Belgique kafkaïenne : les méandres d’un reconfinement local
Un nouveau confinement national semble hors de question en Belgique. Si reconfinement il doit y avoir, il sera local. La décision de maintenir la prochaine réunion du Conseil national de Sécurité (CNS) à jeudi semble aller dans ce sens. Mais qui va décider quels quartier, commune ou province seront, à nouveau, mis en quarantaine en cas de seconde vague ? Comme souvent en Belgique, la réponse est loin d’être simple.
Le Comité de concertation qui s’est réuni dimanche matin à l’initiative de la Première ministre Sophie Wilmès a décidé de maintenir la prochaine réunion du Conseil national de Sécurité (CNS) à jeudi et donc de ne pas l’avancer malgré la demande de Jan Jambon. Selon les conclusions de ce comité, « la recrudescence de l’épidémie de coronavirus s’illustre, à ce stade, par plusieurs problèmes particulièrement localisés et non une dispersion généralisée. Les chiffres sanitaires sont donc influencés par des foyers épidémiologiques circonscrits, liés à des événements et/ou des cercles sociaux particuliers. La méconnaissance ou le suivi moins strict des ‘règles d’or’ et des gestes-barrières sont fréquemment le facteur déclenchant ».
Si la date du 1er août devait correspondre à l’un ou l’autre assouplissement supplémentaire, il semble que cela ne soit plus à l’ordre du jour. On n’en est pas à reparler de confinement, mais voyager à l’étranger, même si ce n’est pas interdit, n’est peut-être pas la meilleure idée, selon le ministre de l’Intérieur, Pieter De Crem, l’un des rares à s’exprimer à l’issue du Comité de concertation dimanche. « Mon conseil serait le suivant: si vous n’avez pas encore réservé, restez autant que possible en Belgique », a-t-il indiqué au micro de la VRT. La Première ministre a confirmé qu’il n’y avait pas à ce stade de recommandation officielle de ne pas se rendre à l’étranger, mais elle appelle à se montrer « très prudent » en vacances. Elle a ajouté que dans l’ensemble tout était sous contrôle. « On ne doit pas non plus exagérer. Nous suivons les chiffres au quotidien. Si des mesures supplémentaires doivent être prises, nous le ferons, et dans les temps », a déclaré Sophie Wilmès à la VRT.
Un des autres point qui refait régulièrement surface est un éventuel renforcement des mesures en cas de seconde vague. Sur ce point, il semble plus ou moins acquis qu’un nouveau confinement national est hors de question. Le ministre de l’Intérieur Pieter De Crem (CD&V), entre autres, l’a dit à plusieurs reprises. Au lieu de cela, on envisage plutôt des mesures plus ciblées. Selon De Crem, certains foyers, tels que les communes, les écoles ou les zones industrielles, pourraient être fermés.
Codes de couleur
Mais l’absence de feuilles de route actualisée et d’un cadre épidémiologique précis a ravivé les tensions. Les experts et les politiciens en sont encore à réfléchir sur les éventuelles pistes à suivre alors que des pays comme l’Allemagne et l’Espagne montrent qu’un confinement local pourrait, tôt ou tard, être nécessaire.
Or pour rendre de telles mesures efficaces, il faut déterminer quand un foyer d’infection doit être verrouillé et qui prendra cette décision. Deux points que personne ne semble pressé d’éclaircir.
Par exemple, les experts du GEES peaufinent encore les critères et les paramètres qui induiront la prise de telles mesures drastiques. À cette fin, le GEES travaille en étroite collaboration avec Sciensano, le groupe de gestion des risques et le centre de crise. La présidente du GEES, Erika Vlieghe (UZA), ne veut pas être liée à un délai. Vlieghe précise que les experts et les autorités s’y attellent depuis un certain temps. « Nous avons déjà beaucoup de pièces de puzzle, mais il nous faut un peu de temps pour tout assembler de façon correcte ». Sauf que comme les chiffres se font plus concrets et que du coup la pression augmente.
Des mesures au niveau provincial en cas de seconde vague ?
Le Standaard a publié ce matin quelques pistes issues de ce futur rapport. L’intention est notamment d’attribuer des codes de couleur aux zones en fonction du nombre de nouvelles infections. Les Affaires étrangères appliquent déjà cette méthode pour évaluer les voyages à destination et en provenance de l’étranger. A ceci près que la gestion du fameux code orange pour les touristes et sa volatilité, mais aussi le battage médiatique, a été catastrophique à la fois pour l’image et pour la pérennisation du système.
Un autre point également établi par les experts, c’est que les enfants ne devront plus rester confinés. Crèches et écoles devront dans la mesure du possible rester ouvertes. Plus sûre, cette stratégie devrait aussi permettre aux parents de travailler à domicile dans une plus large mesure. Si ces établissements doivent néanmoins fermer au plus fort d’un nouveau pic d’épidémie, ils devraient aussi être les premiers à rouvrir.
Les experts déterminent en outre quelles entreprises devraient être les premières à fermer. Ils favorisent le principe de « dernier arrivé, premier sorti ». Les évènements sportifs et culturels seraient donc les premiers à fermer, suivis pas les magasins, puis l’horeca et, enfin, les magasins et entreprises qui n’ont pas de contact avec les consommateurs. Par ailleurs, la taille des bulles autorisées serait aussi adaptée.
Le groupe d’experts en charge de l’exit strategy (GEES) plaide aussi, qu’en cas de seconde vague de contaminations par le Covid-19 les mesures soient adaptées à l’échelle des provinces. Et c’est là l’aspect innovant de cette approche. Un resserrement des mesures ne serait pas nécessairement applicable à tout le pays. Celles-ci devraient être aussi ciblées que possible, suggèrent les experts. Toutefois, ne concentrer les mesures qu’à de petites zones n’est pas non plus souhaitable. Si bien que le niveau provincial semble être le compromis le plus adapté entre des mesures sur mesure et la fluidité de la communication », indique le rapport.
Pour déterminer quelle province devrait à nouveau être soumise à un confinement partiel, ils proposent de prendre en compte le nombre d’infections, le nombre d’admissions à l’hôpital et le taux de reproduction (R). Ce dernier chiffre indique combien d’autres personnes infectent une personne infectée en moyenne.
Ils fournissent quatre codes de couleur : vert, jaune, orange et rouge. Si le nombre de reproduction provincial est nettement supérieur à un et que le nombre d’infections ou d’admissions à l’hôpital est supérieur à une valeur limite, la province changera un ou plusieurs codes de couleur. La province ne peut revenir à l’af que si la valeur R, les infections et les admissions évoluent favorablement.
Les valeurs seuils pour passer du jaune – la situation actuelle – à l’orange sont de 2 nouvelles infections pour 100 000 habitants par jour ou de 5 nouvelles admissions à l’hôpital par million d’habitants par jour. De même, les provinces qui comptent le plus grand nombre de cas – Anvers et la Flandre occidentale – avec 1,3 cas pour 100 000 habitants ne se situent pas non plus à la valeur seuil.
Des décisions contradictoires
Les experts n’émettent là qu’un avis et c’est aux politiciens de décider quelles mesures sont prises et où. « Il semble évident qu’un gouvernement local, en consultation ou non avec le gouverneur, pourrait dans ce cadre prendre facilement des mesures », explique M. Vlieghe. La difficulté se situe au niveau national. « Nous devons faire très attention à ce que nous ne nous retrouvions pas dans une situation où personne ne décide. Ou pire que des décisions contradictoires soient prises à différent niveau. Il n’est pas facile de rationaliser l’ensemble ».
Au sein du gouvernement fédéral, on affirme qu’on s’appuiera sur le diagnostic d’experts, mais aussi sur les autorités locales et provinciales qui assurent le traçage. En outre, l’ampleur du problème, autrement dit du foyer infectieux, sera sérieusement prise en compte. Fermer un centre de soins résidentiels n’est pas la même chose que de décréter un confinement pour toute la province de Flandre occidentale. « Plus l’échelle du foyer infectieux est grande, plus il y a de chances que le Conseil de sécurité soit impliqué dans les consultations ou prenne la décision », selon une source gouvernementale. S’il semble donc qu’une feuille de route prenne progressivement forme, elle est encore loin d’être applicable dans l’immédiat. Car Le GEES ne dit pas non plus quels renforcements des mesures vont de pair avec un certain code couleur. Une autre question importante est de savoir qui est autorisé à décider d’éventuel renforcement des mesures au niveau local. « Cela me semble être une décision qui doit se prendre au fédéral, puisque nous sommes encore dans la phase fédérale », dit De Crem. « Mais les gouverneurs provinciaux auront probablement aussi un rôle à jouer ». Quoi qu’il en soit, ce sera au Centre national de crise à développer les grandes lignes d’un éventuel second confinement.
Datas, datas, datas
Pourtant, il est primordial que les choses soient mises au clair. Ainsi du côté de la province d’Anvers la demande se fait insistante, car les experts sont préoccupés par les infections qui se produisent à la fois dans la ville et dans la province. Le gouverneur Cathy Berx (CD&V) demande ainsi que les autorités locales bénéficient d’une plus grande liberté de mouvement. En principe, pour l’instant et depuis le 13 mars, les autorités locales et provinciales ne peuvent pas imposer des décisions plus souples ou plus strictes que celles imposées par les autorités fédérales. Dans la situation actuelle, il me semble pourtant logique de créer un contexte dans lequel le niveau local ou provincial peut prendre des mesures », déclare Berx. Ainsi, la ville d’Anvers devrait pouvoir décider elle-même dans quel arrondissement l’interdiction de rassemblement sera renforcée et donc, par exemple, se désolidariser des phases fédérales.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici