Bien-être animal : Di Antonio est-il influencé par les radicaux ?
La politique du ministre wallon Carlo Di Antonio est-elle influencée par les tenants de la « ligne dure » de la cause animale ? La création d’un nouvel organisme richement doté pose question. Tout comme le soutien du ministre aux refuges « en guerre » contre le service public de contrôle du bien-être animal.
» Une révolution dans le domaine de la protection des animaux. » » La Wallonie pionnière en Europe. » » L’animal enfin reconnu comme un être sensible… » L’adoption définitive, le 3 octobre, du Code wallon du bien-être animal a été saluée de tous côtés. Porté par le ministre régional Carlo Di Antonio (CDH), le texte a été approuvé par le parlement de Wallonie à la quasi-unanimité (67 voix pour, 2 abstentions). L’organisation de défense des animaux Gaia a parlé d’un vote » historique « . » C’est une belle récompense pour moi, mais aussi pour tous ceux qui ont travaillé sur ce texte « , s’est félicité Carlo Di Antonio. Tous les acteurs de la protection animale reconnaissent la forte valeur symbolique du Code, qui dépoussière la loi du 14 août 1986. Toutefois, certains d’entre eux nous assurent que le diable se cache dans les détails : une lecture attentive du texte ferait craindre une mainmise des milieux extrêmes de la cause animale sur la politique menée par le ministre.
Les contrôles des élevages doivent rester de la seule compétence d’agents assermentés.
En cause : le nouvel article 104 § 2 du Code. Il prévoit que » le gouvernement peut habiliter une personne morale de droit public ou constituée à l’initiative de l’autorité publique à effectuer des missions de support » aux services compétents pour les contrôles et infractions. En clair, le ministre peut désormais confier à un organisme distinct du service public des missions effectuées jusqu’ici par l’Unité du bien-être animal (Ubea), la cellule régionale chargée des plaintes pour maltraitance et des saisies (composée de contrôleurs et inspecteurs vétérinaires qui ont la qualité d’agents de police judiciaire). Justification de Carlo Di Antonio : » Le secteur associatif doit pouvoir exercer des missions en première ligne… On manque d’une structure qui permette de décharger l’autorité publique des missions régaliennes. » Lors des discussions parlementaires sur le texte, le député régional PS Jean-Pierre Denis a accusé le ministre d' » abandonner une fois de plus une prérogative des services publics à un organisme à créer « .
Un subside de 160 000 euros
Or, il apparaît qu’une nouvelle structure vient de voir le jour, en toute discrétion : l’Union wallonne pour la protection animale (Uwpa). Constituée, fin juin dernier, par cinq dirigeants de refuges wallons, cette asbl a son siège à La Louvière, rue Jean Jaurès 195. L’adresse est, en fait, celle de la SPA La Louvière, un refuge pour chiens et chats. Carlo Di Antonio a octroyé récemment au nouvel organisme une subvention rondelette de 160 000 euros, à charge du Fonds du bien-être animal. Cette aide publique est destinée à couvrir en partie les frais du site Internet adoptez.be (202 000 euros, dont 110 000 par an de budget de fonctionnement) et à mettre en place un projet d’aide aux animaux de sans-abris (20 000 euros pour la phase de test). Le subside n’aurait pas été attribué à l’issue d’un processus compétitif, ce qui soulève la question du respect du cadre européen en matière de concurrence et des règles de transparence. L’asbl ne cache pas, dans ses statuts, sa vocation première, le lobbying : » L’Uwpa se donne les moyens de faire pression sur les administrations et le monde politique aux fins de défendre les intérêts de ses affiliés et des animaux qu’ils représentent… » Elle affiche aussi son militantisme : » L’Uwpa a pour but […] de faire évoluer la législation afin de lutter plus efficacement contre toutes formes d’exploitation des animaux. »
Un expert scientifique tire la sonnette d’alarme : » Cette nouvelle structure a été fondée par des patrons de sociétés de protection animale très engagés. Derrière un discours de façade soft, ils plaident, sur leurs pages Facebook, pour un « monde à venir libéré de la consommation animale ». Ils réclament l’arrêt de toute exploitation utilitaire de l’animal, donc la suppression des élevages. En vertu de l’article 104 du Code, un tel lobby peut se voir confier des missions de contrôle du bien-être animal dans les élevages, d’où un conflit d’intérêts manifeste dans son chef. » Une autre source à la Région nuance : » Le combat de ces associations est respectable. Il aide à faire évoluer les mentalités pour que la société prenne mieux en compte les besoins des animaux. Les positions antispécistes et abolitionnistes (NDLR : rejet de toute exploitation animale) ne sont pas illégales et ont leur place dans le débat face aux excès du secteur de l’élevage de type industriel. En revanche, les contrôles des éleveurs et autres détenteurs d’animaux doivent rester de la seule compétence d’agents assermentés du service public qui, eux, sont des personnes neutres. »
Au détriment du service public
Commentaire de l’élu wallon Jean-Pierre Denis : » Mes craintes se confirment : le ministre veut confier des missions régaliennes au secteur associatif au détriment du service public. Avec, à la clé, l’orientation vers ce milieu de budgets dont l’administration aurait pourtant grand besoin. » De fait, le nouveau Code wallon ouvre la porte à un plus large financement public des refuges. Ses articles 100 à 102 scindent le Fonds du bien-être animal en trois sections, dont une intitulée » Protection contre les abandons et la maltraitance animale « . La plus grande partie de l’argent du Fonds se retrouve dans cette enveloppe-là, car elle est alimentée par les redevances perçues lors de la vente de la puce placée pour identifier chiens et chats, soit plusieurs centaines de milliers d’euros par an. L’article 102 indique que ces recettes seront » intégralement affectées à la politique de protection contre les abandons d’animaux et la maltraitance animale, en ce compris à la participation au financement de travaux effectués au sein des refuges pour la construction, la rénovation d’infrastructures ou pour l’acquisition d’équipement « .
» De nombreuses décisions wallonnes liées au bien-être animal sont prises par le cabinet Di Antonio sans consultation des scientifiques et de l’administration, composée pourtant d’experts vétérinaires, pointe un agent. En revanche, les tenants de la ligne radicale en matière de protection animale ont l’oreille du ministre. » Cibles visées par notre interlocuteur : les influents patrons des refuges qui ont constitué l’Union wallonne pour la protection animale. Le président du nouvel organisme est le responsable de la SPA de Cointe (Liège). Le vice-président et trésorier est le coordinateur de Sans collier, qui héberge quelque 300 chiens et chats dans son refuge de Perwez, en Brabant wallon. Le secrétaire général est le président de la SPA de La Louvière. Administratrices : la vice-présidente d’Animaux en péril, refuge pour animaux de ferme, et la fondatrice du refuge EquiChance de Romedenne.
Déclaration de guerre
Point commun entre ces associations : elles sont le fer de lance de la coalition de refuges qui, à la mi-mai, s’est déclarée » en guerre » contre l’Unité du bien-être animal. Sébastien De Jonge, le responsable de Sans collier, a accusé la cellule d’être » un acteur du mal-être animal « . La coalition a réclamé la » destitution » du service d’inspection, qu’elle accuse d' » incompétence » et de » laxisme » : l’Ubea réagirait aux plaintes avec retard et serait trop indulgente à l’égard des éleveurs et autres propriétaires maltraitants. L’incident qui a mis le feu aux poudres remonte au 13 mars dernier. Ce jour-là, l’Unité ordonne la saisie de 79 animaux dans une propriété de Saint-Denis, en région montoise. Les chevaux, cochons, moutons, chèvres, chats, lapins… y vivaient dans des conditions sanitaires désastreuses. Des refuges agréés prennent les rescapés en charge. Mais deux mois plus tard, le service d’inspection les prévient qu’une douzaine de brebis leur seront retirées pour être données à un marchand de bestiaux.
Une décision qualifiée par la coalition d' » incompréhensible et totalement scandaleuse d’un point de vue éthique. » » Les refuges sont financés par des donateurs privés, remarque Jean-Marc Montegnies, président d’Animaux en péril. Ils comprendraient mal que leur soutien serve à remettre sur pied des animaux ensuite offerts à des individus qui vont les exploiter et les envoyer à l’abattoir. » Pour justifier sa décision, l’Ubea invoque la loi, qui lui impose de » prendre en considération la situation du propriétaire des animaux et les arguments qu’il entend faire valoir. » La docteure Elisabeth Bernard, coordinatrice de l’Unité, précise : » Le refuge est un lieu d’hébergement temporaire qui, dans le cadre d’une saisie, effectue une mission de service public. Certes, dans la plupart des cas, il se verra attribuer l’animal saisi en pleine propriété, car le propriétaire se manifeste rarement pour récupérer son animal. Mais les animaux continuent à appartenir à leur propriétaire jusqu’à ce que l’on statue définitivement sur leur sort. Ils peuvent être vendus, euthanasiés, restitués sous conditions au propriétaire ou attribués en pleine propriété à une personne physique ou morale. En attendant cette décision de destination finale, le refuge est chargé par l’administration d’assurer les soins et l’hébergement des animaux saisis. »
Pression sur les bourgmestres
Carlo Di Antonio a néanmoins désavoué son service d’inspection : il a ordonné que les animaux saisis près de Mons soient maintenus dans les refuges. L’affaire a provoqué un profond malaise au sein de l’Ubea. Des responsables de l’Unité, dont les noms ont été mentionnés sur les réseaux sociaux, ont été la cible d’insultes. Dans la foulée, le ministre a fait adopter en extrême urgence une réforme de la procédure. Depuis le 1er juillet, l’Unité du bien-être animal n’a plus le monopole des saisies administratives. Ce pouvoir est étendu aux 262 bourgmestres de Wallonie. » La coalition des refuges a aussitôt pris contact avec les bourgmestres pour s’autodéclarer point de référence en matière de saisies et étendre ainsi son influence « , signale un agent.
La pression des grands refuges, qui réclament plus de saisies, pèse donc désormais sur les épaules du bourgmestre. » Il va devoir répondre de ses actes « , a prévenu Sébastien De Jonge, patron de l’association Sans collier. » Les bourgmestres sont plus proches des citoyens que la quinzaine de contrôleurs et inspecteurs vétérinaires de l’Ubea, estime Marie-Laurence Hamaide, vice-présidente de l’asbl athoise Animaux en péril. Ils sont plus à même de surveiller les détenteurs d’animaux. La procédure est aujourd’hui consolidée et officiellement cadrée. Elle a déjà montré son efficacité puisque nous avons accueilli dans nos refuges des animaux saisis sur décision de bourgmestres. » Pour autant, des communes et zones de police ont contacté l’Unité du bien-être animal pour s’enquérir des démarches à suivre. » Nous avons fourni notre expertise afin que les polices et autorités publiques locales puissent prendre au mieux leurs décisions « , indique Elisabeth Bernard, la cheffe du service d’inspection.
Rupture de confiance
La cellule régionale conseille aux communes de respecter scrupuleusement la procédure pour éviter les recours au Conseil d’Etat avec, à la clé, l’éventuelle obligation de restituer l’animal à son propriétaire. Ces recommandations auraient » refroidi » certains policiers et services communaux, qui hésiteraient à intervenir. Ce qui n’aurait pas plu à Carlo Di Antonio : il a, nous glisse-t-on, accusé son administration de » démotiver » les communes.
Par ailleurs, le ministre a appelé l’Unité à retravailler main dans la main avec tous les refuges wallons, y compris avec ceux qui ont réclamé son démantèlement. La collaboration reprend timidement depuis la mi-octobre. Ces cinq derniers mois, tous les animaux que l’Unité fait encore saisir elle-même ont été placés dans des refuges wallons qui n’ont pas adhéré à la coalition ou dans des structures bruxelloises et flamandes. » Difficile de travailler avec des personnes qui vous ont traîné dans la boue « , glisse un inspecteur. Il y a rupture de confiance. » Marie-Laurence Hamaide convient que les relations avec le service public d’inspection restent tendues. » Il ne veut pas remettre en cause son mode de fonctionnement, affirme-t-elle. Le ministre Di Antonio nous a d’ailleurs demandé de lui signaler, au cas par cas, les situations de maltraitance face auxquelles l’Unité du bien-être animal n’a pas réagi de manière appropriée. Souvent, la cellule nous prévenait au tout dernier moment d’une saisie. Nous devions poireauter des heures dans nos véhicules aux abords d’une propriété visée par une plainte. »
Interventions musclées
Entre les grands refuges et l’administration, le feu couvait depuis plusieurs années. Les associations, pour qui le bien-être animal est prioritaire, reprochent à l’Ubea d’être trop » sociale » : le service prend en compte la situation des propriétaires, parfois précarisés. » Il arrive à nos inspecteurs d’offrir une chance aux personnes négligentes, reconnaît Elisabeth Bernard : au lieu de saisir sur le champ leurs animaux, ils leur adressent un avertissement et leur laissent un délai d’une dizaine de jours pour nettoyer les lieux malpropres où vivent leurs bêtes… et eux-mêmes. » La juriste de l’Ubea, Angélique Debrulle, ajoute : » Un chien de SDF ou de couple de chômeurs marginaux n’est pas forcément maltraité, même s’il n’est pas nourri avec des croquettes de première qualité. La loi stipule qu’il faut une « atteinte grave » au bien-être animal pour justifier une saisie. »
Un agent d’un autre département de l’administration régionale évoque ce qu’il appelle les » méthodes choc » de certaines sociétés protectrices des animaux, qui se feraient passer auprès des propriétaires pour le service officiel d’inspection et se livreraient à des actes d’intimidation à la limite de la légalité. » Certains particuliers visés par des plaintes voient débarquer chez eux des commandos en uniformes, relève-t-il. Lors de leurs interventions, ces équipes tentent parfois de négocier des abandons volontaires, emportent des animaux sans toujours respecter la procédure, prennent illégalement des photos des lieux alors qu’elles ont déjà été rappelées à l’ordre à ce sujet par le parquet. » L’un de ses collègues témoigne : » Récemment, deux refuges ont fait pression sur la police pour qu’elle entre dans un domicile privé en l’absence du propriétaire. Il n’y avait pourtant pas urgence : un contrôle était prévu par le service d’inspection, conjointement avec la police. »
Bientôt un démantèlement ?
Renaud Klee, vétérinaire à l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca), tempère : » Les refuges font un travail remarquable, soignent des animaux, mais la communication agressive de certains manque d’éthique. Marchands d’émotion, ils font pleurer dans les chaumières sur le sort d’animaux maltraités car leurs associations vivent surtout de legs et de dons. Leurs interventions musclées visent à faire leur publicité sur leur page Facebook. »
Face aux accusations d’incompétence et de laxisme, l’Unité du bien-être animal a demandé à son ministre de tutelle une déclaration de réhabilitation, mais n’a rien obtenu. Dépités, les agents de l’Ubea s’interrogent sur l’avenir de leur cellule, branche d’un département en pleine restructuration. » L’Unité ne figure plus dans l’organigramme de l’administration « , glisse un fonctionnaire. Carlo Di Antonio envisage-t-il sa dissolution, demandée par les grands refuges wallons ? Le service d’inspection dépend du Département de la police et des contrôles (DPC), entité de la Région wallonne en cours de démantèlement. Une autre branche du DPC, l’Unité antibraconnage, a changé d’autorité hiérarchique le 1er septembre. Ses 16 gardes forestiers ont été rattachés au Département nature et forêts. Un troisième service du DPC, l’Unité de répression des pollutions, qui sanctionne les auteurs de rejets polluants et les filières criminelles d’élimination de déchets, pourrait connaître un sort similaire. De quoi inquiéter un peu plus les agents de l’Unité du bien-être animal.
Depuis plusieurs jours, le torchon brûle à nouveau entre l’Unité du bien-être animal – l’Ubea, service public wallon en charge des saisies d’animaux maltraités – et Carlo Di Antonio, son ministre de tutelle. Sous la pression de Gaia, l’organisation de défense des animaux, Carlo Di Antonio a ordonné la saisie d’un singe macaque de Barbarie gardé depuis dix-sept ans dans le garage d’un couple de la commune de Lessines, en Hainaut. L’Ubea reconnaît qu’un animal de ce type n’a pas sa place chez des particuliers, mais elle fait valoir que le singe en question est détenu légalement et que ses conditions de vie, contrôlées en mai 2017 et un an plus tard, respectent les normes. Selon un rapport d’expert (primatologue), l’animal peut rester dans son enclos vu la faible chance de le resocialiser, son grand âge et le risque élevé de mortalité en cas de placement en refuge. Pour autant, Ann De Greef, directrice de Gaia, estime que l’Unité du bien-être animal » a tout fait pour saboter la saisie du macaque « . Mécontent lui aussi, Carlo Di Antonio rejette la proposition de maintien à domicile et exige le placement du singe dans un centre d’hébergement. A la mi-octobre, les agents de l’Ubea auraient même été menacés de perdre leur emploi s’ils n’obtempéraient pas à l’injonction du ministre. Les propriétaires du singe ayant refusé la saisie, une autorisation de visite domiciliaire a été demandée au tribunal de première instance de Charleroi. Autorisation refusée par la juge, qui aurait répondu ne pas comprendre l’urgence à agir maintenant, alors que la situation n’a pas été considérée comme problématique pendant dix-sept ans.
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