Thierry Fiorilli
« Cette pandémie, ce sont des travaux de la commune depuis le printemps et c’est juste plus possible » (chronique)
Abbi pazienza. « Sois patient. » Mais dans le sens « ah qu’est-ce qu’il faut comme dose d’indulgence dans la vie! ». Cette pandémie, ce sont des travaux de la commune, une mode, un sujet d’actu, un truc qu’on nous impose. La chronique de Thierry Fiorilli.
Une petite ville toscane, le soir. Appartement du dernier étage. Fosco a tombé le polo, il est en chemisette, ça lui fait des bras de coureur cycliste, noirs jusqu’à mi-biceps et puis tout blancs ; il est debout, coudes fort en arrière, couverts à la main et il boit la télé, qui va plein pot, et il a chaque fois les solutions avant les concurrents du jeu, et il rit en jurant, à faire s’évanouir un saint, quand c’est un film avec Antonio Griffo Focas Flavio Angelo Ducas Comneno Porfirogenito Gagliardi De Curtis di Bisanzio, c’est le vrai nom de l’acteur, on comprend pourquoi pour le théâtre et le cinéma on s’est limité à Totò ; et puis, la Nonna passe la tête depuis la cuisine, oh Dio, Fosco, pour l’amour du ciel, è pronta la pasta et tu restes planté là comme une nouille! Alors, tout en secousses, gauche, il pose fourchettes et couteaux cul par-dessus tête, mais les assiettes porca miseria! , et on aidait (elles sont dans l’armoire du milieu, porte de droite), on faisait un petit geste, c’est pas grave, tu mérites pas une engueulade pour ça, et il répondait d’une voix si calme pour un si grand nerveux, « abbi pazienza, topino ».
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Il le disait souvent. Moins que les jurons mais quand même. Devant les nouvelles au Telegiornale, les résultats de la Fiorentina, les soucis des belles-soeurs, les reproches de Nonna, les évocations des bêtises passées, le bibelot cassé, les accusations qu’il fumait en cachette, l’épicerie agonisante puisque la Coop a ouvert trois rues plus loin, et certains des anciens fidèles font un détour pour qu’on ne les voie pas avec leurs sacs du supermarché. Abbi pazienza. « Sois patient. » Mais dans le sens « ah qu’est-ce qu’il faut comme dose d’indulgence dans la vie! ». Parce qu’on n’est pas entouré que de flèches, mon p’tit rat. C’est pour ça qu’il faut trouver des diversions, éviter les cons.
Ce mantra-là, on se l’est approprié depuis longtemps, mais on se le récite en boucle ces derniers jours. Parce que la Fiorentina reste désespérante mais surtout parce que tout ce qu’on entend, hein. En fait, donc, cette pandémie (bientôt un an, 17.000 morts en Belgique, un million et demi dans le monde), c’est des travaux de la commune depuis le printemps et c’est juste plus possible (« On en a marre de ce bordel! Je vais écrire au bourgmestre, tu vas voir! »). Ou une mode (« Non, on n’est pas très masque nous, on suit pas trop tout ça, bon tous à la maison samedi alors? »). Une négociation entre fédé et sportifs (« Bon, trêve à Noël, parce que c’est Noël quand même nom de dieu, et puis okay la compèt pourrait reprendre, ça dépend des primes »). Un sujet d’actu, comme quand l’équipe nationale casse la baraque et ça éclipse tout le reste aux infos et tant pis si on se fiche du foot (« On cause plus que de ça, suis dégoûté, qu’on pense un peu à ceux que ça n’intéresse pas! »). Un buffet d’hôtel, ou un spectacle (« On a le bracelet prioritaire, j’étais là avant, deux places au premier rang siouplaît »). Une copie d’examen après corrections (« Et pourquoi lui il a vert et pas moi? »). Un truc qu’on nous impose, savent plus quoi inventer pour nous emmerder, on nous prend en otages!
Brochette de stars autour de nous, hein. Abbi pazienza, Nonnino. On va se faire un petit Totò. En jurant comme des dieux.
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