Chercher le plaisir avant la victoire: le portrait d’Aline Zeler, footballeuse belge
Du club de foot de son village au PSV Eindhoven en passant par les rangs de nos Red Flames nationales, la nouvelle entraîneuse de l’équipe féminine du Sporting Charleroi a mis sa force de caractère au service d’un parcours professionnel exemplaire.
Si Aline Zeler était une figure masculine du foot, elle pourrait être David Beckham, dont elle a le chic, le sourire franc et la présence. Le jour où nous la rencontrons, celle qui a choisi de décliner le ballon rond au féminin nous a fixé rendez-vous dans un restaurant bruxellois qu’elle ne connaît pas mais où elle doit déjeuner dans une heure. Elle n’ a d’ailleurs pas hésité à demander à ce qu’il ouvre plus tôt pour que nous puissions nous y retrouver « Et comme ils sont cool, ils ont dit oui », détaille-t-elle le plus naturellement du monde. D’emblée, on sent qu’Aline Zeler n’ a peur de rien et que sa confiance en soi rejaillit sur les autres et sur le monde. Voire sur la météo car, en ces premiers jours de réouverture des terrasses, admettons-le franco, il fait plutôt froid. « T’racasse, le soleil va venir », lâche la joueuse la plus « capée » de Belgique, soit la plus sélectionnée en équipe nationale. D’une certaine manière, c’est la Justine Henin du football, l’ aventurière de la cause, sorte de précurseuse qui a ouvert la voie aux Red Flames, nettement plus connues aujourd’hui que ne l’ étaient jadis « Liline » et ses copines.
Après trente ans de carrière, et après avoir elle-même été la capitaine desdites Red Flames, Aline est aujourd’hui coach principale de l’équipe féminine à Charleroi, preuve que le football version filles se donne les moyens… mais preuve aussi qu’il reste du chemin à faire car « c’est un mi-temps ». A côté de ça, Aline est consultante pour le cabinet de la ministre Valérie Glatigny, en charge des Sports, pour « faire bouger les choses », expose-t-elle avec conviction. Autre grande question: « Pourquoi les joueurs masculins peuvent-ils avoir un plein temps et un contrat de dingue et pas nous? »
Son plus gros risque: « Rejoindre le PSV Eindhoven et faire quatre heures de route depuis Wavre tous les jours. Cela implique plus de fatigue, plus de blessures potentielles et moins de récupération. »
Pour mesurer le degré d’inégalité entre les genres dans le milieu du football professionnel, il suffit de relever que depuis ses 18 ans, Aline (38 ans) a toujours dû travailler en parallèle des matchs et des entraînements. Ainsi, avant de rejoindre Charleroi, elle était coach adjointe des Genk Ladies, chargée de mission auprès de la Fédération sportive Wallonie-Bruxelles enseignement (FSWBE) et prof d’éducation physique dans la capitale. Pas la première fois qu’elle donnait cours dans une école, mais certainement la dernière. Elle garde en effet de cette expérience un sentiment d’impuissance totale face des élèves qu’il faut presque « élever » avant de pouvoir leur faire faire du sport, sans oublier certains parents qui ajoutent « n’écoute pas ton prof, c’est une femme ». Bref, elle ne se sentait plus vraiment utile dans ce rôle-là et a décidé de quitter l’enseignement pour mieux faire avancer les causes qu’elle défend via la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un départ à l’image de sa carrière où l’on observe des va-et-vient entre clubs, des départs, des retrouvailles et des portes qui claquent quand les choses ne lui conviennent pas. Car Aline semble être une forte tête, question autant de caractère que de racines familiales.
L’ équipe « + Aline »
Bercheux, province de Luxembourg, commune de 377 habitants dont un couple de fermiers et leurs deux filles. Chez les Zeler, on ne joue pas au foot « on travaille » et c’est au contact de ses voisins qu’ Aline, l’aînée, se met à taper dans le ballon. Le week-end, elle va voir ses copains jouer au club du village et, en bordure du terrain, elle taquine la balle. C’est ainsi qu’à 6 ans elle est repérée par le président du club en charge des équipes de jeunes. A ses yeux, cette gamine a un tel talent qu’il lui trouve une paire de chaussures à crampons dans les vestiaires et s’en va convaincre ses parents de l’affilier au club. Ils rechignent, hors de question de faire des kilomètres pour la conduire aux matchs ou aux entraînements. Mais le village s’organise et on trouve toujours quelqu’un pour s’en charger. L’ avantage de la ferme, c’est qu’en tant que premier enfant, Aline endosse le rôle du fils que son père aurait aimé avoir et développe ainsi une résistance musculaire hors norme pour une fille, ce qui lui permettra, comme joueuse, d’aligner les performances jusqu’à 36 ans.
Sa plus grosse claque: « Ma vie privée. C’est très difficile de construire une relation quand on donne tout au football. J’aimerais pouvoir un jour tout concilier. »
A Bercheux, l’équipe est masculine « + Aline » mais le règlement de l’Union belge est clair: à 15 ans, elle doit rejoindre une équipe 100% féminine. Ce sera celle de Warmifontaine, une joyeuse bande mais où l’ âge des joueuses grimpe parfois jusqu’à 50 ans. Direction ensuite Tenneville, alors en division 3 nationale, où la future coach restera trois ans, le temps d’accomplir ses études en éducation physique et de se faire remarquer lors d’un match contre le Standard Fémina qui l’engage deux jours plus tard. Sa carrière professionnelle commence enfin en D1, une première période de deux ans avant de quitter Liège et de rejoindre « le challenger historique », le Sporting d’ Anderlecht. Là, c’est une autre histoire ; le club subit une pression énorme et n’est composé que de joueuses néerlandophones « + Aline », l’occasion pour elle de driller son flamand et de faire évoluer son jeu. Une période difficile, où les blessures s’enchaînent et l’immobilisent. Aline se retrouve seule dans son petit kot à Kortenberg pendant des mois, à travailler comme magasinière pour payer ses factures. Mais elle s’accroche et revient sur le terrain avant de finir par quitter RSCA pour Saint-Trond.
L’expérience internationale
Entre-temps, première éclaircie: le statut « d’ élite ». A savoir, la possibilité d’assumer un job dans l’enseignement mais en horaire allégé pour suivre les entraînements ou jouer les matchs en équipe nationale – avant cela, la jeune femme n’avait d’autre choix que de rogner sur ses jours de congé. Un bonheur n’arrivant jamais seul, Saint-Trond décroche le premier titre contre le Standard grâce à un but d’Aline Zeler, justement. Inutile de dire que quand elle retourne au club liégeois, un an plus tard, l’accueil n’était pas franchement chaleureux. Non seulement c’est une « ex » mais c’est surtout celle qui les a privées du titre. Jalousie, mesquineries, coéquipières qui refusent de faire des passes… Aline serre les dents mais craque parfois seule dans sa voiture « parce qu’un athlète ne peut jamais montrer ses faiblesses ». Heureusement, les titres suivent et elle remporte même trois fois de suite celui de meilleure buteuse. C’est au cours de cette période que « Liline » devient « une vraie machine ». Un déclic quant à son hygiène de vie qui l’amènera à plus de confiance sur le terrain, « tout est lié, pour gagner un match, il faut être prêt physiquement et le fait de l’ être entraîne d’office des choses positives, comme une plus grande force mentale et une plus grande confiance en soi. » Un cercle vertueux qui se développe encore davantage quand la joueuse passe en équipe nationale, où les filles bénéficient enfin des compétences de préparateurs physiques, de nutritionnistes et autres professionnels, ce qui n’existait pas aux niveaux « inférieurs » du foot féminin.
« Si j’avais été un homme, ma carrière n’aurait clairement pas été la même. En tant que femme, j’ai toujours dû bosser pour pouvoir vivre. Ce n’est pas juste et pourtant j’en ai toujours tiré du plaisir, même comme magasinière. Si j’avais été un homme, j’aurais gagné des millions et j’aurais sans doute tout dépensé en discothèque et, après, ma carrière aurait été finie. J’ai peut-être eu plus de mal à y arriver mais j’en suis fière, tout le monde n’aurait pas été capable d’accomplir ce que j’ai dû faire pour m’en sortir. »
Son mantra: « Fais-le pour toi. »
Lorsqu’elle quitte le Standard en 2017, Aline enregistre alors huit titres. Elle surprend le monde du ballon rond en retournant à Anderlecht – club dont Marc Coucke est entre-temps devenu président – , pour « changer d’air ». Car s’il est un autre trait de sa personnalité qu’elle revendique, c’est de parvenir à court-circuiter des trajectoires installées, cela parce qu’elle a le sentiment de devoir se mettre en danger pour mieux progresser. Même si, concède-t-elle, ce n’est jamais gai de quitter son club. Durant cette nouvelle saison à Bruxelles, après vingt ans de traversée du désert, le RSCA gagne le titre de Champion de Belgique. A sa grande stupéfaction, Aline découvre que Marc Coucke entend dégraisser les budgets des équipes féminines pour la saison suivante, et ce malgré la victoire. S’ensuit une prise de bec, la joueuse refuse de rempiler et claque la porte. Coup de chance, le PSV Eindhoven lui tend les bras et lui offre la fameuse expérience à l’étranger dont elle avait toujours rêvé, comme entraîneuse de la team espoirs féminins. Là, elle prend pleinement la mesure du professionnalisme et des moyens que les Néerlandais se donnent pour faire performer leurs joueuses, à des années lumière de ce que fait la Belgique. Après une saison, elle choisit de lever un peu le pied pour passer davantage de temps avec celle qui est alors sa compagne et le fils de cette dernière. Car Aline Zeler n’a jamais caché son homosexualité et si, au départ, des blagues ont pu circuler dans le milieu, elle a choisi de passer outre et de ne jamais se laisser atteindre ni par les commentaires, ni par les mesquineries. Son objectif est d’ailleurs resté le même: progresser quand elle tape dans la balle et toujours chercher le plaisir avant la victoire.
Ses 5 dates clés
- 2003: « Mon club, Tenneville (D3) joue contre le grand Standard de Liège, devant 1 000 personnes et je marque deux buts. Même s’ils ont gagné, on leur a montré que, nous aussi, on savait jouer au foot. »
- 2004: « Mon entrée au Standard (D1), je carburais pour terminer mes études, le diplôme c’était le deal avec mes parents. »
- 2009: « Mon premier titre de Championnat de Belgique, avec Saint-Trond. Au total, j’en aurai eu neuf. »
- 2016: « Je reçois le Godefroid, qui récompense autant la carrière que l’engagement d’une personne pour la province de Luxembourg. La même année, je reçois aussi le Soulier d’or. »
- 2018: « Mon arrivée au PSV, une superbe expérience. J’aime ce club pour ses valeurs humaines et sportives. »
Lire aussi sa biographie parue en janvier dernier: Aline Zeler. Le foot de A à Z, par Thierry Lefèvre, éd. Memory press, 232 p.
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