Charles Quint : roi de la com’ et empereur bling-bling
Di Rupo et compagnie n’ont rien inventé. Cinq siècles avant nos politiques, Charles Quint soignait son look. Et savait s’y prendre pour faire croire qu’il était le plus grand, le plus fort, le meilleur…
Il a beau être né à Gand en 1500, certains soutiennent mordicus qu’il a vu le jour à Eeklo. Sacré Charles Quint : depuis plus de 500 ans, on persiste à voir sa trace partout dans nos contrées. A attester de son passage, de préférence là où il ne s’est jamais rendu. La rançon du succès. L’effet d’un mythe, construit et entretenu bien après la mort du célèbre empereur, survenue en 1558. Pas de doute, pourtant : le personnage est bel et bien de chez nous. Tantôt pris pour un Espagnol, tantôt pour un Allemand ou pour un Flamand, Charles Quint est un Bourguignon dans l’âme et dans les tripes. Ses multiples titres et couronnes, pas plus que son hispanisation, n’ont eu raison de son amour pour son biotope : les Pays-Bas.
Mais sous un Soleil qui ne se couchait jamais sur son empire, il ne sait plus où donner de la tête. Impossible pour Charles Quint de gouverner autrement qu’à distance. Ce n’est pas du goût de ses sujets. Partout, ils se plaignent de ses absences, alors qu’il se multiplie pour apparaître au plus grand nombre.
Remporter des victoires, à la pointe de l’épée ou par des mariages politiques ne suffit pas. Il faut aussi le faire savoir. Gagner la bataille de la com’. Or, la concurrence est rude parmi les têtes couronnées de l’époque. Charles Quint se heurte à deux redoutables communicateurs qui sont aussi alliés de circonstance. François Ier, le roi très chrétien de France : bel homme, prince de la Renaissance, protecteur des arts et des lettres. Et le Grand Turc, Soliman le Magnifique, qui ne lésine pas sur l’apparence vestimentaire et les bijoux pour manifester sa splendeur. En prime, Charles Quint a un illustre prédécesseur à surpasser : un autre Charles, jadis empereur, lui fait de l’ombre. Charlemagne était « grand », Charles Quint doit être « le plus grand ». Sa devise claque comme un slogan de campagne : « plus oultre », « toujours plus loin ».
Ses conseillers s’arrachent les cheveux. Comment profiler un souverain aussi lointain aux yeux de ses peuples ? En cultivant son image triomphante, pour mieux masquer la vraie fragilité de son pouvoir impérial. Il faut en mettre plein la vue. Epater la galerie pour impressionner les petites gens et séduire les élites urbaines. Charles s’en donne les moyens. Une entreprise internationale s’active dans la coulisse. Elle mobilise par centaines, poètes, peintres, imprimeurs, historiens officiels, tisserands, armuriers.
Charles, en vrai pro, a l’oeil à tout. « Il accordait de l’importance aux moindres détails de son apparence », souligne l’historien britannique Peter Burke. Il veille à cacher ses premiers cheveux blancs, qu’il attrape dès ses 35 ans. Il soigne sa mise et mouille sa chemise. « Charles se comportait en véritable metteur en scène, il jouait son propre rôle en public, écoutant les suppliants, recevant leurs pétitions. »
« La société burgondo-habsbourgeoise est une société de spectacle permanent. Le prince est constamment en représentation, en exhibition », relève l’historienne Claire Billen (ULB). Tâche harassante. La cour de l’époque n’a pas de résidence fixe. Ce n’est pas encore Versailles, d’où le Roi-Soleil rayonnera sur l’Europe. Charles Quint n’est pas Louis XIV, un souverain bâtisseur. C’est sur les routes que l’empereur itinérant doit se donner en spectacle. Tout un cirque ambulant de 200 à 300 personnes est du voyage. Exige des supports de propagande mobiles. Comme ces coûteuses tapisseries exhibées pour célébrer partout les dadas du prince : la chasse, les fêtes. Joutes, tournois, banquets interminables qui virent à de grosses bouffes : Charles Quint tient à faire parler de lui par un sens prononcé de la fête. Et par sens du devoir. « Il ne s’agit pas du tout de sujets olé olé. Ces activités sont au coeur du fonctionnement du pouvoir, explique Claire Billen. Chasser le loup, le cerf ou le sanglier, est plus qu’un plaisir guerrier, viril. C’est une discipline, une morale qui permet au prince de prouver sa patience, son courage, son habileté, son sens du raisonnement, son dynamisme. » Autant de qualités lancées à la face de l’adversaire : « Nous, les Habsbourg, sommes aussi valeureux chasseurs que les Valois de France. »
Maudits Valois. François Ier, captif de Charles Quint après le désastre que le roi de France subit à Pavie en 1525, s’empresse de renier ses engagements sitôt libéré. Charles, outré, provoque son rival en combat singulier afin de vider une bonne fois pour toutes la querelle. Le combat des chefs n’a aucune chance d’avoir lieu. Qu’importe : ses contemporains en sont tout secoués. Charles Quint fait le buzz, bien avant l’heure.
Dans le Vif/L’Express de cette semaine :
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