Carl Devos : « De Croo souhaite manifestement empocher les lauriers politiques de la liberté retrouvée »
Le Comité de concertation a annoncé une série d’assouplissements à partir du 9 juin, à condition que la situation dans les soins intensifs se stabilise davantage. La retenue prudente du tandem Vandenbroucke-De Croo a fait place à « une forme de gestion du risque libératrice », estime le politologue Carl Devos.
La réouverture – par endroit très festive – des terrasses, a fait souffler comme un vent de liberté. Et de nombreux Belges l’ont savouré. Les politiciens n’ont pas fait exception. Depuis, on assiste à une surenchère pour élargir les horizons et offrir plus de libertés.
Pourtant, les médecins et les virologues soulignent que les taux d’hospitalisations et de mortalité restent relativement élevés. Dans la perspective du comité de concertation, le spécialiste des maladies infectieuses Steven Callens et le virologue Steven Van Gucht avaient tous deux mis en garde contre des assouplissements trop rapides et trop larges.
Un message qui semble avoir de plus en plus de mal à passer auprès du Comité de concertation qui a proposé mardi un plan d’été, soit une série d’assouplissements rendus possibles par la rapidité de la campagne de vaccination dans notre pays. Avec une condition tout de même : que les chiffres restent sous les 500 en soins intensifs. « Il s’agit d’une approche prudente », déclare M. De Croo. Mais selon le politologue Carl Devos (UGent), il s’agit surtout d’un geste osé de la part du Premier ministre.
Avez-vous été surpris qu’Alexander De Croo ait soudainement présenté un programme d’assouplissements la semaine dernière ?
En tout cas, c’est un fait politique majeur. Jusqu’à la semaine dernière, Alexander De Croo et Frank Vandenbroucke formaient un bloc solide qui, soutenu par la plupart des virologues, a toujours préconisé une approche prudente. Mais pour ce qui est de l’assouplissement des restrictions, cette prudence semble s’être envolée. La retenue prudente du tandem Vandenbroucke-De Croo a laissé la place à une forme de gestion du risque libératrice. En tant que libéral, De Croo est naturellement désireux d’empocher les mérites politiques de la liberté retrouvée. Sa communication autour du passage d’une responsabilité collective à une responsabilité individuelle s’inscrit parfaitement dans ce cadre.
Ce changement de stratégie est frappant. De Croo a toujours été prudent et a donc pu se donner l’image d’un homme politique rationnel sous la direction duquel la troisième vague est restée sous contrôle. Il semble avoir fait volte-face. Soudain, il est prêt à prendre les risques qu’il ne voulait pas prendre auparavant. Car même si la campagne de vaccination atteint sa vitesse de croisière et que l’on constate à l’étranger que celle-ci e a effectivement un effet favorable sur les chiffres d’hospitalisation et de mortalité, on ne sait pas avec certitude comment les chiffres vont évoluer dans notre pays dans les prochaines semaines.
Les responsables politiques peuvent-ils se permettre de ne pas mettre en oeuvre les assouplissements annoncés si la situation devait se détériorer ?
Ils ne peuvent en effet qu’espérer que les chiffres continuent à évoluer dans un sens positif. De Croo et Jambon ont déjà dû revenir sur leur promesse une fois, lorsque les salons de coiffure ont dû fermer leurs portes en février. Mais cette fois, les assouplissements s’appliquent à un groupe de population beaucoup plus large. Politiquement, cela rend toute marche arrière beaucoup plus difficile si les choses tournent mal. Au début de son mandat, De Croo bénéficiait de suffisamment de crédit pour durcir les mesures, car sa mission était de réparer les dégâts causés par le gouvernement Wilmès. Sauf que garder la porte fermée est un peu plus facile que de la refermer.
Les avertissements des virologues trouvent-ils encore un écho suffisant auprès des politiciens ?
On constate qu’il est de plus en plus difficile pour les virologues de faire passer leur message au niveau politique. Cela n’est pas dû aux faits. C’est même plutôt le contraire puisque ce sont les politiciens eux-mêmes, avec leurs mesures d’assouplissements, qui snobent les virologues. Par ailleurs, la situation en matière de soins intensifs se stabilise quelque peu et la campagne de vaccination se déroule comme prévu. L’époque où les virologues pouvaient, jusque dans une certaine mesure, fixer l’agenda semble révolue.
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