Battle of the Bulge: la dernière offensive
Il y a septante-cinq ans, le IIIe Reich lançait ses dernières forces contre les troupes alliées. Le choc se produit dans les Ardennes belges fraîchement libérées. Récit d’un épisode effroyable et témoignages des survivants de la Bataille des Ardennes.
Dans l’aube brumeuse et froide du 16 décembre 1944, un soldat du poste d’observation américain au château d’eau de Hosingen, au Grand-duché de Luxembourg, contemple des centaines de points lumineux clignotant à l’est de la rivière Our, frontière naturelle avec l’Allemagne. Il décroche le téléphone de campagne pour informer le poste de commandement de sa compagnie. A peine établie, la communication est interrompue par un déluge de feu. Obusiers, lance-roquettes, canons… Pendant quarante-cinq minutes, l’artillerie allemande pilonne les positions avancées des Alliées. Ensuite, sur un front d’une centaine de kilomètres, plus de 200 000 hommes, appuyés par de nombreux blindés, se lancent sur les routes verglacées et boueuses des Ardennes. La bataille pour Anvers vient de commencer.
Conçue par Hitler, sans véritable concertation avec son état-major, l’opération Wacht am Rhein (Garde au Rhin) ressemble à un ultime coup de poker, la dernière chance de renverser le cours des événements. Depuis le débarquement du 6 juin, l’armée allemande ne cesse, en effet, de refluer vers l’Allemagne. Elle se retrouve à présent dos au mur, condamnée, après des années de guerre d’invasion, à défendre le Vaterland, le territoire national. Comme le front de l’Est et le front d’Italie sont relativement stabilisés, Hitler a décidé de passer à l’action. Ses troupes fonceront au travers de l’Ardenne, franchiront la Meuse et perceront vers Anvers, libérée par les Alliés depuis septembre. En plus de reprendre les infrastructures portuaires – principal point de ravitaillement des Américains en Europe -, la manoeuvre doit permettre d’isoler l’armée britannique (au nord) de l’armée américaine (au sud). La vitesse d’exécution étant la clé du succès, le calendrier de l’état-major allemand est serré. Le début de l’offensive est fixé au 16 décembre 1944, à 5 h 30. Le 18 décembre, les troupes doivent être en vue de la Meuse. Le fleuve doit impérativement être franchi le 19, car la prise d’Anvers est prévue pour le 23 décembre! Commandant du front de l’Ouest, le maréchal von Rundstedt ne croit pas à la réussite d’un tel plan et tente de dissuader Hitler de lancer l’opération. Devant l’obstination du dictateur, le maréchal – dont on donnera erronément le nom à l’offensive – finit par adopter une attitude d’obéissance passive.
Du côté des Alliés, la surprise est totale. Si les services de renseignement savaient qu’une attaque était imminente, ils n’en connaissaient ni la date ni le lieu. Pour eux, une percée à travers les Ardennes était tout bonnement impossible, pensaient-ils. L’hiver et le terrain accidenté y condamnaient toute opération d’envergure. Comme l’explique l’historien militaire américain MacDonald dans un ouvrage exhaustif sur la bataille, l’Ardenne était considérée comme « la nursery et l’hospice du commandement américain. De nouvelles divisions y venaient pour s’adapter au champ de bataille, des anciennes pour s’y reposer après des combats intenses et pour y assimiler des renforts » (1). Hitler ne s’attendait donc pas à une résistance héroïque de ces soldats américains qu’il considérait comme « le maillon faible de l’alliance occidentale, le produit d’une société trop hétérogène pour mettre en campagne une force combattante efficace ».
Les premières heures de l’offensive lui donneront tort. Surpris, les GI mettent du temps à réagir et à prévenir les différents échelons du commandement. Le 16 au soir, si le général Eisenhower affirme qu’il s’agit d’une opération d’envergure, le général Bradley est encore persuadé que l’attaque n’est qu’une opération de diversion visant à empêcher une offensive de Patton programmée pour le 19 décembre dans l’est de la France. Pour autant, même si les troupes allemandes avancent, à aucun endroit, le front n’est véritablement percé. Le 17, la progression se poursuit… lentement. Dans la nuit, malgré des conditions météo déplorables, plusieurs avions allemands lâchent des commandos sur l’arrière des lignes alliées. « On pense souvent que ces commandos avaient pour mission de perturber les mouvements et les communications alliées, explique l’historien Luc De Vos. En réalité, ils devaient surtout prendre intacts une série de ponts dans les régions de Huy et de Liège. » La mission se révèle un fiasco. Sur les 106 avions de transport, seuls 35 arrivèrent sur les zones de largage. Certains commencèrent même à lâcher leurs parachutistes au-dessus de Bonn.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Sur le terrain, les combats sont acharnés. S’ils reculent devant les divisions blindées allemandes, les soldats américains le font dans l’ordre et profitent de chaque situation favorable pour les ralentir. Au centre du dispositif allemand, dans la région de Saint-Vith – Malmedy, cette résistance donne lieu à plusieurs massacres. Convaincue qu’elle sera la première à atteindre la Meuse, la colonne blindée du lieutenant-colonel SS Peiper n’y fera pas de quartier. Dans la nuit du 17 décembre, ses hommes abattent une cinquantaine de prisonniers américains à Honsfeld. Plus tard dans la journée, après un bref combat sur la route allant du carrefour de Baugnez vers Saint-Vith, une centaine de prisonniers sont regroupés dans une prairie avant d’être exécutés. Si certains réussirent à s’échapper, l’armée américaine comptera 83 cadavres lorsqu’elle reprendra le site de la boucherie à la mi-janvier 1945. « L’information des massacres se répandit comme une traînée de poudre dans les unités américaines, écrit Emile Engels, dans son ouvrage La Campagne des Ardennes. Durant plusieurs jours, pour venger les leurs, beaucoup d’Américains abattirent les SS qu’ils avaient faits prisonniers. »
« Au commandant allemand : Nuts. Du commandant américain. »
Le 19 au soir, malgré l’acharnement de ses troupes, le maréchal Model, responsable de l’offensive avec von Rundstedt, aboutit à la conclusion que le plan initial de Garde au Rhin a échoué. Au nord, malgré la percée de la sinistre colonne Peiper – qui sera bloquée par manque de carburant -, l’élan de la 6e Panzer Armee de Sepp Dietrich s’est usé à la résistance acharnée des unités américaines. Au sud, ce n’est pas sans difficulté que la 5e Panzer Armee de von Maneteuffel encercle Bastogne. Dès le 17 décembre, trois divisions, dont deux blindées, convergeaient déjà vers la ville où une division d’élite américaine, la 101e aéroportée, allait se retrancher. Le 19, les premiers accrochages sérieux ont lieu à moins de trois kilomètres du centre de Bastogne. Le 20, alors qu’elle aurait dû franchir la Meuse, l’armée allemande pilonne la localité qui connaît ses premières victimes civiles. Les combats sont particulièrement meurtriers dans cette ville autour de laquelle l’étau allemand se resserre inexorablement. Avec une seule journée de réserve en nourriture, un stock de munitions au plus bas et plus de mille blessés et malades, le général de brigade américain McAuliffe, commandant de la force alliée à Bastogne, demande un ravitaillement aérien. Les conditions atmosphériques déplorables rendent la manoeuvre impossible. Le 21 décembre, le brouillard cède la place aux premières bourrasques de neige. De part et d’autre, c’est la chasse aux draps blancs pour camoufler les unités. Le 22, dans la matinée, Bastogne est complètement coupée du reste du monde. Une situation sans précédent pour l’armée américaine, qui n’avait jamais connu un encerclement de cette ampleur durant la Seconde Guerre mondiale. La ville est à ce point exsangue qu’une délégation allemande vient demander la reddition de la garnison. Devenue célèbre, la réponse de McAuliffe se borna à un laconique « Au commandant allemand : Nuts. Du commandant américain. » Pendant la nuit, parfois au corps-à-corps, les combats se poursuivirent dans les faubourgs de la ville. Le 23 décembre, le soleil se lève enfin sur un ciel azuré. Emergeant de leurs trous, les défenseurs de Bastogne contemplent alors 241 avions de transport d’où s’échappe une myriade de parachutes. 144 tonnes d’approvisionnement arrivées du ciel mettent ainsi fin à l’isolement de la ville. En contemplant le parachutage, un général allemand comprit qu’il ne pourrait jamais prendre Bastogne. De fait, le 26 décembre, en fin d’après-midi, les troupes de Patton perçaient les défenses allemandes et entraient dans Bastogne. La bataille n’en était pas terminée pour autant. Jusqu’au Nouvel An, les Allemands tentèrent encore plusieurs attaques. En vain. Pas plus qu’elle ne réussira à forcer la ville, l’armée allemande ne franchira jamais la Meuse.
Avec le retour d’un ciel dégagé, l’aviation alliée se chargera de déverrouiller de nombreuses situations critiques, en n’hésitant pas, comme à Houffalize, à recourir à des bombardements excessifs. « Ce qui aurait pu mener à un succès temporaire des Allemands, explique Luc De Vos, c’est une avancée plus rapide et quelques semaines de mauvais temps, et pas seulement quelques jours. Aussi bien offensivement que défensivement (en ravitaillant certaines unités isolées), l’aviation permit de débloquer la situation. Malheureusement, si, à la fin de la guerre, de nombreuses pertes civiles étaient attribuées aux Allemands, on sait maintenant qu’une grande partie de celles-ci sont dues aux bombardements alliés. »
Le 3 janvier 1945, par un froid glacial et dans la neige, le haut commandement allié lance sa contre-attaque. Le 28 janvier, l’armée allemande est rejetée sur ses positions de départ, derrière la ligne Siegfried.
Sur les 750 000 hommes qui s’affrontèrent lors de cette bataille décisive pour « la liberté de l’Europe », 19 000 Américains, 1 000 Britanniques et 20 000 Allemands perdirent la vie. Dans la population civile, on déplorera la mort de 2 500 Belges et de 500 Luxembourgeois. L’orgueil d’Hitler était sans mesure.
(1) De nombreuses informations de cet article proviennent des excellents ouvrages Noël 44. La bataille d’Ardenne, de Charles B. MacDonald, aux éditions Luc Pire, et La Campagne des Ardennes, d’Emile Engels, aux éditions Racine.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici