Les " rescapés " des Forges, défendus par le GR6, ne comptent pas baisser les bras. © hatim kaghat

Clabecq: les papys des Forges font de la résistance

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Vingt-deux ans après la faillite de l’usine sidérurgique, 1 770 anciens des Forges de Clabecq réclament toujours l’intégralité de leurs indemnités.  » Par ici les liards « , dit l’Etat, qui leur refuse la priorité.

Ils n’ont pas fait le déplacement jusqu’à la salle attenante au café La Plume d’argent, à Saintes (Tubize), pour refaire le monde ni même ressasser le bon vieux temps. Le poids des ans s’affiche sans fard dans l’assistance. Les crânes se sont dégarnis, les cheveux ont grisonné, les dos se sont voûtés mais l’humeur reste combative. Et l’indignation intacte. Le sang des ex-sidérurgistes ne fait encore qu’un tour quand on aborde la raison de leur rassemblement :  » on  » s’acharne à les priver de leur dû,  » on  » ne cherche qu’à les oublier. Sauf qu’ils ont de la mémoire et savent calculer : le compte n’est toujours pas bon quand on n’a eu droit qu’à 47 % de ses indemnités de licenciement.

Le moment est venu de montrer que c’est encore et toujours de l’acier qui coule dans nos veines !

Vingt-deux ans que dure une plaisanterie qui ne les fait pas du tout rire. Depuis le 3 janvier 1997, jour où les Forges de Clabecq ont baissé le rideau pour cause de faillite. 4 307 travailleurs sur le carreau, un drame social qui fera du raffut et du grabuge. Et le début d’une saga juridico-financière qui justifie encore, un jour d’avril 2019, cette concentration d’une petite centaine de  » papys  » floués, venus aux nouvelles à l’appel du GR6 aligné sur l’estrade. Le GR6 ? Une cellule constituée en 2015 par six anciens employés des Forges. Qui décident de s’unir pour y voir clair dans cette jungle et secouer ceux qui s’emploient à les y égarer. Ceux-là refusent de baisser les bras, malgré la tentation.  » Les politiques, l’Etat, les syndicats, la Commission européenne : la faillite des Forges de Clabecq, c’est une belle magouille bétonnée par l’omerta « , attaque Michel Walravens, l’un des porte-parole, en guise de mot de bienvenue.

Banque ou travailleurs, l’Etat aurait choisi

L’affaire, juridiquement complexe, est tragiquement simple. La curatelle des Forges et l’Etat fédéral se disputent, à coups de procédures judiciaires incessantes, dix-huit millions d’euros liés au passif social. A qui cette cagnotte conservée à la Caisse des dépôts et consignations ? A moi, soutient mordicus l’Etat, sûr de son bon droit puisque fort de décisions judiciaires rendues en sa faveur et qui n’entend pas céder la priorité. Belle mentalité, s’offusque la curatelle, qui se pose en défenseur des intérêts bafoués des travailleurs. Et déroule sa plaidoirie :  » Bien que les aides d’Etat accordées aux Forges aient été déclarées illégales par la Commission européenne en 1996, l’Etat fédéral, fin 2015, a repris à son compte une créance de 30 millions d’euros de Fortis qu’il avait garantie dans les années 1980 et il en demande son remboursement alors que Fortis a déjà récupéré la totalité de ses avances.  » Embrouille ?  » L’enchaînement des faits laisse penser que l’Etat s’est entendu avec BNP Fortis pour récupérer à charge de la faillite les paiements qu’il n’aurait pas dû opérer parce que frappés d’illégalité.  »

Entre les intérêts d’une banque et les droits sociaux des travailleurs, l’Etat aurait donc choisi son camp. Un geste lui suffirait pour dissiper ce soupçon. Qu’il renonce à faire passer sa créance avant celle des travailleurs. Qu’il fasse preuve d’un zeste d’humanité dans cet univers impitoyable. Mais Charles Michel (MR), dans ses habits de Premier ministre, n’a pas faibli lorsque cette supplique lui est soumise à la Chambre au printemps 2017 :  » L’Etat de droit, le respect des procédures et la crainte que cela représente un précédent dans d’autres types de situation similaire doivent nous guider.  »

Que la justice boucle enfin la plus longue procédure de remboursement des travailleurs d’une entreprise faillie en Belgique et mette fin à l’attente de 80 cadres, 316 employés et 1 374 ouvriers, et otages d’une querelle si difficile à vider. Certains, d’ailleurs, n’attendent plus rien du tout pour cause de décès mais leurs héritiers sont là pour reprendre le flambeau. D’autres estiment leur manque à gagner :  » 35 000 euros « , nous souffle cet ancien cadre.

Le politique botte en touche

Reste le fragile espoir que sonne l’heure de la revanche. Sur des années d’oubli et d’abandon, sur les regards qui se sont détournés et les dos qui se sont tournés. Les syndicats qui ont fini par laisser tomber leur cause et leurs avocats qui ont arrêté les frais parce que, dénonce le GR6,  » nous n’étions plus assez rentables à défendre « . Le monde politique francophone qui les écoute toujours poliment pour mieux botter en touche.  »  » Evidemment, mieux aurait valu que Clabecq se situe au nord du pays, près d’Anvers par exemple. Là, on aurait débloqué les millions « , gronde Louis Houdart, ex-cadre ingénieur et membre du GR6. La révolte le dispute à l’impuissance, à l’incompréhension devant ce qui est pris pour de l’acharnement de la part de l’Etat. Lequel jouerait vilainement la montre avec l’intention de  » finir par gagner, faute de combattants « .

Suspense, Dame justice n’a toujours pas dit son dernier mot. Ce 9 mai, nouvelle passe d’armes programmée devant la Cour d’appel de Bruxelles, pour une plongée aux racines mêmes du contentieux : la curatelle entend contraindre l’Etat à produire les pièces liées à des prêts consentis aux Forges au début des années… 1980. Aucun dénouement judiciaire à attendre avant le courant 2020. Dans la salle, les mines se font pensives, les moues dubitatives.

C’est que l’heure tourne, y compris ce 25 avril à La Plume d’argent. L’assistance se sépare sous un parfum de lutte finale, non sans se donner rendez-vous au palais de justice de Bruxelles. Haut les coeurs, le GR6 est au taquet.  » Le moment est venu de montrer que c’est encore et toujours de l’acier qui coule dans nos veines !  » harangue Michel Walravens. Louis Houdart fait passer la consigne :  » Nous attachons une importance capitale à une tenue correcte. Pas d’objets contondants ou coupants avec vous, nous serons certainement fouillés à l’entrée du tribunal.  » Les forces de l’ordre ont aussi de la mémoire ou des archives : bulldozer à l’assaut des combis de gendarmerie sur l’autoroute, descente musclée sur Bruxelles sous la conduite du charismatique FGTBiste Roberto D’Orazio. Clabecq en résistance, c’était du lourd. C’était il y a longtemps. L’appel au calme est superflu : les papys des Forges ont passé l’âge.

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