Bouchez, Magnette, Nollet: les trois supertrolls d’Alexander De Croo (analyse)
Les présidents des trois partis francophones de la majorité fédérale se montrent publiquement critiques envers Alexander De Croo et la politique sanitaire de son gouvernement. Sont-ils en train de miner la Vivaldi de l’intérieur?
Le contexte
Il avait invité, le 22 février dernier, les présidents de partis à « arrêter les surenchères qui dressent les secteurs les uns contre les autres ». Le 5 mars, il demandait « l’ouverture de l’Horeca, la culture et l’événementiel après Pâques », le « retour progressif à plein temps des élèves du secondaire et des étudiants du supérieur » et, dans une interview à Sudpresse, à l’élargissement de la « bulle de un » à l’intérieur. En dix jours, Paul Magnette, président du Parti socialiste, venait de rejoindre ses homologues réformateur et écologiste dans le rang des contestataires, plus ou moins tardifs, plus ou moins médiatiques, plus ou moins virulents, d’une politique sanitaire belge prétendument trop rigide. La cohésion, déjà fragile, du gouvernement De Croo en est-elle menacée?
Mon premier dit qu’il ne faut pas faire de la surenchère avant le comité de concertation du 26 février, puis fait de la surenchère avant le comité de concertation du 5 mars. Mon deuxième se met en décembre en colère contre « un parti qui est pourtant associé aux décisions, 48 heures après, se permet de remettre en question les décisions auxquelles il a participé » et explique, fin février, ne plus respecter une règle, la « bulle de un », issue d’une décision à laquelle il a participé. Mon troisième estime, fin février également, qu’il faut rouvrir les restaurants à l’extérieur car le virus n’aime pas la chaleur du printemps, et, début mars, qu’il faut rouvrir les restaurants à l’intérieur parce qu’il ne fait pas assez chaud en Belgique au printemps.
Leurs sorties médiatiques réduisent Bouchez, Magnette et Nollet à un statut de supertroll.
Mon tout rebute le Premier ministre Alexander De Croo, fait le choix de s’exprimer dans les médias pour s’attribuer le mérite des inévitables assouplissements que fera éclore la belle saison, et est presque toujours déçu au terme de chaque comité de concertation. Et mon tout est hennuyer, président de parti, participe à la majorité Vivaldi, reproche à Alexander De Croo d’insuffisamment considérer les revendications francophones, et s’appelle respectivement Paul Magnette, Jean-Marc Nollet et Georges-Louis Bouchez.
Le dernier qui marque a gagné
Il faut se figurer ces trois présidents dans une cour de récréation, occupés à disputer une hargneuse partie de football. C’est Georges-Louis Bouchez qui mène. Il a profité de la discipline de ses adversaires, en début de récré, pour s’en aller marquer des goals tout seul. Mais alors que la cloche sonne presque, le surveillant prévient: « Allez, le dernier qui marque a gagné », et Paul Magnette et Jean-Marc Nollet se mettent alors à vraiment s’intéresser à la balle. Chacun, avant de rentrer en classe, se rue à l’attaque.
C’est à ça qu’ils jouent, tous les trois. Plus la sortie de la crise s’approche, plus chacun voudra marquer le dernier but, celui qui, pense-t-il, lui donnera la victoire définitive, le titre de champion du retour à la vie normale.
Juste avant l’annonce de la réouverture des métiers de contacts, déjà, Paul Magnette, Elio Di Rupo, ministre-président wallon et Pierre-Yves Dermagne, vice-Premier ministre, avaient annoncé la vouloir dès le 13 mars pour les coiffeurs, et le 1er mars pour les autres, tandis que les réformateurs, eux, remettaient en cause depuis des mois déjà l’utilité de cette mesure. Lorsque, le 5 mars, Paul Magnette donne à Sudpresse l’interview qui le vit exiger la réouverture de l’Horeca fin avril, l’élargissement des bulles extérieure et intérieure, et le retour de l’enseignement en présentiel, c’est qu’il sait que, l’après-midi même, le comité de concertation prendra des dispositions de cet ordre.
Chez les verts, le changement de doctrine, consacré aux yeux du monde mercredi 24 février, au micro de la RTBF, par un Jean-Marc Nollet avouant avoir reçu un couple à dîner chez lui, avait été préparé, comme du reste ce bruyant aveu. La commission « santé » du parti l’avait suggéré. En « G9 », seul le chef de groupe Ecolo au parlement bruxellois, John Pitseys, l’avait poliment contesté, et en bureau politique l’idée était passée sans encombre. Rajae Maouane et Bénédicte Linard, ministre francophone de la Culture, avaient promu, mais plus discrètement, les revendications toutes vertes d’assouplissements. Et puis explosa la bombe du 24 février. Paul Magnette y avait vu la surenchère que l’on sait, mais Jean-Marc Nollet, à ce moment-là, savait que le comité de concertation du vendredi 26 février était parti pour prendre des dispositions de cet ordre, si une hausse brutale des hospitalisations n’était pas venue les retarder d’une semaine.
La punition de De Croo
Mais si les rouges et les verts se sont montrés si offensifs dans les derniers moments de la récré, ce n’est pas seulement parce qu’ils en voyaient la fin arriver. C’est aussi parce qu’ils contestent désormais l’autorité du surveillant: Jean-Marc Nollet et Paul Magnette voulaient le punir.
Alexander De Croo n’avait en effet pas averti ses partenaires francophones lorsque, lundi 22 février, il avait convoqué une conférence de presse, pendant laquelle des mathématiciens avaient exposé leurs modèles de propagation du virus. La veille, Frank Vandenbroucke, le ministre de la Santé, avait dit voir peu de possibilités d’assouplissements rapides. Et, le vendredi, expliquera Paul Magnette à Sudpresse le 5 mars, le Premier ministre avait « annulé, en dernière minute, le comité de concertation du 26 février, ici aussi sans concertation ». « Cela ne me semble pas des méthodes idéales », avait ajouté le Carolorégien, comme pour rendre publique la désapprobation des anciens bons élèves devenus indisciplinés. L’antérieure insolence de son collègue Nollet procédait de la même veine.
Il y a quelques mois déjà qu’Alexander De Croo s’énerve du bombardement déployé depuis l’avenue de la Toison d’Or. Il n’avait pas été, dans les négociations de septembre, le libéral flamand le plus hostile à en expulser le MR. Et il y a quelques mois déjà qu’à chaque exigence libérale francophone d’assouplissement est opposé un ferme refus gouvernemental, si bien que ces exigences, finalement, auront même pu se révéler contre-productives, parce qu’elles suscitaient autant de crispations que d’espoirs frustrés.
Mais ici ce sont ses deux autres partenaires francophones, ceux qu’il pensait fiables, ceux qu’il consultait fréquemment et qu’il bombardait d’annonces et de messages WhatsApp, qui se donnent désormais des airs rebelles. Eux, ils trouvaient qu’on ne les écoutait plus assez en interne, c’est pourquoi ils se sont donc fait entendre à l’extérieur.
L’opposition silencieuse
Chacun des trois présidents francophones se réjouit désormais. Georges-Louis Bouchez de passer pour le « laatste liberaal » aux yeux de certains commentateurs flamands, surpris de voir Alexander De Croo défendre des mesures restrictives, Jean-Marc Nollet d’avoir dit faire tout haut ce que tout le monde, apparemment, faisait tout bas, Paul Magnette d’avoir revendiqué en dernier ce que tout le monde allait obtenir pour finir, ou presque. Tous les trois peuvent se dire qu’ils ont, depuis la majorité, rendu aphone l’opposition. Le PTB allègue l’autoritarisme de Frank Vandenbroucke? Les partis de la majorité aussi. Le CDH demande l’ouverture de l’Horeca? Les partis de la majorité tout autant. DéFI veut généraliser les tests rapides? Les partis de la majorité encore plus.
Mais en rendant publiques leurs critiques, ils exposent leur impuissance à vraiment peser sur le cours des choses. Elle réduit les présidents des trois plus grandes formations francophones, pourtant hommes de pouvoir par essence, à un statut de supertroll.
Ces supertrolls démontrent que la particratie n’est plus ce qu’elle était.
Et puis, surtout, ils minent la popularité d’Alexander De Croo, donc de leur propre gouvernement. Ce gouvernement qu’ils ont tous fini par vouloir, sans les nationalistes flamands, et qui est censé prouver que la Belgique fonctionne encore. Cet exécutif dont les quatre partis flamands, convaincus, voire forcés, de reléguer la N-VA dans l’opposition, devront sortir grandis en 2024. Cette majorité Vivaldi dont leur emphase les porte parfois à dire qu’elle est la dernière chance de la Belgique, mais que leur stratégie personnelle condamne presque pourtant à la déception collective.
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