme si on ne méprisait pas encore assez les « femmes au foyer » comme moi, Gwendolyn Rutten en rajoute. Elle ne me trouve pas assez émancipée. Je risquerais d’être trop peu qualifiée. J’ai quatre diplômes universitaires en poche, et j’ai décidé de rester à la maison pour m’occuper de mes trois enfants. Manifestement, cela l’inquiète. Que je sois un mauvais exemple pour mes pauvres petits enfants. Qu’ils prennent du retard dans la course au profit. À présent, elle veut me sanctionner en me faisant payer plus d’impôts. Dans l’intérêt de l’émancipation, l’Open VLD exige plus d’impôts de personnes sans revenus. Il fallait oser.
Nous avons choisi de sortir en partie de cette course au profit. Tous les grands-parents vivent à l’étranger, mon mari fait de longues journées, et nous ne nous soucions pas de ce que notre maison ne soit pas branchée, que nos vêtements ne soient pas de la bonne marque. Pourquoi est-ce que je paierais un étranger pour s’occuper de nos enfants ? Je sais que c’est un luxe, mais nous avons la chance que ce soit possible. Pourquoi est-ce que je défends ce choix ? Parce qu’on méprise les mères qui travaillent à la maison. Parce que l’air du temps est celui de madame Rutten. Nous devons tous être « activés ». Celui qui ne contribue pas au culte de la prospérité a moins le droit de parler, a moins de valeur.
Comme si on ne méprisait pas encore assez les femmes au foyer !
Il y a quelque temps que l’air du temps me tracasse. Tellement que j’ai écrit un roman sur le sujet. Sur ce que ça fait de ne pas être un élément économiquement rentable dans le système économique tout-puissant. Comment d’autres personnes vivent ça comme un affront personnel.
Après, je pourrais faire semblant de travailler très durement, et comment osez-vous me mépriser? Mais je ne vais pas le faire. Le travail n’est pas trop dur. Les gens qui ont un job et des enfants travaillent nettement plus durement. J’aime faire ça. Je peux prendre mon temps. Je paie même quelqu’un pour nettoyer, la partie que je n’aime pas faire. Non, je ne vais pas faire semblant de me tuer au travail. Est-ce obligatoire ? Devons-nous trimer jusqu’à ce que nous nous écroulions pour que l’Économie soit contente ? De sorte que les actionnaires gagnent encore plus ? De sorte que nous consommions encore plus pendant le court laps de temps qui nous reste à côté du travail ?
Non, j’admets volontiers qu’il m’arrive de lire toute une après-midi au soleil. D’aller déjeuner avec une amie sans culpabiliser ou de faire un jogging dans le parc. Cela vous dérange, madame Rutten ? Si cela peut déranger quelqu’un, c’est mon mari. Nous avons convenu qu’il peut se concentrer totalement sur son travail – pas besoin d’excuses s’il rentre tard, pas de problème pour les voyages à l’étranger – que je n’aille pas déjeuner ou faire mon jogging quand un enfant est malade, ou en examens, ou que c’est journée pédagogique. Que j’arrive à temps à l’école. Qu’il y a de la marge pour la lenteur. Pour traîner une heure dans le canapé. On peut, madame Rutten? Je ne vous dis pas non plus comment gérer votre maison. Faut-il vraiment me répéter que j’agis mal et que je suis opprimée et inutile pour la société? Je me sens très utile, merci. Et presque pas opprimée. Sauf peut-être par votre regard méprisant.
Je pense que le problème est là. C’est devenu une question morale. Les gens sans job payé sont considérés comme paresseux. Nous ne participons pas au discours du plus grand, plus rapide et toujours plus riche. Et que nous soyons diplômés ou pas, ne pouvons-nous pas continuer à faire ce choix ? Je ne crois pas qu’il s’agit d’émancipation. Vous avez trouvé des gens qu’on ne presse pas pour obtenir des bénéfices, et vous voulez changer ça.
Il y a des inconvénients à la vie d’une mère au foyer. On me méprise souverainement. C’est solitaire. Et je me mets dans une position vulnérable: sans carrière, je dépends financièrement de mon mari.
Et pourtant, je ne prends pas ce risque à la légère, madame Rutten. Je le prends parce que je crois fermement que ce choix est le meilleur pour ma famille. Pour mon mari, pour mes enfants, et pour moi.
Est-ce que je peux? De vous ? Maintenant que vous avez tant travaillé que vous avez obtenu le pouvoir ? Puis-je faire le choix de ne pas acquérir de pouvoir ? Puis-je me placer dans une position vulnérable en consacrant du temps à ma famille et écrire quelque chose de non rentable ? Voulez-vous vraiment créer une société où la lenteur et la vulnérabilité sont sanctionnées, et où l’économie est la seule chose qui ait de la valeur ?
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